Peinture anonyme de 1918 montrant le moment où la délégation allemande se présente devant la délégation alliée à Rethondes. Le Maréchal Ferdinand FOCH se tient face au représentant allemand Matthias ERZBERGER (debout de dos).
L’effondrement de l’Allemagne en 1918
L’année 1918 voit la reprise de la guerre de mouvement avec la sortie du conflit de la Russie. La paix séparée signée à Brest-Litovsk le 3 mars 1918 permet à l’Allemagne de concentrer ses dernières forces dans une grande offensive sur le front occidental (1). La Kaiserschlacht – ou bataille de l’Empereur – va durer de mars à juillet 1918 ; période durant laquelle l’Armée impériale va lancer trois offensives meurtrières ayant pour objectif de rompre le front allié, et d’emporter la décision avant que la montée en puissance américaine ne remette en cause le rapport de force.
Ces offensives du printemps 1918 sont cependant un échec. Alors que le Reich venait de perdre 1 million d’hommes en quelques mois, le front occidental n’était toujours pas rompu. Pire, les effectifs américains ne cessent d’augmenter dans le même temps : au nombre de 300 000 en mars 1918, les Sammies étaient désormais 1,8 million sur le sol français en octobre. L’initiative est désormais dans le camp allié, et le Grand Quartier Général allemand (GQG) - commandé par le Maréchal Paul von HINDENBURG (1847-1934) et le Général Erich LUDENDORFF (1865-1937) – acquiert la conviction d’une défaite inéluctable dès le mois d’août. Durant le mois de septembre, HINDENBURG et son chef d’état-major révèlent au gouvernement allemand la gravité de la situation militaire, et demandent l’engagement immédiat de pourparlers en vue de conclure un armistice.
À partir de ce moment, la situation se détériore rapidement ouvrant une crise décisive. Le 14 septembre, le Reich austro-hongrois demande l’armistice et le 29 c’est la Bulgarie qui sort du conflit. La crise militaire entre alors en résonnance avec une crise politique bien plus grave : la population allemande ne comprenant plus le sens des sacrifices humains et économiques à fournir. L’incompréhension d’une défaite imminente filtrant de manière aussi soudaine, se transforme dès le mois d’octobre en une véritable colère populaire tournée contre le régime impérial.
Refusant les clauses de l’armistice présentées par les alliés, l’Empereur Guillaume II (1859-1941) ne fait qu’attiser cette colère, qui se mue en une véritable révolution. Le 27 octobre, les socialistes demandent l’abdication du Kaiser et le 3 novembre les équipages de la Flotte et des dépôts de l’arsenal de Kiel se mutinent. Récupérée par la gauche communiste (2), l’agitation gagne rapidement toute l’Allemagne laissant craindre une révolution comme celle qui se produisit un an auparavant en Russie. Le 9 novembre, à Berlin, alors que LIEBKNECHT proclame la « République socialiste libre », Guillaume II abdique et part en exil en Hollande. Réfugié à Spa auprès du GQG, le Kaiser espérait encore écraser la révolution berlinoise, mais en dépit de son attachement à l’Empire l’état-major lui fit savoir que les troupes ne le suivrait pas. Devant cette double impasse – militaire et politique - poursuivre les hostilités n’avait plus de sens.
L’armistice du 11 novembre 1918
Il revint donc aux fragiles autorités politiques du moment de signer un armistice dont les conditions n’avaient pu être adoucies faute de temps pour négocier avec les alliés. C’est à Matthias ERZBERGER (1875-1921) que revint la lourde responsabilité de signer le document préparé par le Maréchal Ferdinand FOCH (1851-1929) et les gouvernements alliés (3). Le 7 novembre, à Haudroy (Aisne), le caporal Pierre SELLIER (1892-1949) du 171e Régiment d’infanterie entre dans l’Histoire en sonnant au clairon le cessez-le-feu qui permet à la délégation allemande de traverser les lignes pour rejoindre le Maréchal FOCH dans la forêt de Compiègne dans la nuit du 10 au 11 novembre 1918. C’est au carrefour forestier de Rethondes, dans le wagon-salon 2419 D du train français (4) qu’ERZBERGER signe donc l’armistice aux environs de 5.15 du matin.
