Évènement important, pourtant méconnu et éclipsé par la bataille de Poitiers en 732, la bataille de Toulouse s’inscrit dans une double perspective : la conquête musulmane d’une partie de l’Europe occidentale et l’anarchie qui règne dans le royaume des Francs depuis le VIe siècle.
La conquête musulmane et la naissance d’Al-Andalus
Au lendemain de la mort de Mahomet (v. 570-v. 632), les Arabo-musulmans se lancent dans un mouvement de conquête hors péninsule arabique, portés à la fois par un dynamisme religieux et une dynamique d’unité politico-religieuse (le califat). Cet élan guerrier se fait à la fois en direction de l’Asie centrale mais aussi de l’Afrique du Nord. Au fil de leurs victoires, les Arabes soumettent de nombreux peuples et incorporent dans leurs armées des contingents ethniques islamisés.
Unis dans un premier temps autour des califes de la dynastie ommeyade, dont la capitale est Damas, les Musulmans franchissent la Méditerranée par le détroit de Gibraltar, et entreprennent la conquête de l’Europe occidentale par la péninsule ibérique. C’est la naissance d’Al-Andalus, nom désignant les territoires ibériques sous domination musulmane, et qui vont le rester jusqu’à la fin du XVe siècle.
Le 19 juillet 711 à Guadalete, non loin de Cadix, l’armée wisigothique est écrasée par le gouverneur ommeyade Tariq ibn ZIYAD. Le Roi RODERIC, ainsi qu’une grande partie de sa noblesse, restent sur le champ de bataille. En consacrant la destruction de la puissance wisigothique, cette bataille se révèle décisive. Elle accélère la conquête de la péninsule par les Musulmans face à des peuples divisés, en luttes intestines perpétuelles et incapables de s’y opposer efficacement. Désormais, et pour une longue période, c’est le Duché d’Aquitaine - une fois la Vasconie traversée - et, au-delà, le Royaume des Francs (Regnum Francorum) qui sont directement exposés aux razzias venues du sud.
Francs et Aquitains
Autrefois partie du royaume wisigoth dont il abritait la première capitale (Toulouse), l’Aquitaine est depuis tombée sous l’influence franque (bataille de Vouillé, 507). La puissance franque est cependant minée par des guerres fratricides qui ont vu la naissance de trois entités rivales - la Neustrie, l’Austrasie et la Bourgogne – nonobstant le maintien de l’idée d’un Regnum francorum.
S’étendant de la Loire aux Pyrénées, disputant l’Auvergne au royaume austrasien, s’organisant autour de deux provinces (Bourges et Bordeaux), l’Aquitaine n’est pas un royaume mais l’anarchie mérovingienne lui donne de fait une grande indépendance. Celle-ci est d’autant plus utile que la région joue un rôle de frontière militaire face aux Basques. S’organise ainsi une aristocratie guerrière gasconne (ou vasconne) autour d’un Duc, que la dynastie neustrienne - dans sa rivalité avec l’Austrasie – ira jusqu’à reconnaître comme vice-roi voire comme roi.
Issu de la noblesse vasconne, le Duc Eudes d’Aquitaine (v. 681-735) inscrit donc sa politique dans ce contexte de rivalité permanente entre les Francs, cherchant surtout à s’émanciper de leur tutelle. Sa lutte contre le Maire du Palais, et Duc des Francs, Charles Martel (688-741) est cependant interrompue par la poussée musulmane venue du sud. Conduite par le gouverneur ommeyade Al-Samh ibn Malik AL-KHAWLANI, une armée musulmane prend la ville de Narbonne en 720 et vient assiéger, l’année suivante, Toulouse où se trouve Eudes.
Privé de tout soutien franc, le Duc d’Aquitaine engage une bataille désespérée avec des forces nettement inférieures en nombre le 9 juin 721. Opérant une sortie, il surprend cependant l’armée ommeyade trop confiante, dont le camp n’était pas suffisamment protégé. Contre toute attente, les forces vasconnes parviennent à encercler l’ennemi et à le tailler en pièces. La bataille est une victoire qui dégage Toulouse et oblige les Musulmans à fuir. Près de 3700 combattants arabo-berbères sont tués dont le Gouverneur AL-KHAWLANI lui-même.
La bataille de Toulouse est un coup d’arrêt important mais ponctuel et non décisif. Elle n’empêche nullement les armées musulmanes de se représenter. En 730, le nouveau gouverneur d’Al-Andalus, Abd AR-RAHMAN, revient ainsi à la tête de forces bien plus puissantes qu’en 721. Pour le nouvel Émir de Cordoue, il s’agit non seulement de poursuivre la conquête de la Gaule, mais aussi de venger la défaite de Toulouse et de défaire les alliances entre Eudes et d’autres seigneurs arabes rejetant son autorité. Eudes est ainsi écrasé à Bordeaux, au cours d’une sanglante bataille qui laisse l’Aquitaine sans défense et n’offre d’autre choix que d’appeler à l’aide l’ennemi d’hier : Charles Martel. Ce dernier, ayant entre temps pris conscience du danger musulman, doit à la lutte désespérée du Duc Eudes les années nécessaires à l’organisation et à la concentration de l’armée qui allait arrêter Abd AR-RAHMAN en 732.
La bataille de Poitiers illustrée par Charles de STEUBEN (1837)
Poitiers, une bataille symbolique
Livrée le 25 octobre 732 entre Tours et Poitiers (1), la bataille dite de Poitiers est considérée par l’historiographie classique comme le coup d’arrêt marquant le sursaut chrétien face à la poussée musulmane en Europe occidentale au début du Moyen-Âge. Au point que cette confrontation guerrière est encore, de nos jours, appropriée par le mouvement identitaire hostile à une immigration de masse (et de confession majoritairement musulmane). En fait, c’est surtout à partir du Xe siècle et du renouveau de l’An Mil que la contre-offensive chrétienne se fera vraiment sentir, notamment dans la péninsule ibérique.
Rendue possible par la longue résistance du Duc Eudes qui fit gagner un temps précieux à Charles Martel, la victoire de celui-ci ne profita cependant pas à l’Aquitaine. La mort de l’Émir de Cordoue sur le champ de bataille sauva la ville de Tours, mais la défaite arabe ne fut pas exploitée par les Francs qui laissèrent l’ennemi se replier et mettre à sac le Duché d’Aquitaine. Dans les années qui suivirent la victoire de Poitiers, le Maire du Palais guerroya surtout dans le Midi de la Gaule, reprenant la Provence aux Arabes (739). Jusqu’en 759, les Francs combattirent également pour arracher à l’Émir de Cordoue la Septimanie (région de Narbonne). La priorité n’était pas à la sauvegarde d’un duché qui prétendait à l’autonomie, et dont la grande armée franque rassemblée par le Duc des Francs n’attendait que l’affaiblissement. De fait, lorsque Eudes mourut en 735, le Duché d’Aquitaine avait déjà fait sa soumission à Charles Martel.
__________
Bibliographie
La francisque mérovingienne était aussi utilisée comme arme de jet