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Les politiques doivent rompre avec ce gauchisme culturel qui nous déshumanise

LE GOFF (Jean-Pierre), « Les politiques doivent rompre avec ce gauchisme culturel qui nous déshumanise », in Le Figaro, 9 novembre 2023.

Article mis en ligne le 19 novembre 2023
dernière modification le 16 mars 2024

par Nghia NGUYEN

Dans un entretien particulièrement éclairant avec le journaliste Alexandre DEVECCHIO, le sociologue et philosophe Jean-Pierre LE GOFF explique les évolutions idéologiques du gauchisme depuis Mai 68. Originellement centré sur la lutte des classes, celui-ci connaît un glissement vers les questions sociétales devenant ainsi un véritable gauchisme culturel remettant en cause tout principe d’autorité et jusqu’aux fondements de la société. En dépit de la victoire politique de François MITTERRAND, la crise du socialisme participe à l’institutionnalisation et à une diffusion encore plus large de ce gauchisme culturel dont le Wokisme est l’émanation contemporaine. Pour le philosophe à l’origine de l’expression, le gauchisme culturel est un ferment de déconstruction anthropologique qui affaiblit particulièrement l’Occident face à ses pires ennemis.

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LES POLITIQUES DOIVENT ROMPRE AVEC CE GAUCHISME CULTUREL QUI NOUSSHUMANISE

  • Dans votre dernier livre, vous considérez que Mai 68 constitue une rupture historique majeure et peut-être une révolution aussi importante que 1789 sur le plan culturel. Pourquoi ?

Ce que j’appelle la « révolution culturelle soixante-huitarde » me paraît être l’un des facteurs, à mes yeux décisifs, qui nous a amenés à la situation critique de notre pays et plus largement des démocraties occidentales. Cette révolution de la seconde moitié du XXe siècle est d’une nature nouvelle tant dans son contenu que dans les acteurs qui l’ont impulsée. Elle est avant tout culturelle, s’est effectuée dans le cadre même de la démocratie et a eu pour effet de bouleverser le tissu éducatif et anthropologique, fruit d’une longue histoire nationale et civilisationnelle. Mon livre traite des années qui suivent immédiatement Mai 68, marquées par la flambée de l’extrême gauche révolutionnaire et la naissance du gauchisme culturel, qui finira par se répandre dans la société et dans les institutions. Nous continuons d’en subir les effets. D’où l’importance de comprendre comment on a pu en arriver là.

  • Vous êtes parfois assez dur avec une certaine droite, qui considère que Mai 68 est responsable de tous les maux. En écrivant ce livre, vouliez-vous sortir du manichéisme ambiant ?

Oui. Nous vivons dans un activisme communicationnel fait de réactivité, de raccourcis historiques et d’amalgames. Pas plus que son apologie, le rejet revanchard de Mai 68 ne permet de comprendre ce qui s’est passé. La révolution culturelle soixante-huitarde comporte différents moments. Ne réduisons pas les journées de mai et juin 1968 au gauchisme et au nihilisme qui se développeront surtout dans l’après-mai, même si ces derniers sont déjà présents dans le cours même des événements. L’extrême gauche a joué un rôle dans le déclenchement de l’événement mais elle n’en est pas le seul acteur. N’oublions pas au demeurant les « chrétiens de gauche », la CFDT autogestionnaire, tout un courant réformiste et modernisateur lié au club Jean-Moulin, mais aussi le PCF et la CGT, qui a fini par appeler à la grève générale qui a paralysé le pays… L’événement Mai 68 constitue un moment de catharsis, de libération d’une parole multiforme dans une société nouvelle, celle de la consommation, des loisirs et des médias, issue de la modernisation rapide de l’après-guerre. Raymond Aron parle à ce propos de « révolution introuvable » et d’un vaste « psychodrame ». Au sein des élites politiques de l’époque, le jugement critique et le rejet de la « chienlit » n’excluent pas l’interrogation. Georges Pompidou et de Gaulle, tout en critiquant les aspects nihilistes, y voient une crise de civilisation, Malraux parle de la conscience existant dans les deux camps de « la fin d’un monde »… Chercher à comprendre l’événement et les conditions qui l’ont rendu possible n’implique pas de taire la critique.

  • Pourquoi parler de « révolte du peuple adolescent » ?

