Décryptages ARTE du 3 février 2020 (Léo SANMARTY)
Chronologie (évolutive)
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Une catastrophe sanitaire en cours (situation au vendredi 27 mars)
Avec un peu de recul et comme on écrit de nos jours sur la grippe dite « espagnole » (1), on décrira demain cette épidémie partie de Chine en novembre/décembre 2019 - et qui toucha de manière exceptionnelle le Monde, l’Europe et notre pays - comme un cas d’école. Exceptionnel à l’échelle de notre histoire récente, le phénomène est pourtant loin d’être inédit. À travers le télescopage de ses conséquences et les réactions du temps (réactions politiques, économiques, médiatiques, sociales), il nous offre matière à analyser une situation absurde où la connaissance des problèmes n’aura pas suffi à empêcher la catastrophe. Cela est malheureusement souvent le cas dans l’histoire des tragédies humaines, mais ainsi va l’Humanité.
À l’heure où ces lignes s’écrivent, une catastrophe sanitaire de masse est déjà largement amorcée en France comme dans de nombreux autres pays voisins et plus lointains. Il ne s’écoule un jour sans que les plus hautes autorités politiques et sanitaires ne s’expriment sur tous les canaux médiatiques sans pouvoir cacher une inquiétude grandissante à travers laquelle on imagine la panique qui peut régner dans les ministères et les institutions les plus concernées par la crise. Car le pire de la catastrophe est encore devant nous avec des scenarii qui décrivent déjà ici et là une hécatombe pouvant aller jusqu’à 300 000 voire 500 000 morts (en situation hors confinement). Rien qu’en Italie, 1000 personnes sont décédées du COVID-19 dans la journée du 27 mars, portant le bilan italien à plus de 9000 morts. La situation est également hors de contrôle en Espagne où l’on approche les 5000 morts. Alors que toutes les frontières de l’espace Schengen se referment, et que les États se replient sur des plans de lutte nationaux, l’Union européenne, tétanisée, se révèle incapable de fournir un cadre d’action mutualisé et efficace aux États membres. Alors que c’est la Chine qui fournit actuellement du matériel sanitaire à l’Italie, le nouvel épicentre de l’épidémie mondiale, il n’est pas impossible que l’UE connaisse à terme des remises en cause fondamentales du fait de cette tragédie humaine.
Dans une société d’abondance et de confort matériel, bercée par tous les discours sur la prévention et le principe de précaution, nous avons trop souvent cru que les éléments de langage pouvaient se substituer à une véritable politique de protection et de défense, mais voilà que le réel nous rattrape avec le COVID-19 : un organisme de 40 à 120 nanomètres qui nous rappelle brutalement combien nos sociétés sont mortelles, que nous restons vulnérables devant la nature quand bien même vivrions-nous à l’ère de l’humain augmenté et de l’intelligence artificielle. Alors que le pays compte déjà 2000 décès au 27 mars (2), et que le nombre de victimes augmente d’heure en heure, la question qui se pose désormais est de savoir si la crise fera seulement des milliers, ou des dizaines voire des centaines de milliers de victimes.
Beaucoup dépendra de la résilience de la société française (notamment de ses structures médico-sanitaires), de la capacité des citoyens à comprendre et à intégrer concrètement le risque sur la durée, de leur discipline collective pour ne pas dire leur civisme, et pourquoi pas - osons le dire - de leur Esprit de défense. Alors que le « pic épidémique » est encore devant nous, que notre personnel soignant est directement exposé au virus, souvent sans masques, que les mesures de confinement seront fatalement prolongées et durcies, rien n’est assuré à l’heure qu’il est. Ce qui est certain, c’est que la catastrophe ne fait que commencer et que le COVID-19 tuera encore beaucoup.
