Le théâtre d’opération Pacifique : un immense espace aéromaritime
Le théâtre des opérations dans le Pacifique présente une géographie essentiellement insulaire, où la conquête des grands archipels est avant tout conditionnée par le contrôle d’aérodromes et de bases navales. Ces derniers, parfois très isolés, sont autant de points d’appui indispensables non seulement pour soutenir directement les combats, mais aussi pour assurer les flux logistiques sur un espace aéromaritime immense s’étendant sur sept fuseaux horaires. Au plus fort de son expansion, l’état-major japonais devait planifier des objectifs situés jusqu’à 9000 km de distance de Tokyo.
Jusqu’au début de l’année 1943 (fin de la bataille de Guadalcanal), la dynamique est encore à l’offensive pour le Japon. Certes, les batailles de la Mer de Corail (mai 1942), de Midway (juin) et des îles Santa-Cruz (octobre) ont porté des coups sévères à l’aéronavale japonaise. Les Japonais commencent à percevoir la difficulté de la confrontation avec les Etats-Unis, mais en donnant la priorité stratégique à la lutte contre l’Allemagne (« Germany first ») ces derniers ne peuvent encore donner leur pleine mesure face au Japon. Le Général Douglas McARTHUR (1880-1964), commandant le South West Pacific Area (SWPA) manque cruellement de moyens à la fois en hommes, en avions et en navires qu’il dispute à l’autre grand commandement du théâtre : celui de la Flotte du Pacifique. Par la force des choses, McARTHUR temporise donc, essayant de gagner du temps et laissant encore aux Japonais une certaine initiative.
La victoire américaine à Guadalcanal (février 1943) déplace ainsi les combats en Nouvelle-Guinée où les Japonais tentent depuis juillet 1942 de prendre Port-Moresby par voie de terre (offensive de la piste Kokoda). En dépit des revers évoqués, l’Armée impériale n’en demeure pas moins encore aux portes de l’Australie à cette date. Si elle n’a pas les moyens d’opérer une conquête en règle du sous-continent australien, la menace qu’elle laisse planer reste prise très au sérieux par le commandement allié. En fait, c’est moins l’invasion de l’Australie qui est recherchée par le Japon que son isolement stratégique. Un isolement qui aurait privé les Etats-Unis de leur dernier grand appui en Asie, et aurait grandement compliqué la poursuite de leurs opérations dans le Pacifique.
Après l’échec de Port-Moresby : défendre les bases navales de Lae et Salamaua pour les Japonais
La coûteuse campagne de Buna (novembre 1942-janvier 1943) n’est pas à l’honneur du Général McARTHUR, mais elle sauve Port-Moresby. Se repliant vers le nord de la Nouvelle-Guinée, les Japonais comprennent que les prochains objectifs des alliés seront les bases navales de Lae et de Salamaua situées sur la façade nord-est de l’île. La menace venant de l’intérieur des terres, ils se lancent à la conquête d’une petite localité perdue dans la jungle à une cinquantaine de kilomètres au sud de Lae : Wau. Verrou permettant de bloquer l’avance alliée vers les deux bases navales, Wau va concentrer, dès janvier, les combats entre la 51e division d’infanterie japonaise et des renforts australiens amenés de toute urgence pour tenir l’aérodrome.
Comme à Guadalcanal, c’est à celui qui réussira à convoyer le plus de moyens sur place tout en privant l’adversaire de renforts, qui aura le dernier mot. D’emblée, les Japonais réalisent d’importants efforts en organisant des convois navals devant amener en Nouvelle-Guinée des milliers de combattants supplémentaires des îles Truk et de Rabaul (Nouvelle-Bretagne), base navale majeure et quartier général de la 17e Armée. Ces convois ont pour point de passage obligé la Mer de Bismarck qui baigne l’archipel du même nom situé dans le prolongement des îles Salomon. Mais les intentions japonaises sont, une fois de plus, percées par les renseignements alliés qui acquièrent la certitude de l’arrivée d’un convoi japonais à Lae début mars.
La course à la montre est donc engagée des deux côtés, les alliés intensifiant leurs vols de détection au-dessus de la Mer de Bismarck tandis que le convoi japonais, parti de Rabaul - où il était concentré le 28 février et profitant d’une tempête tropicale - espère rallier le plus rapidement possible la base navale de Lae. 7000 hommes environ sont embarqués sur 8 transports de troupes et 8 destroyers d’escorte. Il n’y a pas de porte-avions mais aux approches de Lae près d’une centaine de chasseurs Mitsubishi A6M Zero assureront la couverture aérienne.
