Le Général Erwin ROMMEL à bord de sa voiture de commandement en 1941, peu après son arrivée en Afrique
El-Alamein et Torch : le basculement de la guerre africaine
La guerre en Afrique du Nord a surtout retenu le nom du Général allemand Erwin JE. ROMMEL (1891-1944) - surnommé le « Renard du désert » - associé à celui de sa grande unité : le Deutsches Afrika Korps (DAK). C’est oublier le rôle important joué initialement par l’Italie dans l’élargissement du conflit au continent africain. C’est oublier également que le DAK était au départ placé sous commandement italien même si les généraux allemands avaient dans les faits leur autonomie opérationnelle.
C’était HITLER, in fine, qui tranchait en cas de désaccord avec les Italiens. L’infériorité de l’armée italienne et sa faiblesse combative face aux Britanniques – raison qui déclencha l’intervention du DAK en Libye en février 1941 – laissa, de facto, la plus grande liberté au commandement allemand qui insuffla le véritable tempo des opérations jusqu’en 1943.
À cette date, l’initiative stratégique n’est, cependant, plus du côté des forces germano-italiennes. La bataille d’El-Alamein (opérations Lightfoot et Supercharge) en octobre-novembre 1942 vient de saigner à blanc l’Afrika Korps. En dépit de sa supériorité tactique et des lourdes pertes infligées aux troupes anglaises et leurs alliés du Commonwealth, le DAK perd la plus grande partie de son fer de lance blindé dans la confrontation : seule une cinquantaine de panzer est encore en état de combattre sur les 220 engagés.
ROMMEL est contraint de battre en retraite à travers la Libye et, bientôt, de se réfugier au-delà en Tunisie. L’Égypte est définitivement sauvée d’autant plus que le 8 novembre intervient le premier grand débarquement allié à l’opposé du même théâtre d’opérations, dans les territoires français d’Algérie et du protectorat marocain. C’est l’opération Torch qui voit l’engagement massif des forces armées américaines. Ces dernières prennent désormais à revers les forces allemandes.
Le réduit tunisien
Sous l’effet de la pression américaine en provenance de l’ouest et celle des Britanniques en provenance de l’est, le centre de gravité de la campagne se déplace en Tunisie. Cette dernière est rapidement transformée en un réduit défensif, qui reçoit encore des renforts importants en provenance d’Italie et de Sicile. Ainsi, fin novembre, les premiers chars Tigre I débarquent sur le sol africain. Une trentaine parviendront ainsi à ROMMEL sans grand espoir de renverser la situation stratégique ni de pouvoir être rembarqués vers l’Europe. Les alliés n’ont, cependant, aucun blindé à opposer à ces monstres de 57 tonnes. Armés du canon KwK 36 L/56 de 88 mm, les Tigre allemands surclassent tous les chars américains et britanniques alors présents, mais leur supériorité tactique est d’emblée condamnée par leur faible nombre, les pannes mécaniques, l’insuffisance logistique et la pénurie de carburant qui touchent l’Afrika Korps.
Si la supériorité aérienne et navale des Anglais affecte sensiblement les lignes de ravitaillement germano-italiennes, 100 000 combattants allemands sont encore présents sur le sol tunisien en janvier 1943, sans compter les forces italiennes. Alors que le Général Hans-Jürgen von ARNIM (1889-1962) organise la défense d’une partie de la Tunisie à l’est d’une ligne allant du Cap Serrat au nord à Gafsa au centre, ROMMEL s’établit sur la Ligne Mareth (1) où il mène des combats défensifs et retardateurs meurtriers pour les Britanniques qui le talonnent.
Les Allemands excellent dans ces affrontements qui leur permettent de contrebalancer en partie la supériorité matérielle de leurs adversaires anglo-américains. Ils ont surtout, en 1943, une longue expérience de la guerre en Afrique du Nord où les espaces, désertiques et immenses, imposent une guerre de mouvement. ROMMEL a lui-même théorisé la tactique de la guerre mécanisée dans un tel espace, y transposant par analogie avec une bataille navale les mouvements des unités, la recherche de l’ennemi et la destruction de ses lignes de ravitaillement.
Sur le théâtre d’opération nord-africain, les routes principales sont essentiellement situées sur les plaines littorales qu’il faut contrôler. Ces dernières assurent les liaisons avec le territoire « utile », c’est-à-dire les régions non désertiques où se situent les infrastructures économiques et les rares villes qui, souvent, sont aussi des ports. Dans cet environnement, les mouvements nécessitent une organisation logistique d’autant plus efficace qu’une armée devra avancer sur de très longues distances (2). D’où ce paradoxe : la victoire aura pour conséquence une élongation sensible des lignes de ravitaillement qui désavantagera le vainqueur en l’éloignant de ses dépôts. Dans le même temps, l’adversaire obéira au mouvement inverse à savoir que le raccourcissement de ses flux logistiques lui redonnera une souplesse et un avantage tactiques. Cependant, à la fin de l’année 1942, au lendemain de la bataille d’El-Alamein et du débarquement du 8 novembre, la supériorité matérielle des alliés est en train de rompre cette logique pendulaire. Quelle que soit la concentration des forces de l’Axe dans le réduit tunisien, ROMMEL et von ARNIM sont sur le point d’être séparés par la poussée américaine venue de l’ouest, et qui va bientôt déboucher dans la plaine tunisienne.
