Le 9 février 1943, au terme d’une bataille qui aura duré six mois, les forces américaines contrôlaient l’île de Guadalcanal (archipel des Salomon) dont l’aérodrome d’Henderson Field était l’enjeu principal. Cette victoire permettait aux Américains de mettre à l’abri l’Australie tout en reprenant l’initiative stratégique. Les Salomon comme les archipels voisins étaient cependant loin d’être entièrement libérés, et la grande base aéronavale japonaise de Rabaul (île de Nouvelle-Bretagne dans l’archipel Bismarck) concentrait plus que jamais l’attention des amiraux et généraux américains. C’est dans ce contexte que le commandant en chef de la Marine impériale, l’Amiral YAMAMOTO Isoruku (1884-1943) décida d’effectuer une tournée d’inspection dans les îles Salomon afin de remonter le moral des troupes japonaises. La visite aux unités était fixée au 18 avril 1943.
À cette date, l’Amiral YAMAMOTO était encore considéré comme l’un des plus grands stratèges et tacticiens de la Marine de guerre japonaise, en dépit de la cinglante défaite de Midway (juin 1942) suivie de celle de Guadalcanal qu’il partageait avec le commandement de l’Armée. Toujours est-il qu’à Guadalcanal, si les Américains avaient su conserver l’avantage à terre, cet avantage n’était pas acquis sur mer lors des différentes confrontations navales avec les bâtiments de YAMAMOTO. En effet, pour les Américains comme pour les Japonais, l’issue de la bataille dans l’île dépendait de la maîtrise des lignes de ravitaillement maritimes, d’où de nombreuses batailles navales et aéronavales autour de Guadalcanal au moment même où les troupes au sol se disputaient l’aérodrome d’Henderson Field. Or, que ce soit à Savo (août 1942), au Cap Espérance (octobre), aux îles Santa Cruz (octobre), à Tassafaronga (novembre) ou à Rennell (janvier 1943), l’US Navy essuya une série de revers, subissant de lourdes pertes.
Adversaire redoutable et planificateur de l’attaque contre la base de Pearl Harbor (7 décembre 1941), l’Amiral YAMAMOTO était un symbole qui cristallisait le ressentiment américain contre le Japon expansionniste. Pourtant, l’homme était de ceux qui voulurent éviter un conflit direct avec les Etats-Unis. Au fait de la puissance économique et industrielle de ces derniers, il estimait impossible une victoire à terme contre eux.
Grâce au programme Magic - qui permit le déchiffrement des codes secrets japonais -, l’US Navy intercepta le 13 avril 1943 un message de l’Amirauté japonaise annonçant l’imminence d’une tournée d’inspection de l’Amiral YAMAMOTO dans les îles Salomon. L’itinéraire (de Rabaul à l’île de Ballale), comme la date (le 18 avril) et les horaires (à partir de 6.00 du matin), ainsi que la force de l’escorte (6 ou 9 chasseurs selon les sources), étaient donc parfaitement connus de l’Amiral Chester W. NIMITZ (1885-1966) qui ordonna l’élimination de l’amiral japonais. Ce fut l’opération Vengeance.
Le 18 avril, 16 chasseurs à long rayon d’action P-38 Lightning décollèrent de Guadalcanal avec pour mission d’abattre l’avion de YAMAMOTO. Celui-ci décolla de Rabaul à 6.00 à bord d’un bombardier Mitsubishi G4-M Betty embarquant plusieurs membres de son état-major. Un second Betty faisait partie du voyage, et l’ensemble était escorté par des chasseurs Mitsubishi A6M Zero. Qu’il y ait eu 6 ou 9 Zero, le combat était d’emblée inégal (1), et les Américains ne laissèrent aucune chance à YAMAMOTO. Observant le silence radio le plus total, les 16 P-38 surprirent le groupe japonais en début de matinée, et le détruisirent quasi intégralement. Le Betty de YAMAMOTO s’abattit en flamme sur l’île de Ballale où il fut retrouvé dans la jungle le lendemain par une mission de secours. Une autopsie révéla que l’amiral avait été mortellement atteint à la tête durant le combat, et qu’il était probablement mort avant que son appareil ne s’écrase tuant également trois officiers de son état-major. Des funérailles nationales furent organisées à Tokyo le 3 juin après que ses cendres furent ramenées à bord du cuirassé Musashi.
Au lendemain de la défaite de Guadalcanal, la disparition de YAMAMOTO Isoruku était un coup sévère porté au moral des Japonais. Ces derniers venaient de perdre à la fois un marin exceptionnel et un symbole de leur puissance militaire. Côté américain, la mort de YAMAMOTO est répandue et saluée comme une victoire, mais seulement après l’annonce officielle de sa disparition par le Japon lui-même. Il fallait alors protéger le programme Magic.
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Bibliographie
Le film d’Izuru NARUSHIMA - Amiral Yamamoto (2011) - retrace la vie de l’Amiral YAMAMOTO, notamment sa mort