Protégée durant une partie de la traversée par le mauvais temps, la force navale japonaise est cependant repérée le 2 mars non loin du Cap Gloucester alors qu’elle s’apprêtait à entrer dans le détroit de Vitiaz. C’est également à ce moment qu’elle entre dans la zone couverte par le rayon d’action des appareils de la 5th United States Army Air Force et de la Royal Air Force australienne. Le convoi japonais est aussitôt attaqué par tout ce que les Américains et les Australiens peuvent envoyer dans ce secteur en bombardiers lourds et moyens : B-17 Flying fortress, B-25 Mitchell, A-20 Havoc, Bristol Beaufighter. La chasse nippone tente vainement de s’interposer, mais sur les 95 appareils qu’elle engage dans la bataille 85 sont abattus par les chasseurs lourds américains P-38 Lightning. La bataille cesse le 4 mars lorsque le dernier des 8 troopers japonais est envoyé par le fond. Tout le convoi a été coulé et, avec lui, la plus grande partie de son escorte (6 destroyers sur 8). Des milliers d’hommes destinés à renforcer la 51e division d’infanterie ont disparu en mer. Seuls 800 survivants sont repêchés et ramenés à Lae.
Un North American B-25 Mitchell bombarde un bâtiment japonais à hauteur de mât (mast height attack). Ce type de bombardement comme ceux faisant ricocher les bombes à la surface de l’eau furent particulièrement efficaces durant cette bataille.
Une victoire américaine décisive
La bataille de la Mer de Bismarck est une victoire décisive qui - à la suite des succès de Midway, Guadalcanal et Port-Moresby - confirme que le Japon n’a plus l’initiative stratégique. Plus qu’un désastre militaire pour l’Armée et la Marine de l’Empire, elle révèle les incohérences stratégiques du Japon comme les limites d’un conflit qu’il a déclenché sans avoir l’assise économique et industrielle adaptée. Ceci au moment où les premiers effets du Victory program commencent à se faire sentir. La situation est d’autant plus inquiétante pour le Japon qu’un peu plus d’un an après Pearl Harbor, les États-Unis - dont les moyens restent encore comptés dans le Pacifique - ont été capables de porter des coups d’arrêt significatifs tout en portant le poids d’une autre guerre en Afrique du Nord et bientôt en Europe.
La montée en puissance américaine n’est cependant pas uniquement quantitative. Certes, dans la Mer de Bismarck la défense japonaise a été débordée par des vagues de bombardiers alliés, mais - fait plus inquiétant - l’anéantissement de la couverture aérienne du convoi pour des pertes sans commune mesure côté américain illustre un net décrochage qualitatif de la chasse nippone. Non seulement les nouveaux chasseurs déployés par l’USAAF sont incontestablement plus puissants et mieux armés que des appareils japonais - qui ont peu évolué depuis le début de la guerre -, mais les pilotes américains sont également mieux formés et de plus en plus expérimentés face à un corps de pilotes japonais en situation d’hémorragie depuis les batailles de la Mer de Corail et de Midway.
La bataille de la Mer de Bismarck est aussi un soulagement pour les Américains et, plus particulièrement, pour le Général McARTHUR qui y trouve sa première grande victoire incontestable depuis les heures sombres de 1941. Les félicitations affluent de partout à commencer par celles de ROOSEVELT et de CHURCHILL. Ce succès ne pouvait être, par ailleurs, plus opportun pour réclamer de nouveaux moyens âprement disputés aux opérations en Europe/Afrique et - dans le Pacifique - à l’US Navy des amiraux Ernest KING (1878-1956) et Chester NIMITZ (1885-1966).
Surtout, cette victoire stratégique met en relief le rôle clé joué par le Général George C. KENNEY (1889-1977), commandant la 5th USAAF. Bien moins célèbre que son orgueilleux supérieur, Douglas MACCARTHUR, KENNEY fut pourtant l’artisan de cette victoire décisive en réalisant un pont aérien efficace sur Wau, et en permettant l’interception du convoi japonais. Officier de l’Army pressentant ce que sera bientôt la puissance aérienne, le Général KENNEY est l’ardent partisan d’une armée de l’Air indépendante de l’US Army, ce qui sera une réalité à partir de 1947 avec la création de l’US Air Force (USAF). Rival de McARTHUR - qui méprisait encore l’aviation au début du conflit -, il est pourtant rappelé par celui-ci qui lui demandera de réorganiser les moyens aériens du SWPA en 1942. Ce dont s’acquittera KENNEY avec succès, et lui vaudra la confiance du commandant suprême jusqu’à la fin de la guerre.
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Bibliographie
Le Général George C. KENNEY
Composée en 1938 par Robert M. CRAWFORD (1899-1961) sous le titre "Army Air Corps" puis "Army Air Force" durant la Deuxième Guerre mondiale, cette musique devient en 1947 la marche et le chant officiels de la nouvelle US Air Force sous le titre de Wild blue yonder.