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Assiégés (2020)

LURIE (Rod), Assiégés, 2020.

Article mis en ligne le 5 septembre 2020
dernière modification le 15 mai 2023

par Nghia NGUYEN

Camp, FOB et COP

Le titre du film Assiégés de Rod LURIE est traduit de l’américain : The Outpost (L’Avant-poste). Les Combat Outpost (COP) sont des postes de combat avancés, déployés par les forces américaines en Afghanistan et en Irak. Situés en fin de réseau au-delà des infrastructures lourdes que sont les Forward Operating Base (FOB) et les camps, les COP devaient jouer un rôle important dans le cadre d’une stratégie locale de contre-insurrection (1). Portes d’entrée de l’imposante projection de l’US Army dans un pays étranger, les camps et les FOB rayonnent à l’échelle d’une région ou d’une province. Vastes, permanents, bien protégés et destinés à recevoir des flux importants en hommes et en matériels, ils disposent d’infrastructures bétonnées, d’un réseau routier et, pour certains, accueillent même un aéroport.

La réalité des COP est toute autre. Éloignés des camps et des FOB, perdus au milieu de populations civiles, voire directement installés en territoire ennemi, les COP ne jouent pas le rôle de hub. Ravitaillés épisodiquement, ils ne voient pas au-delà d’une vallée ou de quelques crêtes, et sont tenus par des forces nationales ou locales organisées autour d’un noyau de soldats américains. Maintenant un lien avec les villages alentours et vivant de manière plus rustique que dans les grandes bases, les soldats de l’Army ou des forces spéciales sont aussi en charge de l’encadrement des combattants locaux. Ils permettent ainsi un durcissement du dispositif en cas de confrontation directe avec l’ennemi.

Le COP Keating

Assiégés raconte l’histoire d’un de ces COP, qui fut le théâtre d’une bataille de la Guerre d’Afghanistan entre fantassins américains et Taliban. Le film s’inspire directement de l’ouvrage du journaliste Jack TAPPER, qui a longuement enquêté sur cet affrontement également entré dans l’Histoire sous le nom de bataille de Kamdesh et qui eut lieu le 3 octobre 2009 (2).

Le COP Keating est l’un des 150 COP et FOB construits par les Américains dans la partie orientale de l’Afghanistan depuis le début de l’opération Enduring Freedom (2001). L’Est de l’Afghanistan est une région frontalière avec le Pakistan : une frontière sinueuse et montagneuse qui traverse l’Hindou Kouch. Une frontière également poreuse, difficile à contrôler, que traversent régulièrement les Taliban qui ont déplacé leurs sanctuaires au Pakistan afin d’échapper aux frappes américaines. Situé dans la province du Nouristan, le COP Keating a été installé à l’été 2006 afin de contrôler les flux afghano-pakistanais dans ce secteur de la frontière, de contrer les infiltrations ennemies et de renforcer les liens avec les populations d’une région marginale et difficile d’accès dans un pays, lui-même, considéré comme une périphérie du monde.

 

Le site du COP KEATING (source - US Army)

 

L’avant-poste américain se situe dans un relief accidenté, dominé par des pentes abruptes sur trois côtés. Matériellement contraint par une géographie montagneuse (la route s’arrêtant au point le plus bas et ne grimpant pas sur les crêtes environnantes), le choix de l’emplacement du COP Keating paraît d’emblée aberrant d’un point de vue tactique. Dominée et enfermée en fond de vallée, la garnison pouvait être attaquée simultanément de plusieurs côtés, et soumise aux feux ennemis à partir d’une multitude de positions en hauteur. En cas d’assaut, soldats américains et afghans n’avaient d’autre choix que de livrer un combat défensif, ne pouvant contre-attaquer sur des pentes rocheuses aussi raides dans trois directions différentes. Quant à l’unique route qui rejoignait l’avant-poste, elle était sinueuse, étroite, et tout aussi dangereuse. Aux accidents s’ajoutaient les menaces d’embuscades pour les lourds convois militaires qui ne pouvaient faire demi-tour.

Le COP Keating était donc ravitaillé de nuit, par les airs et par des hélicoptères faute d’aérodrome. Une telle situation pourrait sembler tactiquement absurde si elle n’était le fait d’une armée confiante en la réactivité et en la puissance de ses moyens aériens. Par ailleurs le COP n’était pas complètement isolé. Il était soutenu par un autre COP (le COP Lowell) situé à quelques kilomètres, et bénéficiait aussi d’un autre point d’observation : le point Fritsche. Keating, Lowell et Fritsche étaient donc les trois points d’appui du dispositif COIN autour du village de Kamdesh.

