Mercredi 7 juin 1967. Le photographe David RUBINGER immortalise la victoire de l’État hébreu avec ces parachutistes de la 55e brigade devant le Mur des Lamentations (Jérusalem-Est)
Des causes multiples
Le conflit qui s’ouvre entre Israël et ses voisins arabes (Égypte, Jordanie, Syrie), en juin 1967, s’inscrit dans un contexte de tensions qui ne se sont jamais vraiment apaisées depuis 1948. Si les causes de ces tensions sont multiples, l’origine essentielle reste enracinée dans la victoire des Juifs lors de la première guerre israélo-arabe (1948-1949). Cette victoire fonde État d’Israël, ce que les Arabes – au premier rang desquels figurent les Palestiniens – refusent. La guerre éclair qui débute le 5 juin pour se terminer le 10 n’est qu’une réplique, dix-neuf années plus tard, de la création d’Israël. Une réplique aggravée entre-temps par la crise de Suez (1956) où Israël prend part à l’offensive franco-britannique contre l’Égypte de Gamal Abdel NASSER (1918-1970). Depuis 1949, les tensions entre les deux États, non seulement, n’ont jamais cessé mais elles se sont amplifiées avec des heurts fréquents au sujet de Gaza (sous administration égyptienne) et du Sinaï (sous administration onusienne). En arrière-plan se profile aussi la question du programme nucléaire israélien. Nié par l’État hébreu, ce programme militaire - conduit au sein du centre de recherches nucléaires de Dimona dans le désert du Néguev - cristallise de plus en plus l’attention de NASSER qui en fait un casus belli s’il aboutissait.
À la question géopolitique s’ajoute l’enjeu géostratégique de l’ouverture du Golfe d’Aqaba pour Israël. Longeant la côte orientale du Sinaï, séparant l’Égypte et l’Arabie Saoudite sur une longueur de 160 km, le Golfe d’Aqaba est l’unique débouché de l’État hébreu – situé au fond du golfe avec le port d’Eilat - sur la Mer Rouge. Ce débouché est contrôlé par une île alors territoire égyptien depuis 1949 : l’île de Tiran. L’Égypte peut ainsi décider à n’importe quel moment la fermeture du détroit de Tiran, ce qui condamnerait stratégiquement toute ouverture maritime d’Israël vers le sud. L’État hébreu fait donc de toute remise en cause de sa liberté de navigation dans le Golfe d’Aqaba un casus belli. L’Égypte est, donc, désignée comme la menace stratégique principale.
Pourtant, la situation avec la Syrie s’envenime également. Pays déjà hostile, le coup d’État du 23 février 1966 amène au pouvoir le Général Salah JEDID (1926-1993) issu de l’aile pro-soviétique du parti Baas ainsi que des éléments militaires les plus hostiles à Israël. Appuyant des opérations palestiniennes d’infiltration en Israël (Fatah), Damas s’engage dans un cycle de représailles qui aboutit le 7 avril 1967 à de véritables affrontements avec les Israéliens. Ce jour-là, une canonnade sur un kibboutz dégénère en un combat de blindés et une bataille aérienne où 6 MIG 21 syriens sont abattus par des chasseurs israéliens. C’est cependant la question des ressources en eau de la région qui va peser lourdement dans le déclenchement des hostilités, au point que d’aucuns voient dans la Guerre des Six Jours une guerre de l’eau.
Connu pour être l’une des régions les plus arides de la planète, le Proche-Orient voit son développement économique – plus qu’ailleurs – conditionné par la gestion des ressources en eau. Le tracé récent de frontières et la naissance de nouveaux États à partir du milieu du XXe siècle, font de la maîtrise des bassins-versants des rares fleuves de la région des enjeux vitaux et hautement stratégiques. La construction d’un aqueduc et la dérivation, en 1959, des eaux du Lac de Tibériade par Israël, entraîne ainsi une politique de rétorsion de la part du Liban, de la Jordanie et, surtout, de la Syrie. Ces rétorsions se traduisent par des constructions de barrages et autres travaux de dérivation des eaux du Joudain et de ses affluents, notamment le Yarmouk.