Évacuation en urgence d’un malade infecté par le COVID-19 (source - Public Sénat)
Du mauvais usage des mots « guerre » et « ennemi »
Est-ce pour autant une « guerre » ? Sommes-nous « en guerre » comme l’affirmait le Président MACRON dans son discours du 16 mars dernier, répétant le mot à six reprises ? Certes, l’allocution présidentielle du 16 mars marque une rupture. Le pays passe désormais en phase 3 du plan jusqu’à présent dédié à ce genre de situation : le Plan pandémie grippale (3). La phase 3 constitue le stade le plus sensible : celui qui correspond à la situation la plus grave alors que l’interdiction du territoire national au virus, et l’arrêt de sa diffusion, ont échoué. Les mesures prises au stade 3, prévues sur une durée de 8 à 12 semaines, sont les plus fortes. Il s’agit moins de soigner les personnes en tant que cas particuliers que de préserver le système sanitaire de toute saturation. Le stade 3, c’est aussi et surtout veiller au bon fonctionnement de l’économie générale à un moment où se multiplient les arrêts maladies. Or, ce sont ces deux aspects essentiels qui sont remis en cause par l’extrême contagiosité du COVID-19 et son taux de létalité supérieur à celui de la grippe. La situation oblige à prendre des mesures plus radicales que celles adoptées face à une grippe saisonnière classique. Le gouvernement a ainsi décidé un confinement national de quinze jours, prolongé d’une deuxième quinzaine au 27 mars. Un confinement qui vient s’ajouter au retrait de plus de 12 millions d’élèves des écoles, collèges et lycées, et qui signifie ni plus ni moins la mise à l’arrêt physique des administrations, des entreprises et d’une grande partie des réseaux de transports.
La mobilisation induite par l’arrêt du pays et de son économie n’est pourtant pas la guerre au même titre qu’il n’y a pas d’ « ennemi invisible ». Depuis trop longtemps, l’exercice politique a substitué la communication au principe de réalité. Il est devenu habituel de vouloir entretenir la réflexion de nos contemporains dans un environnement mental et culturel lénifiant, où l’objectif est moins l’exigence de vérité due aux citoyens que celle de ne pas déclencher un processus d’affolement. Hormis le fait que cette posture communicante insulte l’intelligence de celles et ceux qui font notre démocratie, ne traduisant rien d’autre qu’un profond mépris de la Cité et de la chose publique, elle s’avère contre-productive à faire justement le lit d’un affolement encore plus grand. Surtout, si la rupture de normalité encore douce - mais que nous vivons déjà - devait s’amplifier (4).
« Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde » écrivait Albert CAMUS. La guerre désigne un affrontement collectif entre des groupes organisés, avec une stratégie, des objectifs et des moyens conçus. La métaphore pourra, certes, être filée dans divers domaines mais à condition que l’on puisse la relier à la notion de ce qu’est un véritable ennemi. Les éléments constitutifs d’une guerre permettent d’identifier effectivement un ennemi, dont la caractéristique principale est qu’il cherche à nous détruire par tous les moyens y compris dans le cyberespace (où l’on pourra ici parler d’invisibilité). Cet ennemi est dès lors une menace constituée là où le COVID-19 n’est qu’un risque dépourvu de toute intention. À la guerre, l’ennemi est non seulement celui qui tue mais c’est aussi, et surtout, celui qui veut tuer : une volonté consciente et systématique que l’on pourrait difficilement prêter à un organisme tel que le COVID-19.
Alors pourquoi tant de confusion dans l’usage des mots de la part de personnes que l’on assimile à une élite ? La posture martiale des autorités face à la pandémie du COVID-19 n’est que mauvaise rhétorique. Elle voudrait une fois de plus jouer des émotions à bon marché du populo, pensant créer un sursaut civique au sein d’une société où la parole publique n’a jamais été autant démonétisée. Une société a fortiori menacée par la double convergence de l’atomisation individualiste et de la fragmentation communautariste. Une société éruptive, travaillée sur le temps court par deux années consécutives de graves conflits sociaux. S’il devait y avoir une qualification objective d’un risque de guerre, c’est ici, au sein même de la communauté nationale, de ses fractures et de ses plaies vives, ce d’un point de vue politique et non sanitaire.