La bataille de Kamdesh (octobre 2009)

En dépit de ses multiples contacts avec la choura (3), le commandement du COP Keating ne parvient pas à empêcher les infiltrations des Taliban ainsi que les tirs de harcèlement venus des crêtes et des pentes environnantes. De janvier 2009 à l’attaque du 3 octobre, l’avant-poste subit 212 attaques : tirs sporadiques et tirs de snipers. Ce qui ressemble de plus en plus à des tests se répète quasiment quotidiennement, éprouvant les nerfs des soldats de l’unité Black Knight du 3e escadron du 61e Régiment de Cavalerie, de la 4e Brigade Combat Team de la 4e Division d’infanterie.

En octobre 2009, les 48 militaires de cette unité sont déjà en place depuis trois mois. Ils servent aux côtés de 24 soldats de l’Armée Nationale Afghane (ANA) encadrés par 2 conseillers militaires lettons. Être affecté au COP Keating n’est pas un bon signe pour la troupe, et cela se ressent sur l’état d’esprit et le moral (4). Les cavaliers aéroportés du 3-61 savent que tenir l’avant-poste est aussi dangereux qu’inefficace et que le commandement a même prévu d’abandonner dans un avenir proche le COP. Cependant, cet abandon est sans cesse repoussé pour des raisons tactiques, logistiques (manque d’hélicoptères lourds) et même politiques selon Jack TAPPER.

Un précédent inquiète particulièrement : l’assaut lancé par les Taliban sur le COP Wanat le 13 juillet 2008 dans la province voisine de Kunar. Ce jour-là - dans une configuration tactique similaire à celle du COP Keating - les insurgés ont attaqué en nombre et avec une puissance de feu supérieure à celle de la garnison. Si le COP Wanat fut finalement dégagé, 9 soldats américains furent tués et 27 autres blessés. L’avant-poste Keating bénéficie cependant d’un avantage avec la présence d’une batterie de mortier de 120 mm. Parfaitement adaptée à la configuration des lieux, cette pièce d’artillerie - qui a plusieurs fois repoussé avec la plus grande efficacité les attaques des Taliban - est l’arme lourde la plus puissante du COP. Cependant, comme à Wanat, nul doute qu’en cas d’assaut l’ennemi cherchera d’abord à le neutraliser. Cela est d’autant prévisible que le chef de guerre taliban qui va bientôt entrer en action - Abdul RAHMAN - a une connaissance précise des lieux et des moyens du COP Keating. Durant des mois, il en a testé les défenses (notamment la réactivité de son artillerie), les procédures tactiques, et il en connaît les points névralgiques : le mortier de 120 mm, la génératrice, le dépôt de munitions, la distance entre celui-ci et les deux Humvees blindés armés de mitrailleuses lourdes mais aussi de LRAS (5).

L’assaut débute le samedi 3 octobre 2009 à l’aube, vers 6.00, peu après la prière. D’emblée, un feu particulièrement violent, venant des hauteurs, s’abat sur le retranchement américain visant directement sa capacité de riposte à savoir le mortier de 120 mm et les deux Humvees. Le point d’observation Fritsche est également attaqué, et le commandant du COP Keating – le Major Stoney L. PORTIS – qui s’y était rendu, est d’emblée coupé de son unité. C’est donc son commandant en second, le Lieutenant Andrew L. BUNDERMANN, qui prend en main le commandement de la position.

Celle-ci est encerclée par une force ennemie très largement supérieure en nombre (entre 300 et 400 combattants), qui dévale les pentes tout en accablant les hommes de l’unité Black Knight et les supplétifs de l’ANA de tirs de fusils d’assaut, de précision mais aussi de roquettes RPG. Le mortier est rapidement neutralisé ainsi que les deux Humvees ; ces derniers continuant cependant à servir de protection pour quelques soldats. Avec la neutralisation des armes lourdes la situation devient critique. Tous les bâtiments sont soumis à des tirs venant de toutes les directions, et l’ennemi commence à s’infiltrer dans le périmètre du COP désormais menacé d’être submergé dans la matinée.