La situation est donc tendue dans la région dès la fin de l’année 1966. Les provocations et répliques israéliennes le long de la ligne de cessez-le-feu incitent l’URSS à mettre en garde Damas contre une attaque imminente. L’information donnée, selon laquelle l’État hébreu serait en train de masser des troupes le long de la frontière syrienne, est cependant inexacte si ce n’est fausse mais elle durcit d’emblée l’alliance militaire entre Damas et Le Caire (1). Dès lors, les événements s’enchaînent rapidement : NASSER demande aux casques bleus d’évacuer le Sinaï tandis que son armée – mobilisée – se concentre dans la péninsule désertique à partir du 15 mai 196. Le 22, il fait fermer le détroit de Tiran. Le 1er juin, il signe une alliance militaire avec la Jordanie et le 4 juin avec l’Irak. C’est, en fait, un commandement unifié arabe qui est réactivé.
Ce contexte particulièrement hostile et menaçant pour Israël provoque une radicalisation du climat politique au sein de l’État hébreu, où de plus en plus de voix s’élèvent en faveur de la guerre au détriment de la diplomatie. Le 18 mai, Israël mobilise en réponse à la mobilisation égyptienne. De fait, l’option militaire est acceptée dans les esprits avec l’entrée dans le gouvernement de Levi ESHKOL (1895-1969), le 1er juin, de Menahem BEGIN (1913-1992) et, surtout, de Moshe DAYAN (1915-1981) comme Ministre de la Défense.
Dassault Mirage IIICJ
Dassault Mystère IV
Israël affronte l’Égypte, la Jordanie et la Syrie
La Guerre des Six Jours est donc – du point de vue israélien – une guerre préventive, où il n’y a pas d’autres choix que de prendre les devants face à une alliance de pays arabes hostiles, qui menacent ouvertement l’État hébreu. Elle débute par une phase aérienne : l’opération Moked. Élaborée dans le plus grand secret dès 1962 par les chefs d’état-major de l’armée de l’air israélienne (Heyl Ha’Avir) Ezer WEIZMANN (1924-2005), puis Mordechaï HOD (1926-2003), cette opération avait pour objectif de fixer et de détruire au sol la première force aérienne ennemie (l’armée de l’air égyptienne) dès les premières heures du conflit. Pour cela, les infrastructures des aérodromes militaires devaient être détruites dans un premier temps, afin que dans un second temps les avions ennemis soient à leur tour détruits sans combats aériens. Les MIG 21 - seuls chasseurs capables de rivaliser avec les Mirages III - seraient prioritairement ciblés. Planifiée depuis plusieurs années, l’opération Moked est activée le 4 juin 1967 pour une attaque prévue le lendemain à 7.45 précise. Elle engage tous les moyens de la jeune armée de l’air israélienne sur un risque calculé de 30% de pertes.
Celle-ci est née lors de l’indépendance de 1948. En revanche, la Guerre des Six Jours verra son premier engagement historique avec des appareils à réaction. Ces derniers sont une première génération de jets essentiellement français. Hormis les SO-4050 Vautour de la SNCASO, c’est la firme Dassault qui équipe Heyl Ha’Avir en Mystère IV, Super Mystère B2 et, surtout, Mirage IIICJ véritables fer de lance de la supériorité aérienne d’Israël. L’opposition du Général de GAULLE à ce conflit arrêtera, cependant, la livraison de matériels aéronautiques français à Israël. Dès 1969 - et jusqu’à nos jours -, Israël se tournera désormais vers un équipement et des standards aéronautiques américains.
