Paysage de la ville de Stalingrad et de la Volga au moment de la bataille
De l’opération Fall Blau à l’opération Braunschweig
Dans le cadre de la nouvelle offensive d’été allemande sur le Front de l’Est, et au lendemain du coup d’arrêt porté par l’Armée rouge devant Moscou, le Groupe d’Armées B reçoit pour mission de percer dans une immense région au sud de la Russie. Il s’agit de poursuivre les objectifs de l’opération Barbarossa, interrompus par l’hiver et la contre-offensive soviétique dans la région de Moscou. L’espace désormais visé est traversé par un immense fleuve : le Don. Ce dernier se jette en Mer d’Azov en décrivant un large coude situé dans l’axe de progression des forces allemandes. C’est la fameuse « boucle du Don » dont le saillant se rapproche d’un autre fleuve situé plus à l’est : la Volga. C’est sur la Volga, à peu près à la hauteur du saillant que forme le Don, que se trouve la ville de Stalingrad (Volgograd de nos jours).
La percée du Groupe d’Armées B a été planifiée dans une opération de « grand style » qui reçoit le nom de code « Fall Blau » (plan bleu). Cependant, Adolf HITLER (1889-1945) décide de modifier les objectifs de Fall Blau au dernier moment, privilégiant la mainmise sur les gisements pétrolifères du Caucase. À cette fin une grande partie du Groupe d’Armées B est déroutée vers le sud, laissant la VIe Armée du Général Friedrich Wilhelm Ernst PAULUS (1890-1957) quasiment seule dans la boucle du Don. Cette réorientation stratégique des forces allemandes est connue sous le nom d’opération Braunschweig. Elle intervient le 23 juillet 1942, et prive la VIe Armée de l’essentiel de ses moyens mécanisés. Pourtant, PAULUS reçoit la mission de continuer vers l’est afin d’atteindre la Volga et conquérir la ville de Stalingrad.
La VIe Armée marche donc sur Stalingrad, flanquée au nord par la IIIe Armée roumaine, et au sud par la VIIIe Armée italienne et la IVe Panzerarmee du Général Hermann HOTH (1885-1971). Face à elles, les 62e et 64e Armées soviétiques sont commandées par les généraux KOLPATCHKI, GORDOV et TCHOUIKOV. Peu aguerries, constituées de divisions aux effectifs numériquement inférieurs par rapport aux divisions allemandes (1), ces deux grandes unités vont cependant opposer une résistance acharnée qui va considérablement freiner l’avance allemande. Repoussées à l’intérieur et au sud de Stalingrad à la mi-août, elles se battent avec l’énergie du désespoir, mais sont désormais acculées, dos à la Volga. Les renforts seront insuffisants jusqu’en novembre et, facteur tactique aggravant, ils doivent franchir le fleuve pour rejoindre la ligne de front.
Les hommes d’une unité de la DCA allemande nettoyent un quartier sud de Stalingrad. Le silo à grain apparaît à l’arrière-plan
Une bataille urbaine de haute intensité
Les troupes du Général PAULUS atteignent les faubourgs de Stalingrad aux environs du 20 août 1942. La ville est dès lors violemment bombardée par la Luftwaffe qui en détruit 80% du bâti urbain et tue plus de 40 000 civils. La bataille change cependant de physionomie. Aux grandes manoeuvres dans la boucle du Don, succède un combat urbain où la progression est aussi lente que meurtrière. Caractéristique de ce type de combat : la consommation en munition augmente de manière sensible et sollicite une capacité logistique qui a toujours été le point faible de la Wehrmacht. L’horizon et les obstacles qui s’offrent aux combattants n’ont plus rien à voir avec celui de la Blitzkrieg.