La composante sociale et culturelle historiquement nouvelle de cet événement réside, à mon sens, dans l’avènement et la révolte du « peuple adolescent » (expression que j’emprunte à Paul Yonnet) dont on ne mesure pas encore à l’époque les effets culturels à long terme. L’allongement de la scolarité et des études, le nombre croissant des étudiants et des lycéens constituent alors une nouvelle donne historique qui modifie la place et le rôle de la jeunesse dans la nouvelle société. La période transitoire et délicate de la vie que constitue l’adolescence est marquée par une révolte contre l’autorité, des comportements de provocation et de transgression… Le thème de la révolution fait alors écho à ce moment existentiel de rupture qui se prolonge chez les lycéens et les étudiants. Pour comprendre cette révolte du peuple adolescent, il faut prendre en compte non seulement les idéologies totalitaires des groupuscules d’extrême gauche, mais l’hubris propre à une période de grands bouleversements qu’est l’adolescence et ses aspects nihilistes de renversement des valeurs. C’est précisément cette part sauvage qu’ont sous-estimée les intellectuels de gauche de l’époque, qui ont cru retrouver une seconde jeunesse en projetant sur cette révolution leurs propres conceptions.

  • Quelles sont les principales idées qui ont été portées par la révolte du peuple adolescent ?

Le gauchisme originaire est marqué par un certain nombre d’idées et de représentations schématiques qui vont façonner un rapport pour le moins problématique à la société et aux institutions. Toute forme d’autorité, de pouvoir, de hiérarchie est synonyme de domination et d’aliénation, voire de « fascisme ». Le gauchisme véhicule une conception totalitaire des sociétés démocratiques où l’ensemble des activités sociales serait sous l’emprise d’un pouvoir dictatorial et manipulateur. Il développe une vision noire et pénitentielle de notre propre histoire et de l’Occident, qu’il rend responsable de tous les maux. En contrepoint, il affirme une subjectivité débridée et souveraine passant outre les contraintes, les devoirs et les interdits constitutifs de la vie en société, développe l’utopie d’une société fonctionnant à l’horizontale en toute transparence et dans des rapports de stricte égalité. Les révoltes et les luttes sauvages venues d’en bas sont d’emblée valorisées au détriment du suffrage universel et de la démocratie représentative. Les luttes des « peuples dominés », leur culture et leurs mœurs sont considérées sous un angle des plus angéliques. C’est une vision du monde en noir et blanc où les « dominants » sont nécessairement les coupables, et les « dominés » d’innocentes victimes. Ces schémas seront transmis au fil des ans aux nouvelles générations et continuent d’imprégner une partie de la jeunesse et plus largement.

  • Vous êtes à l’origine de la notion de « gauchisme culturel », qu’entendez-vous par là ?

Le gauchisme culturel véhicule les principaux schémas de pensée du gauchisme soixante-huitard primordial, mais il se distingue des groupuscules d’extrême gauche par le déplacement qu’il opère de la lutte des classes vers les questions sociétales, aux premiers rangs desquels la sexualité, le féminisme et l’écologie, l’école et l’éducation des enfants. Il n’entend pas prendre le pouvoir sur le modèle des révolutions violentes passées, mais changer radicalement les mentalités et les mœurs au sein des sociétés démocratiques, en accordant une place importante aux expériences alternatives et à l’éducation des nouvelles générations. Il va se développer dans la seconde moitié des années 1970 et finira par imprégner les partis et les organisations de gauche avant de se répandre dans l’ensemble de la société. C’est toute une conception de la condition humaine et un sens commun qui lui était attaché qui se trouvent alors mis à mal.

  • Vous parlez, en conclusion de votre livre, de « gauchisme institutionnalisé » avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Mitterrand n’était pourtant pas gauchiste, tant s’en faut…