Cette guerre civile encore hypothétique mais non impossible commence avec la manipulation des termes et des idées. Les Français s’habituent d’ailleurs au mot, brandi dans les discours présidentiels et gouvernementaux depuis 2015. Le prédécesseur d’Emmanuel MACRON avait ainsi employé le mot « guerre » à bon escient certes, sans pour autant réussir à qualifier le terrorisme qui s’abattait alors sur les Français (5). Le courage manque souvent en politique et à mal nommer les choses il y a bien pire : ne pas vouloir les nommer du tout. Le déni finit alors par s’installer vidant les mots de leur substance. Par une contagion qui a aussi sa viralité, il affaiblit les esprits critiques en entretenant les confusions sémantiques et intellectuelles. La rhétorique n’est pas la réalité, et le COVID-19 n’a déclenché aucune guerre. Il correspond en revanche à une crise sanitaire de masse dont les effets économiques et sociaux peuvent rompre par ricochets le fragile équilibre de la paix civile.
L’unité de réanimation militaire établie par le SSA à proximité de l’hôpital de Mulhouse le dimanche 22 mars (source - Public Sénat). La mobilisation des forces armées ne traduit pas une situation de "guerre" mais elle illustre la notion d’une Défense globale de la population et du territoire.
COVID-19 et défense globale
Les fragilités que l’actuelle crise sanitaire de masse révèle sont pourtant connues, redoutées et soulignées depuis longtemps. Certains faits ne datent pas d’hier : l’augmentation exponentielle de la population mondiale depuis la deuxième moitié du XXe siècle ; la métropolisation : plus d’un humain sur deux est désormais citadin ; l’explosion des flux migratoires ; la mise en réseau de tous les flux et son corollaire idéologique : le « sans-frontiérisme » qui blesse les identités ; la concurrence sur les ressources naturelles et la crise environnementale… S’il y a un domaine de la réflexion politique qui a compris la situation globale induite par cet état des lieux, c’est bien celui de la Défense parce qu’il pose (et posera toujours) la question fondamentale de la survie de la société. Une question à laquelle ne peut malheureusement pas accéder un gouvernement des hommes qui confond l’horizon politique avec un horizon essentiellement économique. Or ce dernier qui ne devrait être qu’une préoccupation de moyens et d’outils, ne voit et ne privilégie que le gain matériel à court-terme.
Parce qu’elle a pour préoccupation une société dans son ensemble et non uniquement d’un point de vue économique, une politique de défense ne peut s’inscrire que dans le long terme. Il n’y a pas de politique de défense sans durée ni sans cohérence dans la durée où, sans tout redouter, « il faut se préparer à tout » comme le disait le Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Les vulnérabilités de la société doivent être identifiées loin en amont avant la survenue d’une guerre ou d’une crise, souvent les deux en même temps. De nos jours, eu égard à la spécificité de l’environnement mondial, ces vulnérabilités renvoient à des menaces mais aussi à des risques multiples. Les premières faisant intervenir une volonté de nuire alors que les secondes ne concernent que des accidents pouvant se produire de manière aléatoire. Ces accidents peuvent être naturels ou anthropiques ; ils peuvent se combiner, être de grande ampleur et de nature à provoquer une catastrophe majeure comme c’est le cas avec le COVID-19. Pire, du fait d’interactions inévitables dans un monde démographiquement dense, traversé de flux et de réseaux, un risque peut engendrer une guerre en fragilisant les relations internationales et les États ou en exacerbant des tensions déjà préexistantes au sein des sociétés. Inversement, il n’est pas rare de voir une guerre amplifier un ou plusieurs risques (6).