En juin 1967, les pilotes israéliens sont supérieurement entraînés, et prêts à porter les premiers le feu. Volant à très basse altitude, observant le silence radio le plus total, ils pratiquent tôt en ce matin du 5 juin une manœuvre évasive au-dessus de la Méditerranée avant de prendre le cap plein sud sur l’Égypte (2). À 7.45, ils sont au-dessus des aérodromes militaires égyptiens qu’ils bombardent dans la surprise générale. Plusieurs vagues de bombardement se succèdent pendant près de deux heures au terme desquelles 6 aérodromes égyptiens sont anéantis ainsi que 309 avions de combats (sur un total de 340). Heyl Ha’Avir perd 19 appareils dans cette attaque mais une centaine de pilotes égyptiens sont tués, et NASSER n’a quasiment plus de forces aériennes. Dans les heures qui suivent, les pilotes israéliens détruisent systématiquement les stations radars, les infrastructures de guerre électronique, les sites de missiles sol-air, les postes de commandement, les relais de transmission...
À peine les forces aériennes ont-elles débuté leurs frappes qu’une force terrestre mécanisée de 700 blindés et 70 000 hommes pénètre dans le Sinaï. D’emblée, elle met en déroute une armée égyptienne privée de tout soutien aérien. La situation devient catastrophique pour les soldats de NASSER contraints à une retraite difficile à travers le désert. Des milliers d’entre eux périront de faim et de soif bien plus que sous les coups des Israéliens. L’effet de surprise et le succès de l’opération Moked donnent d’emblée aux Israéliens une initiative stratégique écrasante, ce que ne voient pas immédiatement les alliés de NASSER : le Roi Hussein (1935-1999) de Jordanie et l’homme fort de Syrie, Salah JEDID. Induits en erreur par la propagande de NASSER qui vante une grande victoire égyptienne à partir d’images de carcasses d’avions israéliens abattus, les deux dirigeants s’engagent imprudemment dans la bataille, faisant bombarder Israël.
La riposte sera spectaculaire en dépit d’une retenue israélienne initiale. En effet, si Heyl Ha’Avir élimine rapidement les forces aériennes jordanienne et syrienne, frappe également la base irakienne H3, entreprendre une offensive terrestre contre Damas était plus risqué compte tenu de la protection que l’URSS apportait au régime du Général Salah JEDID. Pénétrer en Cisjordanie incitait également à la prudence eu égard à l’importance symbolique de Jérusalem-Est. Cependant, l’imminence d’un cessez-le-feu imposé par l’ONU et les superpuissances – comme ce fut le cas à Suez en 1956 - décide les dirigeants de l’État hébreu à obtenir les gains stratégiques les plus élevés en quelques jours seulement. L’effondrement rapide de l’armée égyptienne permet un basculement de forces en Cisjordanie où les troupes du Roi Hussein sont vaincues en 72.00. La rive occidentale du Jourdain tombe aux mains des Israéliens et le cessez-le-feu intervint le 7 juin comme il intervint le lendemain avec l’Égypte.
Sur le front syrien, les Israéliens attaquent le 9 juin. Leur effort porte d’emblée sur le plateau du Golan, une hauteur stratégique dominant la plaine de Damas côté syrien et la Galilée côté israélien. Pour Tsahal, prendre le contrôle du Golan c’est retourner la faiblesse stratégique voulue jusqu’à présent par le tracé de la frontière ; à savoir soustraire la Galilée aux observations et aux tirs syriens (venu des points hauts) tout en menaçant désormais directement la plaine de Damas. Mais avec une altitude moyenne de 1000 m, le plateau du Golan est surtout un espace de 1800 km2 bien arrosé par les précipitations. L’essentiel des sources du Lac de Tibériade comme du fleuve Jourdain s’y trouve, et le Yarmouk en constitue la limite méridionale. Menacés de contournement par des forces israéliennes mieux commandées, les Syriens ne peuvent contenir l’offensive adverse et se replient afin de protéger la capitale Damas. Le plateau du Golan est donc abandonné aux Israéliens.
