FREGOSI (Renée), « Face à l’islamisme, certains reproduisent les erreurs de leurs ainés face au nazisme », in Le Figaro, 25 août 2017.
Pour la philosophe Renée Fregosi, la réponse au nouveau totalitarisme islamiste passe par le réarmement tant idéologique que militaire. Il faut en finir avec la mentalité pacifiste, prétexte à tous les renoncements. Renée Fregosi est une philosophe et politologue française. Directrice de recherche en Science politique à l’Université Paris-Sorbonne-Nouvelle, elle a récemment publié Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates (éd. du Moment 2016).
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Après chaque attentat, ce sont les mêmes scènes de pleurs et de prières œcuméniques, bougies, fleurs et peluches étalées sur le bitume, minute de silence pour les victimes, appels à la paix et au « vivre ensemble ». Cherche-t-on à détourner les futurs candidats djihadistes de leurs funestes projets en les convertissant au peace and love ? Aussi absurde que de tenter de trouver une thérapie psychiatrique miracle pour tous ces « déséquilibrés », ces « malades mentaux » que seraient les terroristes ! Certes pour planifier l’assassinat de milliers d’inconnus qui ne leur ont pas fait d’autre offense que de vivre hors des règles rigoristes de leur Islam, faut-il que ces islamistes soient fous. Comme présentaient des profils psychopathes grand nombre de hiérarques et d’exécuteurs nazis. Mais combien de milliers d’autres SS, soldats de la Wermarcht « ordinaires » et simples civils allemands ont-ils participé de cette « folie collective » ? Pourtant ce n’est pas par la cure psy que l’on a vaincu le nazisme agresseur, mais par les armes et la résistance intellectuelle.
Lorsqu’en septembre 1936 Léon Blum décida d’augmenter le budget de la Défense (14 milliards supplémentaires au lieu des 9 demandés par l’état-major) et qu’il rappela plusieurs classes de réservistes en réponse à la militarisation de la Rhénanie par Hitler, il déclencha les insultes des pacifistes et notamment du PCF qui le traita de « fauteur de guerre ». Alors qu’il réagissait (bien en deçà de ce qu’il jugeait nécessaire au demeurant) à la menace nazie, ses détracteurs l’accusaient d’agressivité, de provocation et de bellicisme. On sait ce qu’il advint des pacifistes hantés par le souvenir de la guerre de 14-18 qui refusèrent de comprendre la nature du totalitarisme hitlérien au nom de l’amitié entre les peuples : nombre d’entre eux sombrant dans la collaboration, ils connurent le déshonneur et un second conflit mondial qui dépassa le précédent dans l’horreur.
Mutatis mutandis, face au totalitarisme islamiste, les islamo-gauchistes complaisants et les foules européennes sidérées par les attentats et les horreurs de Daesh, reproduisent le même type d’attitude irresponsable que leurs aînés face au nazisme. Négation ou sous-évaluation de la menace, minimisation des attaques, compassion et incantations pacifistes bêlantes, voire victimisation des auteurs d’attentats ayant prétendument subi les humiliations non plus du traité de Versailles mais de la colonisation, de l’exclusion, de la stigmatisation, et bien sûr de « l’islamophobie ».
Tout comme les mouvements fascistes en leur temps de crise, les phénomènes d’islamisation et de « radicalisation » djihadiste des banlieues françaises et européennes, s’alimentent certes du chômage, de la perte de repères, de la demande de protection et de lien… Mais il est tout aussi indéniable qu’il existe une stratégie de conquête de l’islamisme qui passe autant par un entrisme au sein des sociétés occidentales que par des actions violentes. La mouvance politique islamiste travaille à tous les niveaux : social, idéologique, religieux, politique, terroriste, guerrier, en occident après avoir progressé au Maghreb et au Moyen-Orient, puis en Afrique et en Asie. Dans cette entreprise de conquête, la lutte idéologique est aussi importante que la terreur des actes. Les islamistes développent donc un discours prosélyte et de propagande de type victimaire : comme tous les génocidaires, ils présentent leurs cibles comme des agresseurs.
Comme jadis, les mots sont détournés de leur sens, les argumentations prennent la forme de syllogismes ou de théories complotistes, les attaques ad hominem se font menaçantes. Le terrorisme verbal recouvre et légitime la terreur en acte, dans la grande tradition stalinienne qualifiant ses victimes de « vipères lubriques » et de « sociaux-traitres », mais en moins imagé au demeurant pour ce qui concerne les « idiots utiles » de l’islamisme, tandis que les prédicateurs et les combattants du djihad continuent quant à eux de traiter de chiens, de singes et bien sûr de porcs, leurs ennemis : juifs, mécréants, femmes impudiques, apostats, artistes impies, athées, chrétiens, homosexuels, démocrates, libertins, humanistes, féministes, et bien d’autres encore.
Ne confondons alors pas les causes et les effets. Les erreurs tactiques et les mensonges passés des Occidentaux au Moyen-Orient ne sont pas à l’origine de l’offensive islamiste actuelle même s’ils sont utilisés, instrumentalisés par le djihadisme qui inverse toujours la charge de la preuve en présentant leur guerre sainte d’expansion comme une réaction, une réponse à l’action des « croisés » occidentaux. Car il existe bien une offensive islamiste en occident, en Europe et en France notamment. Cette offensive a été théorisée en 2005 par le troisième djihadisme comme l’appelle Gilles Kepel, à travers l’« Appel à la résistance islamiste mondiale » d’Abu Musab Al-Suri. Il s’agit d’un phénomène foncièrement religieux utilisant la lutte armée et non pas d’une entreprise révolutionnaire instrumentalisant la religion : c’est l’Islam qui se remet en marche pour combattre et gagner le monde après une phase historique de replis face aux pouvoirs coloniaux puis aux premiers gouvernements nationalistes indépendants, avant d’investir ceux-ci et de s’allier à eux contre les éléments démocratiques endogènes.
Non seulement nos sociétés sécularisées ont du mal à imaginer la force de la pensée religieuse qui anime le totalitarisme islamiste, mais également, une pensée rationaliste étroite et les tenants d’une idéologie de gauche simpliste ont toujours du mal à assimiler la notion de totalitarisme. La gémellité du bolchevisme et du fascisme analysée très tôt par Marcel Mauss a été refoulée par l’hégémonie communiste. Puis l’antifascisme et ses avatars tardifs jusque dans les années 60 ont entravé la diffusion de la pensée d’Hanna Arendt vulgarisée tardivement par les « nouveaux philosophes » dans les années 70. Enfin, la dérive d’un antiracisme érigé en dogme intangible à partir des années 90 a contrecarré la prise de conscience de l’émergence d’un totalitarisme de troisième type, l’islamisme. Et le clivage a réapparu entre « les deux gauches » autour de la thématique islamiste car le phénomène politique de l’islamisme ouvre de nouvelles perspectives aux orphelins du bolchevisme, ce vieux mouvement politico-mystique de la religion séculière communiste.
Comme par le passé, une certaine gauche qui s’affirme radicale, est prête à verser dans la collaboration. Son pacifisme d’idiots utiles promeut en effet un désarmement tant idéologique que militaire, laissant la voie libre à l’expansion de la domination islamiste. Foin de naïveté, de complaisance à l’égard des coupables et de commémorations compassionnelles passives en attendant « pacifiquement » la prochaine attaque de l’ennemi. La réponse au nouveau totalitarisme passe par le réarmement tant idéologique que militaire.
Renée Fregosi