Comprendre à travers l’exemple du HMS Queen Elizabeth la différence entre un porte-aéronefs et un porte-avions, ou comment derrière des questions techniques se cachent des questions stratégiques de fond.
Alors que la Grande-Bretagne – au même titre que les autres pays européens - traverse en ce moment une crise économique qui ne manque pas d’avoir de sévères répercussions sur son budget de la Défense, la construction de son futur porte-avions avance tant bien que mal dans les différents chantiers du maître d’œuvre industriel : BAE systems. Dévoilé en 2008, la construction d’un grand porte-avions - trois fois plus lourd que ceux de la classe Invincible et équipé d’un pont de 13 000 m2 qui pourrait recevoir ultérieurement un système de catapultage - a vu sa construction débuter l’année suivante pour une livraison normalement prévue en 2016 (1). Il est prévu un sistership au HMS Queen Elizabeth (RO 8) - le HMS Prince of Wales -, qui devra cependant à l’orée des années 2020 (2) redonner au Royaume-Uni une puissance aéronavale et une capacité de projection que l’abandon des porte-avions lourds, dans les années 1970, lui a retiré.
En effet, c’est avec le retrait du service actif du HMS Ark Royal R09, en 1979, que les Britanniques, pour des raisons budgétaires, se tournent vers le concept du porte-aéronefs à savoir un porte-avions en réduction, certes toujours capable de lancer des avions mais avec une autonomie et une puissance inférieure. Il existe, actuellement, deux systèmes permettant l’utilisation d’avions en pleine mer : le porte-avions lourd qui dispose d’un pont d’envol droit, et le porte-aéronefs qui, lui, dispose d’un pont dont l’extrémité présente une courbure vers le ciel. Pont droit ou pont tremplin à l’avant, la question a son importance car elle engage des savoir-faire industriels, navals et aéronautiques différents. L’architecture du bâtiment comme les compétences des pilotes ne seront pas les mêmes.
Le pont incurvé correspond au système dit STOBAR (Short Take Off But Arrested Recovery), qui permet le lancement et la récupération d’appareils sur des distances plus courtes. La courbure du pont joue le rôle de tremplin au décollage et de ralentisseur à l’appontage. Les porte-aéronefs seront, donc, des bâtiments de dimensions plus réduites.
Le système CATOBAR (Catapult Assisted Take Off But Arrested Recovery) est le second système, qui utilise des catapultes à vapeur très puissantes doublées d’un système d’arrêt par brins. Il nécessite un pont d’envol droit, et une plus longue distance de parcours. Les Etats-Unis et la France ont fait le choix de ce système, et l’US Navy est en train de travailler sur un système de catapultage électromagnétique encore plus puissant (Electromagnetic Aircraft Launch System ou EMALS). Ce dernier - en cours de test à Patuxent river (Maryland) - devrait équiper les porte-avions CVN-21 de nouvelle génération dans les années à venir.
Comme les États-Unis, la France a fait le choix du porte-avions lourd équipé du système CATOBAR
CATOBAR et STOBAR conditionnent inévitablement les types d’avions embarqués, du coup les pilotes mais également les missions. Ainsi pour un même type d’avion, le système de lancement STOBAR nécessite un allègement en armement/carburant, qui réduit singulièrement les capacités de l’appareil et le spectre de ses missions. Sur un porte-aéronefs, les appareils seront plus légers et l’on se tournera davantage vers le décollage et l’atterrissage vertical. À l’inverse, avec des catapultes à vapeur le porte-avions peut lancer des appareils plus lourds, plus autonomes et plus endurants, capables de remplir les mêmes missions que leurs homologues de l’Armée de l’Air. Les Rafale Marine du porte-avions Charles-de-Gaulle français sont ainsi capables de mener les mêmes missions que les Rafale de l’Armée de l’Air qui, eux, disposent de plusieurs kilomètres de piste pour décoller et atterrir (3)… Si le CATOBAR est le standard le plus complexe et le plus coûteux à mettre en œuvre, il est aussi de nos jours celui qui permet d’asseoir une véritable puissance aéronavale. Voilà comment d’un problème budgétaire, on passe à des questions techniques qui, in fine, conditionnent des questions de doctrine d’emploi et de stratégie navale.
Un groupe aéronaval doté d’un porte-avions lourd donnera donc une capacité de projection, une endurance et une permanence à la mer qu’un groupe équipé d’un porte-aéronefs ne pourra fournir. C’est vers cette capacité de projection étendue que les Britanniques veulent revenir, même si le HMS Queen Elizabeth sera davantage configuré comme un porte-aéronefs. La conception comme la dimension de ce nouveau bâtiment lui permettra de pouvoir revenir, éventuellement, vers le standard CATOBAR. Toujours est-il que le choix des avions déterminera de manière décisive l’architecture finale du Queen Elizabeth (4), dont la construction se poursuit actuellement dans six chantiers navals différents : ceux de Glasgow, Newcastle, Appledore, Portsmouth, Merseyside et Rosyth. C’est dans le chantier écossais de Babcock-Rosyth que le bâtiment est en cours d’assemblage, recevant en cette première semaine du mois de février 2013 son îlot avant (5) : un bloc de 680 tonnes fabriqué à Portsmouth et qui mettra quatre jours pour parvenir à Rosyth par voie maritime.
La différence de taille entre le HMS Queen Elizabeth (système STOBAR) et le porte-avions USS Nimitz (système CATOBAR)
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Bibliographie