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Ordre du jour n° 13 (vendredi 22 avril 2022)
Article mis en ligne le 5 mai 2022
dernière modification le 8 juillet 2023

par Nghia NGUYEN

Dans son ordre du jour n° 13 adressé à l’ensemble des forces armées le 22 avril 2022, le Général d’armée Thierry BURKHARD rappelle la gravité de la situation en Ukraine, partant celle de notre époque qui pourrait, dans un avenir proche, basculer dans un conflit de haute intensité élargi à une grande partie de l’Europe.

Au même titre que ces prédécesseurs – les généraux de VILLIERS et LECOINTRE qui avaient déjà annoncés le retour des État puissances ainsi que l’émergence des conflits hybrides et des nouveaux champs de bataille – le Général BURKHARD sera plus que jamais confronté aux défis de la préparation de nos armées à une guerre de haute intensité qu’accélère l’affrontement russo-ukrainien.

Dans son ordre n° 13, le CEMA met en avant la force morale et la résilience : une vertu et une capacité qui demeureront toujours au coeur de ce choc de volonté qu’est toute guerre. Ce message adressé aux forces armées l’est donc aussi pour la société française dont la fragmentation, le doute, la défiance vis-à-vis des institutions et la montée politique aux extrêmes, caractérisent une dangereuse fragilité. Cette dernière précède très certainement - et de loin – la faiblesse de nos armements et de nos effectifs militaires.

Texte à plusieurs dimensions, le message du CEMA pourrait également s’adresser à nos élites politiques au-delà de ce qu’il décrit des « chefs militaires russes ». On ne pourra s’empêcher, en effet, de penser à ces hommes et ces femmes, élus ou non, ayant érigé en programme un véritable déni des problèmes de fond qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou culturels, allant jusqu’à remettre en cause l’identité historique et civilisationnelle du pays.

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Ordre du jour n° 13 du Général d’armée Thierry Burkhard, Chef d’état-major des armées

 

Officiers, sous-officiers, officiers-mariniers, soldats, marins et aviateurs, d’active et de réserve, personnel civil des armées,

Près de deux mois se sont écoulés depuis le début de l’attaque russe contre l’Ukraine, le 24 février dernier. Après avoir été contrainte de se retirer de la région de Kiev, l’armée russe concentre désormais ses efforts dans le Donbass. Les buts politiques affichés de cette « opération militaire spéciale » ont été revus à la baisse, et la résistance des forces armées ukrainiennes continue.

Bien peu d’entre nous avaient parié sur cette résistance farouche. Les Ukrainiens ont mis en échec une opération « coup de poing », qui visait à provoquer un changement de régime à Kiev. Alors que les combats se poursuivent, ces premières semaines d’affrontement ont d’ores et déjà livré de nombreux enseignements. Ce sont certains d’entre eux que je voudrais aborder ce matin, tant ils me paraissent importants dans l’exercice du métier militaire.

Le premier d’entre eux, s’il est évident, n’en est pas moins essentiel : la guerre de haute intensité est de retour en Europe.

77 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, deux armées s’affrontent avec toute la puissance de leurs capacités : avions, chars, navires, missiles, artillerie, cyber… Vous qui servez la France, vous avez déjà été confrontés, parfois de très près, à la violence de la guerre et des combats. La nouveauté de la situation tient à la proximité géographique : des missiles russes frappent régulièrement l’Ouest de l’Ukraine, à moins de 1500 km de Paris. La guerre est là, plus proche que nous ne l’avons jamais connue.

Pour nous, militaires français, cela signifie que nous devons nous y préparer. La probabilité d’un engagement majeur a considérablement augmenté et nous devons en tenir compte. Notre préparation et la crédibilité qui en découle doivent nous permettre de gagner la guerre avant la guerre et, si les circonstances l’exigent, d’être prêts à nous engager dans un affrontement de haute intensité. Le deuxième enseignement est moins une redécouverte qu’une confirmation, celle du rôle crucial des forces morales.