D’abord militaires, les conditions de l’armistice prévoient d’emblée l’impossibilité pour l’Allemagne de reprendre le conflit : 5000 pièces d’artillerie, 25 000 mitrailleuses, 1700 avions, l’ensemble de la flotte sous-marine et de la Hochseeflotte (5) devaient être immédiatement livrés aux alliés. Tous les territoires occupés en Belgique et en France – à commencer par l’Alsace-Lorraine – devaient être évacués par l’Armée impériale, ainsi qu’une bande de territoire de 10 km de profondeur sur la rive allemande du Rhin. Par ces conditions, FOCH entendait mettre l’Allemagne « à la merci des vainqueurs » ; ceux-ci devant pouvoir reprendre une offensive jusqu’à Berlin s’il le fallait. Sur le plan politique, l’armistice annule les traités de Brest-Litovsk et de Bucarest (7 mai 1918), et prévoit un droit des populations française et belge à des indemnités de réparation.
Les conditions de l’armistice sont dures, et préfigurent déjà ce que sera le « Diktat » de Versailles. Fixé officiellement à 11.00 dans la matinée du 11 novembre, l’arrêt des combats sur terre comme sur mer et dans les airs ne fait cependant pas cesser les dernières tragédies. Ce 11 novembre 1918, 1170 soldats français sont encore tués, blessés ou disparaissent dans les derniers bombardements. Il en est aussi pour plus de 4000 Allemands et, à Stenay (Meuse), une compagnie d’infanterie américaine est décimée lors d’un dernier assaut ce même jour. Au total, ce sont plus de 10 000 hommes, tous camps confondus, qui périssent encore ce 11 novembre 1918 sur l’ensemble du front occidental. Quant aux combats dans les Balkans (front d’Orient), ils se poursuivront jusqu’en mars 1919.
Une défaite qui ne dit pas son nom. Une victoire qui n’annonce pas la paix
Une dizaine d’États belligérants, représentant plus de 70 États actuels, se sont affrontés de 1914 à 1918 avec une mobilisation humaine, économique, industrielle, scientifique et morale sans équivalent jusqu’à présent dans l’histoire des conflits humains. Le bilan est à la mesure d’une guerre devenue la première guerre totale de l’Histoire : 70 millions de soldats ont été mobilisés sur la durée de la lutte ; 10 millions d’entre eux ont été tués auxquels on ajoutera entre 5 et 10 millions de morts du fait de causes indirectes (blessures, famines, maladies…). 10 millions de réfugiés parcourent l’Europe, et il ne faut pas moins de 16 traités internationaux pour régler une paix qui transforme profondément la géopolitique européenne et mondiale.
La « paix » est-elle par ailleurs véritablement réglée ? Dès l’époque, les observateurs les plus lucides comprenaient déjà que l’arrêt des combats n’étaient peut-être qu’une étape annonciatrice d’un autre conflit : le redécoupage des frontières et des populations au cœur de l’Europe ainsi que les amputations territoriales (6) étaient sources d’un inévitable ressentiment des peuples. Surtout en Allemagne où - ayant atteint les limites de sa résistance - l’Armée avait tenu bon jusqu’au bout. L’élan révolutionnaire ne s’était pas diffusé aux troupes sur le front qui, partout, retraitaient en bon ordre en continuant le combat. Il n’y eut pas de déroute ni de rupture du front, et le territoire national ne fut à aucun endroit envahi par les alliés. Cette situation occulta la défaite objective de l’armée allemande, et alimenta durant l’entre-deux-guerres l’idée d’une trahison de l’arrière (7).
En faisant officiellement cesser les combats, le 11 novembre 1918 revêt cependant une valeur symbolique particulièrement forte. Partout en Europe, les soldats et les peuples laissent éclater leur joie de voir la guerre enfin s’arrêter. Si le phénomène est européen, c’est en France qu’il est le plus vivement ressenti. Puissance belligérante principale du conflit, qui a vu les combats les plus violents se dérouler sur son sol, la France pleure désormais ses morts. 1 400 000 soldats français sont tombés depuis l’été 1914, et - eu égard à la natalité de l’époque - ces pertes sont catastrophiques pour la démographie française quand bien même elles furent aussi élevées pour l’Allemagne, la Russie et bien d’autres pays.