Un affrontement résume cette situation tactique : la bataille pour le silo à grain. Construction en béton, haute et massive, ce dernier est situé au sud de Stalingrad qu’il continue de surplomber après qu’une bonne partie de la ville ait été rasée (2). Comme la colline Mamaïev, le silo constitue un de ces rares points hauts névralgiques permettant à la fois à l’aviation de se repérer dans un paysage plat, et à l’artillerie de diriger ses tirs. Dans leur recul pied à pied, les Soviétiques vont, du 16 au 21 septembre, faire de ce silo un point de résistance particulièrement meurtrier pour les Allemands. Pas moins de 200 hommes soutenus par 12 blindés sont nécessaires pour réduire les deux mitrailleuses empêchant son approche. Lorsque les Allemands pénètrent dans le bâtiment après plusieurs jours de combats acharnés et aux prix de lourdes pertes, ils ne trouvent qu’une cinquantaine de cadavres, essentiellement des fusiliers marins.
Combattants soviétiques dans les ruines de Stalingrad
Alors que l’automne commence à se faire sentir, et qu’approche rapidement l’hiver, les combats atteignent une violence inouïe. On se bat jour et nuit dans les rues, les maisons, les usines, jusque dans le réseau d’égoût qui permet de déboucher dans le dos de l’ennemi. Il n’est pas rare qu’un même bâtiment soit occupé dans ses différents étages par Russes et Allemands qui se côtoient à quelques mètres à peine. Les positions changent de mains à plusieurs reprises, et la progression est de l’ordre de quelques mètres seulement. Mines, mitrailleuses, grenades et snipers sont de véritables cauchemars pour l’infanterie, et les pertes humaines sont très élevées de part et d’autre.
Lors d’une contre-attaque pour reprendre un autre point haut névralgique – le Kourgane Mamaïev -, les Soviétiques perdent 10 000 hommes en 24.00 (3). La 13e Division de Fusiliers de la Garde qui a mené l’assaut, afin d’empêcher l’artillerie allemande de s’installer sur cette colline (4), a cessé d’exister au soir de l’affrontement. Comme l’affrontement pour le silo à grain qui se déroule au même moment, l’assaut de la colline Mamaïev permet de comprendre le coût humain global de la confrontation de Stalingrad. Sur Mamaïev, du 16 au 17 septembre, les Soviétiques perdent en moyenne 416 hommes par heure, soit 7 hommes environ - tués ou blessés - toutes les minutes durant 24.00.
De la rive est de la Volga, les Soviétiques appuient avec l’artillerie les débris des 62e et 64e Armées enterrés dans les ruines de la ville. Du moins ces ruines - inaccessibles aux panzer - entravent-elles maintenant la progression de l’infanterie allemande. Au plus fort de son avance, cette dernière parvient, cependant, à contrôler 90% de la ville en surface. Début novembre, HITLER pense avoir remporté la partie face à STALINE. Le drapeau nazi flotte sur Stalingrad et ses défenseurs, de plus en plus affaiblis, sont repoussés dans un réduit de plus en plus étroit avec la Volga dans le dos. Mais alors que l’hiver s’installe, la VIe Armée est elle aussi épuisée. Alors que sa logistique est compromise par la poursuite de l’offensive en direction du Caucase plus au sud, elle ne se doute pas de l’ampleur de la contre-offensive soviétique qui se prépare minutieusement depuis plusieurs mois.
Les opérations Uranus, Saturne et Cercle
Au-delà de l’horizon de la ville, loin vers l’est, troupes et armements s’accumulent dans deux directions offensives, l’une au nord de Stalingrad, l’autre au sud. L’artisan de cette contre-offensive est le Général Gueorgui Konstantinovitch JOUKOV (1896-1974), qui mène l’opération Uranus le 19 novembre 1942. Attaquant loin derrière Stalingrad et la VIe Armée, JOUKOV frappe simultanément les armées roumaine, italienne et hongroise. Mal équipées, notamment en armes antichars, ces dernières sont rapidement submergées et perdent pied isolant brutalement les forces du Général PAULUS.
La progression des armées soviétiques est dès lors fulgurante. Le 23 novembre, soit moins d’une semaine après le déclenchement d’Uranus, les forces du Général Constantin ROKOSSOVSKI au nord, et celles du Général Nikolaï Fiodorovitch VATOUTINE au sud font leur jonction à Kalatch à 70 kilomètres environ à l’ouest de Stalingrad. Dans cette localité se trouve le pont qui permet le passage du Don.
