FRANÇOIS (Didier), "Amiral Isnard : « Nous rechercherons les terroristes partout où ils se trouvent », in Le Figaro, 12 janvier 2018.
Depuis septembre 2016, l’amiral Laurent Isnard est à la tête du Commandement des opérations spéciales (COS). Il nous explique en exclusivité la logique de nos forces spéciales pour anéantir le danger islamiste.
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Le Figaro Magazine - Les Français connaissent l’opération Barkhane, 4000 soldats déployés dans le Sahel pour empêcher les groupes terroristes d’y reconstituer une base arrière. L’opération Sabre a été déclenchée il y a déjà quatre ans sans que personne n’en entende parler. Amiral Isnard, vous commandez cette opération très discrète. Quel est son objectif ?
Amiral ISNARD - Sabre est une opération menée exclusivement par les forces spéciales pour chasser les terroristes qui sont cachés dans la bande sahélienne. Nous travaillons en petits groupes dont la mission est de trouver les terroristes, de les traquer et de les capturer pour les ramener afin qu’ils soient jugés par les autorités locales.
Le mot-clé, c’est la complémentarité. Barkhane assure un contrôle de zone dans la durée, opère avec les forces armées des pays partenaires du G5 Sahel, et soutient la MINUSMA. Barkhane, c’est l’opération qui permet de ne laisser aucune zone sans présence durable, qui empêche la réinstallation des terroristes et favorise le développement au profit de la population. Les terroristes évitent les forces françaises et il ne doit y avoir aucun sanctuaire pour eux. C’est pourquoi nous, forces spéciales, allons les chercher partout où ils sont. Notre rôle est de placer les terroristes en situation d’insécurité, de les obliger à se cacher, ce qui laisse du temps aux autorités locales pour rétablir leur souveraineté sur l’ensemble de leur territoire.
Oui, dès qu’on a un renseignement sur des terroristes - qui peut venir des drones ou de la population -, on monte à bord de nos hélicoptères ou de nos véhicules et on mène une opération commando pour les arrêter. Il faut aller très vite parce qu’ils se déplacent beaucoup. Et, comme ils savent qu’ils sont recherchés, ils se cachent. Ils ne font que poser des mines sur des pistes, tirer au mortier à distance, racketter des gens sur les marchés, mais jamais ils ne viennent nous attaquer de front. Ils sont toujours cachés et c’est difficile de les trouver. Mais c’est notre métier.
On applique le droit de la guerre. C’est-à-dire que, lorsqu’une personne se rend, on la fait prisonnière. Si la personne nous tire dessus, on la neutralise. On ne tire pas sur quelqu’un sans motif, d’autant que c’est une guerre dont le but est de rétablir l’Etat de droit. Nous devons donc appliquer le droit international, sans quoi nous serions hors la loi. Aussi, dès qu’on fait un prisonnier, on le remet aux autorités locales, en présence d’organismes qui vérifient la bonne application du droit et le respect dans le traitement des personnes interpellées.
Oui, parce qu’ils nous ont tiré dessus malgré les sommations qu’on leur avait faites. Cela dit, on en a quand même arrêté beaucoup. En fait, la majorité s’est rendue. Alors, c’est vrai qu’ils ne sont pas tous du même niveau. Vous avez des cadres terroristes et vous avez des personnels recrutés localement, qui prennent une arme contre une petite somme d’argent. Ce qui n’est pas du terrorisme de grande dimension. Les plus nuisibles, ce sont ces cadres capables de recruter, de financer et d’organiser des trafics, des filières pour pouvoir exporter leur menace par la suite.
Oui. Chez ceux-là, il y en a très peu qui se rendent.
Rappelez-vous : en 2013, ils se déplaçaient en colonnes avec leurs drapeaux et menaçaient de partir à la conquête de la région, croyant qu’ils étaient en terrain libre où ils pouvaient se permettre de faire ce qu’ils voulaient. Ils ont perdu leurs capacités à mener de grandes offensives. Les terroristes s’adaptent cependant et, face à ces évolutions, Barkhane mène des opérations en continu, dans la durée, en plein partenariat avec les forces armées locales. Les forces spéciales sont sur un tempo différent. On est sur un geste très technique, qui demande beaucoup de mobilité, beaucoup d’agilité pour prendre un terroriste qui maintenant se cache et agit comme un partisan. Il faut donc réagir en boucle très courte. Dès qu’un renseignement arrive, la force Sabre établit un scénario d’engagement qui me remonte extrêmement rapidement à Paris et, dans les minutes qui suivent, j’arrive à obtenir une décision pour l’engagement. Je crois que c’est le premier atout des opérations spéciales : avoir une chaîne de commandement entre le président de la République, le chef d’état-major des armées et le chef des forces spéciales qui soit la plus courte qui existe.
Vous voyez bien que, dans ce combat, la France n’est pas seule. Elle agit en coordination avec ses alliés, soit en coalition, soit en bilatéral. Notre objectif, c’est de détruire Daech et les combattants étrangers. Donc, nous suivons leurs positions et nous adaptons notre dispositif en conséquence.
Tant qu’on les oblige à se terrer ici, ils ne sont pas en mesure de projeter leur terreur et leur nuisance à l’étranger. Le terrorisme, c’est avant tout une attaque psychologique qui essaye, par la terreur, de vous imposer certaines idées, de casser votre société, vos références. Nous, en leur portant des coups régulièrement, on les empêche d’exporter cette terreur. L’objectif est de les empêcher de diffuser leurs messages morbides et leurs pratiques barbares. Toutes les forces françaises déployées sont la première ligne de défense du pays, pour freiner les actions terroristes. Sinon, tout se passerait chez nous.
Didier François