Ce n’est donc pas un hasard si le traditionnel Livre blanc de la Défense nationale (dont le premier date de 1972) est devenu, en 2008, un Livre blanc de la Défense et de la Sécurité nationale. Interactions et hybridations des menaces et des risques liées à notre modernité ont conduit à une globalisation de notre Défense nettement perceptible dans l’ordre international post-Guerre froide. Cette globalisation se décline désormais sur le volet classique des menaces extérieures (les menaces militaires liées aux États ou à des groupes) et intérieures (les menaces liées au terrorisme et au crime organisé, celles pesant sur l’économie), mais également sur le volet des risques mondialisés et des crises majeures qu’ils font courir à l’ensemble du corps social (risques naturels et anthropiques, crises sanitaires). Rappelons ainsi que le Plan national « pandémie grippale » est une émanation du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN) (7).
Les militaires travaillent depuis des années sur la question d’une pandémie planétaire de type COVID-19 au sein d’une unité de veille sanitaire de défense, et ne sont nullement surpris par les événements actuels. Cependant, ils réfléchissent dans une dimension anticipatrice qui n’intéresse pas le court-termisme de dirigeants sans véritable horizon politique. Le problème est le même aux États-Unis où un rapport de la CIA datant de 2008 (et qui précédait d’un an l’épidémie de grippe H1N1) décrivait déjà avec exactitude les causes et les effets de la catastrophe sanitaire actuelle (8).
C’est que l’effort de défense et de protection de la société n’est pas rentable. Il s’inscrit dans une durée qui dépasse les mandats électoraux selon une logique dont la finalité n’est pas productive. Le scandale des masques FFP2 illustre cette difficulté des gouvernements actuels à vouloir regarder au plus loin (cf. infra). La crise sociale née des coupes budgétaires et d’une réduction constante des moyens affectant des métiers tels ceux de sapeur-pompier, de policier, d’urgentiste, d’hospitalier et d’infirmière, sans parler de la difficile sanctuarisation du budget du Ministère des Armées, sont des témoins allumés depuis des décennies. Ils reflètent également cette incohérence de l’action publique à l’endroit d’une véritable politique de défense globale. Ce sont donc des métiers déjà affaiblis - pourtant situés au cœur de notre pacte social – qui, aujourd’hui, sont plus que jamais mobilisés face à une crise sanitaire globale.
Mobilisés, les acteurs de la défense le sont massivement tout en étant particulièrement exposés à la contamination par le COVID-19. Pompiers, policiers et gendarmes sont engagés sans masques ni protections particulières. Plus de 10 000 membres des forces de sûreté sont déjà infectés et confinés, provoquant la mobilisation de tous les élèves et stagiaires des écoles de formation, d’application et jusqu’aux officiers de la Gendarmerie candidats au brevet de l’École de Guerre qui ont été réaffectés dans des états-majors de crise. Quant aux personnels sanitaires, leur situation est non seulement dramatique, mais elle est aussi potentiellement explosive. Aux effets de saturation qui peuvent paralyser le système sanitaire (9), alors que l’on commence à compter des médecins parmi les victimes, imaginons les conséquences épidémiologiques et sociales que provoquerait l’élimination d’une partie importante des effectifs de nos soignants du fait de leur exposition directe et prolongée au COVID-19 (10). Cela peut aller très vite et pose la question du seuil de rupture du système. À partir de quel niveau de perte ou de neutralisation le système sanitaire ne serait-il plus opérationnel : 20% des personnels, un tiers, 40% ?