Les contemporains ne s’y tromperont pas qui verront jusque dans l’art et la littérature se développer l’idée d’un déclin de la civilisation européenne. L’hémorragie humaine donne à la Première Guerre mondiale une dimension matricielle quant à une nouvelle perception de la vie, de la mort, de la société, de la guerre et d’une Paix désormais revendiquée à n’importe quel prix, de l’idée même de progrès. En ce sens, ce conflit a constitué une véritable rupture anthropologique.
La mise en terre du Soldat inconnu, Place de l’Étoile à Paris le 28 janvier 1921
Le 11 novembre entre dans l’Histoire
La date du 11 novembre devient donc celle de l’hommage de la Nation française à ses soldats qui ont permis la victoire de 1918. Comment rendre cependant cet hommage alors que tant ont succombé ? La France se couvre de monuments aux morts, témoins dans chaque commune de l’ampleur de la mobilisation et du massacre. Dans la partie nord-est du pays, ce sont de nombreux cimetières militaires qui désormais s’inscrivent durablement dans les paysages aux environs des champs de bataille, aux côtés d’autres cimetières britanniques, canadiens, américains… Ailleurs, les cimetières communaux reçoivent leur carré militaire.
L’État prend en charge la sépulture de soldats dont beaucoup n’ont pas été retrouvés ; leur corps ayant été pulvérisés dans les bombardements. En plus des sacrifices consentis durant la lutte, bien des familles se voient privées du deuil d’un défunt. L’ossuaire de Douaumont qui mélange pêle-mêle des milliers d’ossements de soldats aussi bien français qu’allemands rappelle cet autre traumatisme pour la société d’après-guerre. Dès le 2 juillet 1915, en pleine guerre, une loi institue la mention « Mort pour la France ». En 1916, apparaît pour la première fois l’idée d’instituer l’inhumation d’un soldat inconnu - d’abord au Panthéon - afin de rendre un hommage symbolique et permanent à tous les soldats morts au combat. Il est vrai qu’à cette date la société française pouvait déjà entrapercevoir l’étendue des pertes humaines à chaque jour du conflit. Le débat aboutit en 1920, et fixe définitivement l’hommage national aux soldats tombés durant la Grande Guerre.
C’est dans la citadelle de Verdun – lieu hautement symbolique – en présence du Ministre des Pensions André MAGINOT (1877-1932) que, le 8 novembre 1920, le soldat Auguste THIN (1899-1982) du 132e Régiment d’Infanterie est chargé de désigner parmi huit cercueils de soldats français non identifiés celui qui, désormais, sera inhumé au titre du « Soldat inconnu » sous l’Arc de Triomphe et non plus au Panthéon. Ce dernier lieu étant réservé à la sacralisation de personnalités politiques et civiles. Le Soldat inconnu est officiellement inhumé le 11 novembre 1920 au cours d’une cérémonie officielle (8). En 1923, est placée au-dessus de la tombe un dispositif permettant l’allumage d’une flamme. Situé au centre d’un bouclier orné de glaives, le foyer est représenté par une bouche de canon tournée vers le ciel.
Fédération de plusieurs associations d’anciens combattants, La Flamme sous l’Arc de Triomphe, Flamme de la Nation, ravive ainsi quotidiennement depuis le 11 novembre 1923 la Flamme. La cérémonie se tient au crépuscule (18.30). Témoignage vivant du souvenir que le Pays garde du sacrifice de ses soldats entre 1914 et 1918, le ravivage de la Flamme est plus particulièrement solennel lors des 11 novembre. La loi du 28 février 2012 fait, cependant, évoluer la signification de cette date commémorative. Tout en continuant à rendre hommage au sacrifice des combattants de la Grande Guerre – dont les derniers se sont éteints en ce début de siècle -, le 11 novembre devient désormais l’hommage national que la France rend à tous ses soldats tombés en son nom dans tous les conflits. Jour célébrant à l’origine la Victoire de 1918, le 11 novembre est maintenant le trait d’union sacrificiel de tous les soldats français morts au combat.
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Bibliographie