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D-Day : quand l’émotion médiatique remplace l’Histoire

Jean-Pierre LE GOFF, « D-Day : quand l’émotion remplace l’Histoire », in Le Figaro, 6 juin 2014.

Article mis en ligne le 6 janvier 2017
dernière modification le 11 novembre 2020

par Nghia NGUYEN

Alors que l’anniversaire du D-Day est célébré en grande pompe, le sociologue Jean-Pierre Le Goff dénonce une relecture de la bataille de Normandie à l’aune de l’individualisme victimaire et met en garde contre les dérives du devoir de mémoire. Jean-Pierre Le Goff est sociologue, son dernier ouvrage La fin du village. Une histoire française a été publié chez Gallimard.

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FigaroVox - Qu’est-ce qui vous choque dans la manière dont est célébré l’anniversaire du débarquement aujourd’hui ?

Jean-Pierre Le Goff - Après tant d’années, il est normal et juste de reconnaitre les victimes civiles de la bataille de Normandie. Mais certains commentaires médiatiques m’ont rendu mal à l’aise. Je suis moi-même originaire de Normandie, ma jeunesse a baigné dans les récits et les souvenirs de la Libération qu’on racontait dans les familles, les visites dominicales des premiers musées des plages du débarquement. Des membres de ma famille ont été « pris sous les bombardements » en cherchant à se réfugier dans la campagne ; on évoquait avec douleur et tristesse les terribles bombardements de Caen et de Saint-Lô qui ont fait tant de victimes civiles. Mais je n’ai jamais entendu à l’époque des commentaires comme ceux d’aujourd’hui. Si la guerre était considérée comme un mal, c’était un mal nécessaire pour chasser l’occupant, et le fait qu’il y ait des victimes civiles était quelque chose de douloureux et tragique, mais ce tragique s’intégrait aux conditions mêmes de la guerre et à une conception de la vie qui donnait sa place au sacrifice, affrontait la mort comme une donnée de la condition humaine. Le contraste est frappant entre cette conception et la relecture de la bataille de Normandie à l’aune du nouveau monde du XXIe siècle et du nouvel individualisme victimaire.

  • Une lecture victimaire qui passe par le devoir de mémoire…

En effet, cela passe notamment par un discours éducatif adressé aux jeunes générations. Dans ma jeunesse, les premières bandes dessinées traitant de ce sujet mettaient en avant les héros combattants. Aujourd’hui, on cherche à intéresser les jeunes à l’histoire par le récit des faits et gestes de la vie quotidienne, en érigeant la souffrance et l’émotion en valeurs cardinales. On tend à transformer les victimes en héros, le tout sur fond d’un pacifisme rempli de bons sentiments. En lieu et place de l’enseignement de l’histoire, on fait peser sur les enfants un « devoir de mémoire », le poids d’une émotion et de souvenirs qui ne sont pas de leur âge et qu’il est, pour le moins, difficile pour eux d’assumer. Une tendance qui avait atteint son paroxysme avec la volonté de l’ancien président Nicolas Sarkozy d’initier un « parrainage » d’enfants juifs déportés par des élèves, tentative rapidement abandonnée, fort heureusement. Lorsque l’histoire cède le pas au devoir de mémoire médiatique, l’évènement est aussi vite commémoré qu’oublié, il passe vite dans l’essoreuse à idées médiatique qui se nourrit du spectaculaire, de l’émotion et recherche toujours du nouveau.

  • En quoi cette nouvelle mentalité est-elle problématique ? Finalement, cette nouvelle sensibilité aux victimes de l’histoire n’est-elle pas une bonne nouvelle ?

Il me semble que ce nouvel ethos est problématique dans la mesure où nous sommes confrontés au développement du terrorisme et de nouvelles menaces. Le contraste est là aussi frappant entre cette mentalité sentimentale, pacifiste, et ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine ou en Syrie. La déconnection de l’histoire, avec ce qu’elle implique de tragique, et la dépolitisation nous désarment face aux nouveaux défis du XXIè siècle. On ne reviendra pas en arrière, mais je crois qu’il est important de porter un regard critique sur cette lame de fond sentimentaliste et victimaire qui concerne non seulement la France, mais une bonne partie des pays de l’Union européenne. Pour cela, il ne faut pas craindre d’affronter la nouvelle bien-pensance et le nouvel ordre moral médiatique. C’est la condition d’un renouveau d’une dynamique démocratique qui ne fonctionne pas à l’émotion mais trouve ses ressources dans une citoyenneté éclairée à l’aune de la raison, en s’appuyant sur l’héritage précieux de ceux qui ont combattu et sont morts pour la liberté.

Propos recueillis par Eugénie Bastié

 


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