Isabelle LASSERRE, « Le monde entier s’arme, sauf l’Europe », in Le Figaro, 5 janvier 2017.
Rares sont les pays européens de l’OTAN qui respectent l’engagement, pourtant réitéré à chaque sommet de l’Alliance, de consacrer 2% de leur produit intérieur brut à leur défense. En matière de défense, l’Europe a longtemps habité le monde des bisounours, cet univers de coton et de douceur qu’affectent tant les démocraties occidentales. À l’abri du parapluie militaire américain depuis 1945, persuadée de l’imminence de la fin de l’histoire depuis la chute du communisme, elle s’est nourrie des dividendes de la paix, lovée sur elle-même, persuadée de la supériorité du bien-être social sur les questions de défense et de sécurité. Après des années de réduction des budgets de défense, le réveil impérialiste de la Russie et le terrorisme islamique ont tiré l’Europe de son sommeil.
Sous l’influence des chefs militaires, François Hollande a enrayé la baisse du budget de la défense, qui menaçait à terme la cohérence du modèle français des forces armées. Grâce à Vladimir Poutine, les pays d’Europe de l’Est, Baltes en tête, ont cassé leur tirelire pour investir dans la défense. « Grâce » à Daech, l’Allemagne, qui depuis la Seconde Guerre mondiale s’était engagée dans un processus de désarmement continu, a amorcé un changement de mentalité. Ce n’est encore qu’un frémissement. Rares sont les pays européens de l’OTAN qui respectent, en effet, l’engagement, pourtant réitéré à chaque sommet de l’Alliance, de consacrer 2% de leur produit intérieur brut à leur défense.
Ce réveil est à la fois tardif et insuffisant, en tout cas si on le compare à la gravité des menaces qui pèsent sur le Vieux Continent et sur la France. Selon le chef d’état-major des armées françaises, elles sont au nombre de deux : le retour des États-puissances et le terrorisme islamiste radical. Aucune de ces deux menaces, prévient-il, ne faiblira dans les années qui viennent. Même si Daech finit par être vaincu par la coalition internationale au Levant. Ancien empire colonial, puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, engagée sur plusieurs fronts extérieurs à la fois, la France est sans doute le seul pays conscient de la nécessité de lutter simultanément contre ces deux menaces à la fois. L’est de l’Europe s’inquiète surtout du retour de la puissance russe. Le sud du continent est avant tout préoccupé par la menace terroriste. Cet écart d’approche entre le sud et l’est du continent génère des différences d’appréciation qui nuisent à l’efficacité de la défense de l’ensemble européen.
Électrochoc
Pendant que l’Europe débat du bien-fondé ou non de renforcer sa défense ou s’oppose sur la dangerosité des périls, le monde, lui, se réarme à grande vitesse. À l’est, la Russie a considérablement augmenté son budget de la défense au cours des dernières années. Elle modernise sa dissuasion nucléaire, développe sa marine et renforce ses forces conventionnelles. Dans un monde de plus en plus instable et dangereux, toutes les puissances investissent massivement dans la force militaire. La Chine, l’Inde, le Pakistan et le Japon en Asie. Mais aussi la Corée du Nord, dont le président dictateur a annoncé le 31 décembre qu’elle avait désormais acquis le statut de puissance nucléaire. Le réarmement est aussi très sensible au Moyen-Orient où l’Arabie saoudite, l’Égypte, les États du Golfe mais aussi l’Iran et tous les pays proches du Levant réagissent à l’instabilité et au chaos régional.
« Nous sommes en guerre », a coutume de répéter le chef d’état-major. « Or on ne gagne pas une guerre sans effort de guerre. C’est le prix de la paix. » Les Européens ont longtemps oublié que l’Histoire pouvait être tragique. Mais l’électrochoc pourrait venir d’outre-Atlantique dès cette année. « La dérive des continents qui pousse l’Amérique vers l’Asie va s’accélérer avec Trump. Il est possible que l’Europe sente alors la nécessité de récupérer son autonomie stratégique. Il lui faudra alors organiser la défense de l’Europe », pronostique le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre.
Isabelle Lasserre