Ce sont d’abord les forces morales qui expliquent la remarquable résistance ukrainienne. Je ne pense pas uniquement aux combattants, dont le courage et la volonté ne sont plus à démontrer. Je pense également à la population, à la société ukrainienne dans son ensemble et à ses dirigeants. Unis dans le soutien à ceux qui combattent en leur nom, tous font preuve d’une résilience et d’une cohésion admirables.

Les forces morales doivent être pour nous une préoccupation de tous les instants. Parce qu’elles ne surgissent pas du néant au moment du combat, elles doivent être forgées et entretenues en permanence. Faute d’avoir anticipé cette obligation, nous serions promis à la défaite.

Le troisième enseignement porte sur l’importance de notions que nous connaissons bien, pour y être confrontés dans l’exercice du commandement : la franchise, la loyauté et, à l’opposé, le mensonge.

Les chefs militaires russes ont menti.

À leurs dirigeants politiques d’abord, en leur laissant croire que l’efficacité opérationnelle de l’armée russe lui permettrait de remporter une victoire rapide en Ukraine. Force est de constater que le changement d’échelle, du modèle expéditionnaire de Syrie aux opérations massives d’Ukraine, est à ce jour un échec.

À leurs subordonnés ensuite, sur les buts de l’opération, sur la situation en Ukraine et pire encore, sur leur capacité à leur donner les moyens de remplir leurs missions. Or, et cela est apparu de manière flagrante, l’organisation et le commandement ont largement fait défaut.

Les unités russes ont notamment cruellement manqué d’une logistique et d’un soutien efficaces, au moins au début de la campagne. Ajoutées aux erreurs tactiques et opératives, ces faiblesses se sont avérées rédhibitoires. Elles ont sonné le glas des ambitions russes initiales.

Enfin – et ce n’est sans doute pas le moins grave –, les chefs militaires russes se sont également mentis à eux-mêmes.

Le devoir d’un militaire, qu’il soit chef ou subordonné – car on est toujours l’un et l’autre – est de dire la vérité ; dire les choses, sans chercher à enjoliver la situation, par peur, flatterie ou paresse intellectuelle.

Face aux chefs, il consiste à présenter, en toute franchise, les limites et les faiblesses qui peuvent être les nôtres. Il implique, naturellement, de proposer des solutions.

Envers nos subordonnés, il impose de donner du sens, à la mission comme aux sacrifices demandés, et consentis.

Ce devoir de vérité nous renvoie également à nos propres qualités : seule la plus grande franchise permet de préparer au mieux les temps difficiles, lorsqu’il faut livrer bataille. Je vous invite à faire vôtre cette phrase tirée du testament de Marc Bloch : « Je tiens la complaisance envers le mensonge, de quelques prétextes qu’elle puisse se parer, pour la pire lèpre de l’âme. »

Vous savez déjà tout cela. Mais nous savons également combien facile et tentant il peut être de se laisser aller. L’exigence doit être permanente ! Notre mission ne nous donne pas le droit à la faiblesse, et je ne connais pas de meilleure façon de progresser que de chercher, partout, tout le temps, à hausser le niveau d’exigence.

Je sais pouvoir compter sur vous. Vous démontrez au quotidien, en état-major et en unité opérationnelle, toutes vos qualités. Les ordres nationaux et les décorations qui ont été remis ce matin récompensent l’engagement d’officiers et de sous-officiers remarquables, tout entiers consacrés au service de la France. Je vous félicite une fois encore.

Ce que nous apprend la guerre en Ukraine, c’est que nous avons changé d’époque, d’échelle et d’enjeux. Chacun doit faire le nécessaire pour s’y préparer. Le moment venu, nous n’aurons pas le droit de ne pas être au rendez-vous.

Paris, le 22 avril 2022.

 

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