Alors que l’on se bat dans le COP même, le Lieutenant BUNDERMANN s’apprête à ordonner un ordre Alamo (6), mais le Sergent-chef Clint ROMESHA (7) parvient à le convaincre d’une manœuvre inverse à savoir lancer une contre-attaque avec une dizaine d’hommes encore valides. Cette action vise à reprendre certains secteurs clés du COP, et à éviter que les Taliban ne coupent en deux le périmètre de la garnison. Surtout, l’initiative de ROMESHA fait gagner un temps précieux aux forces américaines, qui engagent en fin de matinée d’importants moyens aériens. F-15 E Eagle, bombardiers B-1 Lancer, avions d’attaque au sol A-10 Warthog et hélicoptères AH-64 Apache s’abattent sur les Taliban. Guidé par le Lieutenant BUNDERMANN, le soutien aérien rapproché (8) écrase les Taliban et desserre l’étau autour du COP. Dans le même temps, une Quick Reaction Force (QRF) commandée par le Lieutenant-colonel Brad BROWN était héliportée sur Fritsche et faisait rapidement mouvement vers les assiégés.

À 19.00, le COP Keating était entièrement sécurisé. 8 soldats américains avaient été tués dans l’action, et 22 autres blessés. Les cadavres de 150 Taliban furent dénombrés soit près de la moitié de la force ennemie engagée. Renforcée par la QRF, l’unité Black Knight resta encore sur place jusqu’au 6 octobre, date à laquelle l’ensemble des forces sur place fut évacué. Le 7 octobre, un bombardier B-1 rasa le site du COP Keating conformément à la décision du haut commandement américain en Afghanistan (Général Stanley A. McCHRYSTAL) d’évacuer les COP les plus isolés afin de recentrer les efforts sur la protection des villes.

Abstraction faite du contexte de la COIN, la bataille de Kamdesh ne va pas sans rappeler certaines batailles livrées par l’armée américaine au Vietnam dans le cadre d’une toute autre stratégie - celle notamment du search and destroy – où nombre de victoires tactiques se sont révélées inexploitables faute de pouvoir tenir le terrain de manière permanente. Partant, ces victoires militaires accouchaient d’un échec stratégique dont on imagine la frustration pour les troupes combattantes et l’incompréhension que cela pouvait aussi produire au sein de l’opinion publique. En détruisant le COP Keating et en abandonnant le secteur au lendemain de leur succès défensif, les Américains donnèrent finalement la véritable victoire aux Taliban.

__________

  1. Cf. La Counter-Insurgency (COIN) désigne la stratégie contre-insurrectionnelle mise en œuvre par les Etats-Unis lors des guerres en Afghanistan et en Irak au début du XXIe siècle. Elle n’est pas que militaire et comporte un volet politique et civil important. L’objectif étant de contenir une guérilla dans un contexte asymétrique, et de la vaincre sur la durée en la coupant de tout soutien de la population. S’inspirant de la réflexion du stratège français David GALULA (1919-1968), lui-même instruit par les expériences des guerres d’Indochine et d’Algérie, la COIN pourrait se résumer par « gagner les cœurs et les esprits » [des populations] afin d’isoler et d’asphyxier une guérilla.
  2. Cf. TAPPER (Jack), The Outpost, Williams Collins, 2020, 689 p.
  3. Cf. La choura est l’assemblée des représentants de la communauté villageoise.
  4. Cf. Afin de renforcer cette atmosphère affectant le moral des combattants américains, le réalisateur du film prend la liberté de faire mourir les deux commandants du COP : le Capitaine Benjamin D. KEATING et son successeur, le Capitaine Robert J. YLLESCAS. Le premier dans un accident de la route et le second tué par un IED. Dans la réalité, KEATING fut tué le 26 novembre 2006 et YLLESCAS le 1er décembre 2008.
  5. Cf. Fabriqué par la firme Raytheon, le Long Range Advanced Scout System (LRAS) est un système de surveillance et de reconnaissance multi-capteurs à longue portée. Fonctionnant en temps réel de jour comme de nuit et par tous temps, le LRAS calcule les coordonnées d’une cible jusqu’à 10 km de distance. Il peut être monté sur un véhicule, embarqué dans un blindé ou utilisé dans une version pour fantassin (montage sur un trépied).
  6. Cf. L’ordre Alamo – du nom de la bataille de Fort Alamo en 1836 où 180 Texans furent assiégés par 3000 Mexicains – est l’ordre donné à une unité d’infanterie, sur le point d’être submergée, de se replier sur une dernière ligne de défense. Traduisant une situation désespérée, ce repli restreint le périmètre initial afin de rassembler les derniers éléments encore en état de combattre autour d’une position forte.
  7. Cf. La reconnaissance de l’héroïsme du Sergent-chef Clinton L. ROMESHA et du soldat Ty M. CARTER durant cette bataille leur valu la plus haute décoration de leur vivant : la Médaille d’Honneur du Congrès. Elle leur fut remise par le Président Barack OBAMA en 2013.
  8. Cf. Close Air Support (CAS).
     

 

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