Combattants allemands dans les environs de Stalingrad vers la fin de la bataille
L’initiative a désormais changé de camp. Épuisés par une bataille urbaine meurtrière de trois mois, privés de tout soutien logistique, les soldats allemands sont encerclés et luttent maintenant pour leur survie. La ville de Stalingrad, conquise au 9/10e, devient dorénavant un piège mortel pour la VIe Armée. Refusant toute idée de percée et de retraite, HITLER ordonne une résistance sur place qui sera fatale aux forces de PAULUS. Très vite ces dernières sont asphixiées et n’ont plus les moyens de faire face aux puissants assauts de l’Armée rouge. La Luftwaffe tente de ravitailler le « Kessel » (5) tout en évacuant des dizaines de milliers de blessés (6), mais le pont aérien est définitivement compromis avec la perte des aérodromes de Morozovskaïa et de Tatzinskaïa.
L’opération Wintergewitter (« Tempête d’hiver ») est la dernière chance pour établir une jonction avec la VIe Armée et briser l’encerclement. Du 12 au 23 décembre 1942, le Maréchal Erich von MANSTEIN (1887-1973) organise dans des conditions extrêmement difficiles une contre-offensive de grande ampleur. La IVe Panzerarmee du Général HOTH tente de tracer un couloir d’évacuation pour la VIe Armée, mais l’effondrement de la VIIIe Armée italienne menace, à son tour, l’armée de secours d’un autre encerclement (opération Petite Saturne). Pour se protéger, MANSTEIN est obligé de colmater de toute urgence son flanc droit, et n’a plus les forces nécessaires à la poursuite de Wintergewitter qui échoue donc.
La VIe Armée est désormais à l’agonie. Affamées et privées de munitions les forces allemandes ne peuvent résister à l’étau russe qui se resserre de jour en jour. La 62e Armée, qui reçoit enfin des renforts substantiels, reprend la ville quartier par quartier (7). L’opération Cercle termine la bataille de Stalingrad. Elle débute le dimanche 10 janvier 1943, par un déluge d’artillerie délivré par 7000 canons, mortiers et lance-roquettes. Le dimanche suivant, le dernier aérodrome de Stalingrad, Pitomnik, tombe aux mains des Soviétiques. Les poches de résistance allemandes sont alors liquidées les unes après les autres. Le 31 janvier, le secteur sud capitule. Le Général PAULUS qui vient juste d’être fait Maréchal par HITLER, tombe aux mains des Soviétiques avec son état-major. Le 2 février 1943, c’est le secteur nord qui annonce sa reddition. La bataille de Stalingrad est terminée.
Une victoire soviétique emblématique
Symbole du tournant de la guerre sur le Front de l’Est (8), la bataille de Stalingrad est, encore de nos jours, considérée comme la « mère » de toutes les batailles urbaines. Par sa durée – d’août 1942 à février 1943 -, par la dimension symbolique que les deux dictateurs lui ont donné, par l’acharnement des combats et l’ampleur des pertes humaines aussi bien civiles que militaires, la confrontation figure incontestablement comme l’une des plus grandes et des plus meurtrières batailles de tous les temps.
Victoire soviétique incontestable et décisive, l’affrontement entre dès lors dans l’Histoire avec des chiffres terribles : 490 000 soldats soviétiques ont été tués, 600 000 blessés. 450 000 soldats allemands ont été tués ou blessés, et 94 000 d’entre eux ont été capturés. Seuls 5% rentreront en Allemagne après la guerre. La Wehrmacht a laissé sur le champ de bataille 6000 canons, 1500 blindés, 6000 véhicules. Surtout, les hommes qui ont disparu étaient pour bon nombre des vétérans des campagnes de 1940 et de 1941. Une infanterie d’une grande qualité tactique a été perdue à Stalingrad, et elle ne sera pas remplacée.
Sur la route qui mène cependant à Berlin, de longues années de combats particulièrement meurtriers attendent encore l’Armée soviétique dont aucune autre armée durant le conflit n’aura payé aussi cher la victoire finale. La victoire de Stalingrad illustre cependant la force morale exceptionnelle des soldats de l’Armée rouge.
Distinction "Héros de l’Union soviétique"
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Bibliographie