La victoire politique de Mitterrand en 1981 a lieu alors que la doctrine socialiste est déjà mal en point et le tournant de la rigueur en 1983 n’arrange pas les choses. C’est dans ce cadre que la gauche au pouvoir intègre le gauchisme culturel comme substitut à la crise de sa doctrine. Nombre d’ex-militants soixante-huitards se reconvertissent dans le journalisme militant, des leaders étudiants et lycéens intègrent le Parti socialiste… La révolution culturelle soixante-huitarde franchit une nouvelle étape : le gauchisme culturel qui s’affirmait jusqu’alors comme une contre-culture au sein de la société devient partie intégrale de l’identité de la gauche, pénètre les institutions et s’affiche dans les grands médias. L’État va lui assurer les moyens de son hégémonie. Le lancement de SOS Racisme en est un des exemples frappants. Le gauchisme culturel acquiert alors une légitimité et une audience sans précédent. La culture jeune, la provocation et la transgression s’élèvent au rang des beaux-arts ; la gauche se veut de plus en plus « morale » et « branchée », dénonçant à tour de bras les « racistes », les « beaufs » et les « ringards »… Combiné à l’adaptation à la mondialisation libérale et au chômage de masse, le gauchisme culturel entraîne la coupure de la gauche avec les couches populaires au profit des « bobos », qui ne cesseront de donner des leçons au reste de la population. Ce gauchisme soixante-huitard de deuxième génération intégré à l’État et aux grands médias est devenu une nouvelle doxa.

  • Qu’en est-il du gauchisme aujourd’hui ?

La révolution culturelle soixante-huitarde a abouti à une déculturation et à une décomposition auquel le gauchisme lui-même n’a pas échappé. Celui-ci combine aujourd’hui, dans un vaste patchwork, les restes décomposés des idéologies totalitaires, des anciens schémas de luttes des classes et de luttes des peuples dominés avec le wokisme, l’écologisme, le féminisme, les dénonciations victimaires, les revendications racialistes et communautaristes avec l’islamisme en ligne de pointe… Ce gauchisme abâtardi joue désormais sur tous les plans à la fois, il est présent dans les manifestations de rue comme au sein des institutions et du Parlement avec des comportements provocateurs d’adolescents. La NUPES a incarné ce composite idéologique et électoraliste sur fond d’abstention massive.

  • Que vous inspire la relativisation des crimes du Hamas par des militants de La France Insoumise ?

C’est une forme de délabrement moral et du sens commun : la barbarie et les crimes les plus odieux sont excusés ou minimisés s’ils sont commis par les dominés et ceux qui prétendent les représenter. J’y vois les restes des schémas idéologiques et mentaux qui n’ont jamais été remis fondamentalement en question. Le bolchevisme totalitaire a toujours considéré la morale comme une superstructure idéologique, justifié la violence et la terreur rouge. Trotsky en a été l’un des théoriciens dans ses ouvrages Terrorisme et communisme (1920) et Leur morale et la nôtre (1938). Ces militants gauchistes gardent d’autre part en tête les schémas des luttes de libération des peuples contre le colonialisme et l’impérialisme datant d’une autre époque qu’ils projettent sur le Hamas. Cet amoralisme et cet enfermement idéologique face au terrorisme islamique me révulsent, mais ils ne m’étonnent pas.

  • Comment expliquez-vous la persistance du gauchisme culturel ?

Le gauchisme culturel est présent au sein de grands médias et des réseaux sociaux où il assène quotidiennement ses leçons dans ses domaines de prédilection, particulièrement l’écologie punitive et le néoféminisme inquisiteur. Il bénéficie de la sympathie ou de l’opportunisme d’intellectuels et de politiques en mal de modernité. D’autres, par manque de courage, craignent d’être stigmatisés et dénoncés par des journalistes et des groupes militants. Le gauchisme culturel suscite de multiples réactions et polémiques qui le placent souvent au centre du débat public, ce qui lui donne une importance démesurée face aux préoccupations de la majorité de la population et détourne l’attention des nouveaux enjeux géopolitiques. Le plus grave en l’affaire est lorsque des politiques et le chef de l’État reprennent à leur compte, avec une inconscience déconcertante, les revendications dites sociétales du gauchisme culturel. Celui-ci considère la condition humaine comme une « construction sociale » que l’on pourrait modeler à l’envi, selon les désirs de l’individualisme roi et des groupes de pression minoritaires. Cette hubris propre au gauchisme culturel est désormais véhiculée par l’État. Nous sommes passés d’un nihilisme actif revendiquant la transgression et le renversement des valeurs à un nihilisme banalisé. Celui-ci se présente sous les traits d’une adaptation inéluctable à une postmodernité qui a rompu avec notre héritage civilisationnel et pratique la fuite en avant. Il est temps pour les politiques dignes de ce nom de rompre clairement avec ce gauchisme culturel qui nous déshumanise et nous divise face à ceux qui veulent nous détruire.

Par Alexandre Devecchio

 

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