MIG 21 Fishbed (Égypte)
MIG 17 Fresco (Égypte)
Une victoire israélienne emblématique et un bouleversement géopolitique majeur
L’intervention diplomatique de l’URSS sauve le régime syrien en imposant un cessez-le-feu au soir du 10 juin 1967. À cette date, le conflit prend officiellement fin. Il n’aura duré que six jours et se solde par une terrible défaite pour des pays arabes pourtant favorisés par le rapport des forces sur le papier. Le bilan est pourtant sans appel. En détruisant l’intégralité de l’armée de l’air égyptienne au sol, les pilotes israéliens ont quasiment décidé du sort des batailles livrées les jours suivants dans trois directions différentes. L’armée égyptienne s’est débandée dans le Sinaï, et l’armée syrienne n’a tenu que quelques heures sur le Golan. 20 000 combattants arabes ont été tués (50% des pertes sont égyptiennes) pour 750 soldats israéliens. Les troupes jordaniennes ont, quant à elles, bien tenté de résister mais elles n’ont pu empêcher la prise de la vieille ville de Jérusalem par les parachutistes de Tsahal. Bien plus qu’un simple épisode militaire, la prise de Jérusalem-Est est une victoire symbolique immense pour le peuple juif.
Les conséquences géopolitiques et territoriales de la Guerre des Six Jours sont considérables. Elles pèsent encore aujourd’hui dans les rapports de forces et les tensions du Proche-Orient. Quand bien même la question de l’existence d’Israël n’est-elle plus posée de nos jours, elle s’est transformée en question des « territoires occupés » qui empoisonne au quotidien l’État hébreu. Isolé et sur la défensive, celui-ci n’avait pourtant pas envisagé de telles conquêtes avant juin 1967. Mais en justifiant un sentiment obsidional, les provocations médiatiques comme les menaces de l’Égypte et de la Syrie auront pourtant abouti à ce résultat.
Car Israël étend, désormais, son espace à l’ouest jusqu’au Canal de Suez. La péninsule du Sinaï ne sera restituée à l’Égypte qu’en 1982 (accords de Camp David). La bande de Gaza qui était sous administration égyptienne passe également sous contrôle israélien. Elle ne sera restituée qu’en 2005. À l’est c’est toute la Cisjordanie qui tombe aux mains de l’État hébreu. Celui-ci fait désormais de la ville de Jérusalem unifiée sa capitale, ce que la communauté internationale n’accepte toujours pas (3). Au nord-est, le plateau du Golan est occupé jusqu’en 1981, date à laquelle Israël l’annexe unilatéralement. Là encore, la communauté internationale s’oppose à cette annexion qui fait d’Israël non plus un territoire aval du bassin du Jourdain mais un territoire désormais amont. Aujourd’hui, 20% de l’eau consommée en Israël provient du Golan (4).
Durant la crise de Suez, et sous la pression conjointe des superpuissances, Israël avait été obligé de revenir sur ses gains stratégiques en dépit d’une nette victoire militaire sur l’Égypte. En 1967, la situation n’est plus la même. Les Etats-Unis font porter au président égyptien la responsabilité du déclenchement du conflit avec sa décision de fermer le détroit de Tiran ; du fait également de ses menaces réitérées contre Israël. Ils soutiennent donc la victoire de l’État hébreu en s’opposant aux protestations de l’URSS. Ce faisant, la Guerre des Six Jours ne résout rien. La haine et l’hostilité que les États arabes nourrissent à l’endroit de l’État hébreu n’ont d’égale que l’humiliation qu’ils viennent de subir. La victoire de celui-ci porte plus que jamais les germes des affrontements futurs. Le 1er septembre 1967, les États arabes se réunissent au Soudan et s’accordent sur deux principes fondamentaux : 1- ne pas reconnaître l’existence d’Israël et 2- ne pas rechercher la paix ni la conciliation avec (sommet de Khartoum).
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Bibliographie