La polémique concernant les masques Filtering Facepiece Particules 2 ou FFP2 est l’illustration de ce qu’il coûte à ne pas vouloir comprendre qu’une politique de défense et de protection se conduit sur la durée au-delà de préoccupations exclusivement économiques. Ces masques qui, aujourd’hui, manquent cruellement à nos médecins, réanimateurs et personnels soignants sans même parler du reste de la société, faisaient l’objet de stocks stratégiques gérés par l’État jusqu’en 2011. Roselyne NARQUIN-BACHELOT, Ministre de la Santé, de la Jeunesse et des sports (2007-2010), était à l’origine de la constitution de stocks importants de ces masques : 580 millions d’unités d’après l’Établissement de Préparation et de Réponses aux Urgences Sanitaires (EPRUS). Il est vrai qu’en 2009, la Ministre avait eu à gérer la crise sanitaire du H1N1, mais ses achats massifs de FFP2 avaient été d’emblée très critiqués. Suite à un avis du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) du 1er juillet 2011, l’efficacité des FFP2 est remise en cause, et la réduction des stocks est préconisée pour des raisons de coûts auprès du nouveau ministre de la Santé, Xavier BERTRAND (2010-2012). Désormais, il est recommandé de ne réserver les FFP2 qu’aux personnels les plus directement exposés en cas de crise grave. Quant aux réserves de ce matériel, l’État s’en désengage pour le mettre à la charge de professionnels libéraux et hospitaliers ; les pharmacies devant pouvoir également fournir des FFP2. Cette réorientation est confirmée en 2013 par la Ministre, Marisol TOURAINE (2012-2017) qui supprime également l’EPRUS en 2016. Quant à la production industrielle des FFP2, elle était déjà délocalisée en Chine. En dépit des signes annonciateurs d’une épidémie de pneumonie inconnue qui a débuté en Chine en décembre 2019, le gouvernement va encore perdre deux mois en continuant d’affirmer l’efficacité non démontrée des masques FFP2, pour ensuite le recommander uniquement aux personnes ayant séjourné dans des zones "à risques", puis uniquement pour les personnes présentant des symptômes... Le mardi 3 mars 2020 - alors que la question n’est plus est-ce que l’épidémie va toucher l’ensemble des Français, mais combien de morts va-t-elle faire ? -, le nouveau Ministre des solidarités et de la Santé, Olivier VÉRAN, reconnaissait l’inexistence de stocks stratégiques de FFP2. |
La véritable opération « résilience » c’est insuffler l’Esprit de défense
Toutes les institutions de défense sont donc aujourd’hui mobilisées. La crise sanitaire provoquée par le COVID-19 met tous les acteurs de notre Défense sur le pont à commencer par les personnels médicaux et soignants. Cela se traduit par la mise en œuvre du Plan blanc et par la mobilisation de la réserve sanitaire ; cette dernière se distinguant de la Garde nationale elle aussi mobilisée pour renforcer les effectifs nécessaires à faire respecter les mesures de confinement et les premiers couvre-feux instaurés dans certaines villes. Quant aux forces armées, elles ne sont pas en reste fournissant 5 millions de masques que la société civile n’a pas en stock. L’Armée de l’Air et le Service de Santé des Armées (SSA) ont déjà mis en œuvre les modules MORPHÉE pour convoyer et rapatrier des personnes infectées, et un hôpital militaire de campagne a été établi à Mulhouse dans le Haut-Rhin, l’un des foyers majeurs de l’épidémie.
Dans l’allocution télévisée du 25 mars, le Président de la République annonçait le lancement d’une nouvelle opération militaire appelée « Résilience ». Au-delà de l’effet d’annonce d’une opération dont les contours demeurent encore flous, on comprendra d’emblée un certain nombre de missions telles que le soutien aux autorités civiles, celui aux populations, la protection de sites sensibles (en élargissement à l’opération Sentinelle), la protection des réseaux et des flux logistiques particulièrement vulnérables, la mise à disposition des 8 hôpitaux d’instruction aux armées et peut-être l’installation prochaine d’un deuxième hôpital de campagne en Île-de-France (la région désormais la plus touchée). Engagées de manière ponctuelle depuis le 18 mars, les forces armées voient dorénavant leurs actions coordonnées par un Centre de Planification et de Conduite des Opérations (CPCO) particulièrement dédié, en charge de leur intégration dans un dispositif interministériel plus vaste.