La contre-offensive allemande
Le nord-ouest de la Tunisie se présente, en effet, comme un ensemble montagneux que l’on appelle la dorsale tunisienne. Il s’agit du prolongement de l’Atlas saharien dont l’alignement des différents monts (djebel) sur une direction générale sud-ouest/nord-est ne peut être franchi qu’en tenant des défilés que l’on appelle aussi des passes. C’est autour de l’une de ces passes, située non loin de la ville de Kasserine, que devait avoir lieu la dernière grande offensive de ROMMEL en Afrique du Nord.
La bataille de la passe de Kasserine débute le 19 février 1943 et s’achève le 25 février. Elle s’inscrit dans un ensemble de combats que livre déjà von ARNIM au nord pour bloquer les défilés de la dorsale tunisienne. Afin de raccourcir ses lignes de ravitaillement et de bloquer la progression du 2e corps américain commandé par le Général Lloyd FREDENDALL (1883-1963), ROMMEL décide de lancer une puissante offensive au sud, avec une force rebaptisée Ire Armée italienne. Cependant, derrière cette nouvelle appellation, se cachent les restes particulièrement aguerris de la Panzerarmee Afrika. Les Allemands visent le secteur de la ville de Gafsa, et déterminent rapidement le défilé de Kasserine comme le point d’effort de la bataille qui permettrait de menacer directement les dépôts logistiques américains, notamment celui de Tébessa. On l’aura compris : les défilés sont autant de verrous permettant le contrôle des quelques routes. Leur maîtrise se joue sur les points hauts environnants et nécessite une infanterie aguerrie.
Après des reconnaissances en force qui démarrent le 19, ROMMEL lance une attaque dans les règles de l’art le 20. Le 2e corps US est rapidement enfoncé et dispersé. Mal commandé, il est fragmenté sur un terrain où l’adversaire allemand montre sa pleine maîtrise de la manœuvre en dépit d’un relief contraignant. Souples, rapides et mobiles, les forces de ROMMEL sont articulées autour des derniers blindés Panzer IV et, surtout, Tigre I, qui surclassent tous les chars alliés alors présents sur le champ de bataille. La confrontation tourne au carnage pour les Gi’s. Les panzer anéantissent 315 blindés alliés pour la perte de 34 engins allemands seulement. Sous le choc, les soldats américains cèdent à la panique et des unités entières fuient en abandonnant sur place leur matériel lourd. 706 jeeps, GMC, half-track et véhicules divers sont perdus. Beaucoup seront bientôt réutilisés par les Allemands en remplacement des véhicules que ces derniers n’auront pu faire venir de Sicile.
Une déroute américaine sans lendemain
Les troupes américaines reculent de 80 km, mais l’extension des lignes de ravitaillement côté allemand, ainsi que le renforcement de l’artillerie alliée, stoppent l’avancée de ROMMEL. Cette offensive a par ailleurs dangereusement affaibli la Ligne Mareth face à la VIIIe Armée britannique du Général Bernard L. MONTGOMERY (1887-1976). Les Allemands n’ont alors pas d’autre choix que de se replier rapidement, ce qui fait de Kasserine un succès tactique sans lendemain. Certes, la propagande nazie ne manque pas d’exploiter l’image des 3700 prisonniers américains démoralisés et mâchant du « kaugummi ». Au lendemain de la confrontation, elle accentue l’idée que la valeur combative des soldats américains reste très inférieure à celle des combattants allemands aryens. Le thème de la défense de la « Citadelle Europe » contre la « barbarie asiatique » venue de l’Est et la « dégénérescence » venue d’Outre-Atlantique trouve désormais sa pleine illustration.
C’est que la bataille de Kasserine a été la première confrontation entre Allemands et Américains. Désastreuse pour ces derniers, elle est suivie d’une série de mesures radicales : le Général FREDENDALL est relevé de son commandement pour incompétence. Il est remplacé par le Général George S. PATTON (1885-1945) à qui incombe désormais la mission d’aguerrir les forces américaines et d’en redresser le moral. L’échec est analysé dans le détail par l’état-major de l’US Army afin d’améliorer rapidement l’efficacité de ses forces terrestres : dimension interarmes et interarmées du combat, rôle accru du soutien de l’artillerie… De nouveaux matériels, notamment blindés, sont déjà à l’étude pour permettre d’affronter avec plus de succès les chars allemands. Kasserine fut, donc, le galop d’essai douloureux mais nécessaire à une armée américaine en plein apprentissage.
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Bibliographie