La dimension globale de notre Défense n’aura peut-être jamais été autant révélée qu’avec cette crise sanitaire majeure qui survient alors que la menace terroriste reste élevée ; alors que dans le même temps des milliers de soldats français continuent de se battre aux confins du Sahara (11). Or, les moyens sont comptés sur tous les fronts (12). Pour ne prendre que l’exemple des moyens sanitaires civils, la France ne compte que 5000 lits de réanimation dont 2000 seulement sont affectés à l’Île-de-France (plus de 10 millions d’habitants). La société française à qui il est imposé un confinement exceptionnel appelé à se durcir, le comprend-elle ? Tiendra-t-elle surtout face à un effort général nécessitant une discipline sociale, une conscience civique et un sens du Bien commun qui, seuls, pourraient faire accepter un changement durable des habitudes de vie ?
Nous ne sommes pas en guerre, et ce mauvais usage du mot passe mal. Quand bien même des centaines de Français périssent quotidiennement du COVID-19, ce n’est pas avec des effets d’annonce rhétorique et médiatique qu’on parviendra à mobiliser une société ainsi, du jour au lendemain. Certes, les Français ont su, par le passé, affronter de terribles épreuves collectives, mais il s’agissait d’autres Français capables d’endurer parce qu’ils s’inscrivaient dans un destin commun, non ces contemporains minés par l’hédonisme, le matérialisme et l’individualisme : ces modernes qui ont préféré substituer l’émotion à l’intelligence. Les solidarités traditionnelles étaient alors des sémaphores allumés dans la tempête, et il y avait aussi des époques où l’École - encore républicaine dans son esprit – jouait son rôle de ciment social. Le Bien commun restait ancré dans les préoccupations et le patriote n’avait pas à rougir de honte. Le respect de ce que pouvait représenter le drapeau permettait à la fois l’assimilation et la transcendance. Entre ces Français, ceux de 1914 pourtant pas si lointains que ça, et ceux d’aujourd’hui, c’est bien plus qu’une leçon d’histoire qui les sépare, c’est désormais une véritable distance culturelle, sociétale, voire anthropologique.
Le Président de la République ne s’y est pas trompé lorsqu’en annonçant l’opération Résilience il mentionna de suite l’affectation de deux bâtiments de guerre aéronavale (13) : le BPC Mistral L 9013 à destination de la zone Mayotte/La Réunion et le BPC Dixmude L 9015 pour la zone Guyane/Antilles. Véritables poudrières sociales et ethniques, pour certains d’entre eux, ces territoires lointains, oubliés depuis longtemps par la République, sont les plus vulnérables à une crise sanitaire qui pourrait engendrer de véritables insurrections qui, pour le coup, autoriseraient à parler de guerre civile. Sommes-nous, en métropole, préservés de ce genre de risque glissant vers la catastrophe majeure pour ensuite muter en menace directe pour le corps social ?
Si le Président MACRON et ses prédécesseurs, ainsi que les différents ministres de l’Éducation nationale qui les ont accompagnés, avaient été pénétrés de l’intérêt supérieur de la Nation – supérieur à la durée de leurs mandats, à leurs perceptions idéologiques du pouvoir et de la politique, supérieur aux seuls intérêts économiques - c’est à l’École qu’ils auraient d’abord déclenché la véritable opération Résilience. Ce n’est pas lorsque la catastrophe est en cours qu’il faut parler de résilience, et ce n’est pas lorsque les Français meurent en masse d’une maladie qu’il faut parler de guerre. En revanche, c’est l’Esprit de défense qui peut forger la capacité des individus et d’une société à résister, puis à réagir au plus fort d’une crise. Cela ne peut se faire du jour au lendemain cependant. Il faudra de longues années que seule l’École peut accompagner suffisamment tôt dans la vie d’un individu pour lui donner cette culture de défense, partant lui insuffler un Esprit de défense.
C’est également en éveillant les consciences civiques aux menaces et aux risques dès l’École, que l’on fera naître des valeurs partagées qui nous prémuniront au mieux d’un affrontement intérieur entre individus, groupes et communautés. Une guerre civile que personne, à ce jour, ne peut dire si elle surviendra, comme personne ne pourra non plus en nier les prodromes (14).
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