C’est à Dax, aux confins de la forêt landaise et du terroir de la Chalosse, que se trouve l’École d’Application de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre (EAALAT), renommée depuis le 1er août 2019 Base École du 6e Régiment d’Hélicoptères de Combat (BE 6e RHC). Cette école a pour vocation la formation des pilotes d’hélicoptère des forces armées (Armée de Terre, Armée de l’Air et de l’Espace, Marine et Gendarmerie nationales). S’y agrègent aussi la formation des pilotes d’avions de l’Armée de Terre, ainsi que celle des instructeurs et moniteurs, des contrôleurs aériens et de divers opérateurs. C’est également à Dax que l’on trouvera le musée de l’ALAT, qui retrace l’histoire de l’arme à partir d’une belle collection d’avions et d’hélicoptères rassemblés dans un vaste hangar.
L’ALAT est officiellement créée le 22 novembre 1954 alors que débute la guerre d’Algérie. Elle a donc 67 ans mais serait bien plus ancienne en son origine si l’on s’en tenait à la date de la première mission d’observation aérienne au profit de troupes au sol. Ce fut en effet le 2 juin 1794, lors de la bataille de Fleurus, que l’armée française utilisa pour la première fois un ballon d’observation pour anticiper les mouvements de l’armée autrichienne.
À partir de cette date, la tactique qui sert avant tout à l’artillerie va se développer jusqu’à la Première Guerre mondiale où la naissance de la première aviation de guerre marque une rupture. Cette aviation dépend de l’Armée de Terre durant tout le conflit, et ce sont ces premiers vols de reconnaissance qui décident du déclenchement de la contre-offensive de la Marne en septembre 1914. Si, dans l’entre-deux-guerres, l’aviation militaire se détache pour devenir une armée à part entière, l’Armée de Terre garde encore des moyens aériens dévolus aux missions d’observation et de réglage d’artillerie. En 1942, ce sont des Piper J-3 Cub, fournis par les Américains, qui tiennent ce rôle. Il faut cependant attendre l’apparition de l’hélicoptère et la maîtrise du vol vertical au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale pour voir se développer une véritable aviation de l’Armée de Terre.
Au musée de Dax, cette cellule d’Alouette II permet de comprendre le fonctionnement général d’un hélicoptère
L’apparition de l’hélicoptère
Le vol vertical à partir d’une hélice sustentatrice permettant les décollages et les atterrissages verticaux ainsi que le vol stationnaire étaient déjà imaginés dès les débuts de l’aviation. Les contraintes imposées par un tel vol sont cependant restées longtemps insurmontables : instabilité du vecteur, force centrifuge exercée sur les pales, vitesse extrême en bout de pale, vibrations, effet de couple qui fait tourner l’hélicoptère sur lui-même (1), différentiel latéral de portance, complexité de la mise au point d’une transmission et d’une motorisation, fatigue et usure des matériaux plus fortes que pour un avion... Les guerres mondiales ayant davantage insisté sur les progrès en matière d’avions, ces obstacles techniques ont mis du temps pour être résolus.
C’est avec le conflit indochinois (1947-1954) que les premiers hélicoptères opérationnels sont employés. L’Armée de Terre en perçoit immédiatement l’intérêt avec des interventions au cœur des champs de bataille sans besoin d’aérodromes : évacuation de blessés (2), transport de troupes et ravitaillement logistique de ces dernières. En plus de cette souplesse tactique, il permet – notamment en Algérie - de développer des effets de surprise en matière de lutte contre-insurrectionnelle.
L’hélicoptère devient, donc, indispensable et est appelé à se perfectionner rapidement. Il n’en demeure pas moins une machine complexe et délicate à concevoir comme à utiliser. Pour une heure de vol il faut, en moyenne, 3 heures de maintenance pour l’entretien des parties mécaniques. En milieu désertique aride, comme au Sahel, l’utilisation de l’hélicoptère est encore plus délicate. La poussière éprouve fortement les moteurs des engins et les pilotes dans leurs manœuvres au sol. L’abrasivité du sable réduit également la durée de vie des composants et des mécanismes, ce que la DGA étudie de près dans le programme Guépard (3). Encore de nos jours, les contraintes physiques inhérentes à la voilure tournante expliquent une vitesse maximale basse par rapport à un avion. Pour la plupart des hélicoptères, cette vitesse reste ainsi en-dessous de 400 km/h, ce qui a poussé les forces armées américaines à développer le concept de convertible avec le V-22 Osprey de Bell-Boeing. Les moteurs basculants de cet engin permettent, en effet, d’obtenir à la fois les capacités de l’hélicoptère au décollage, à l’atterrissage et en vol stationnaire tout en lui donnant la puissance et la vitesse d’un avion en vol.
Articulations de battement de différents rotors
Les pales du rotor se substituant aux ailes d’un avion, la conception comme le vol et le pilotage d’un hélicoptère diffèrent sensiblement de ceux d’un avion. À partir de la cellule d’une Alouette II, le musée de Dax permet ainsi de comprendre les principes de fonctionnement d’une voilure tournante. Généralement situé à gauche du pilote et ressemblant à un frein à main, le pas général (ou pas collectif) permet de monter ou de descendre. S’y trouve une poignée qui, à la manière d’une poignée d’accélération sur une moto, commande les gaz. C’est notamment le collectif qui permet de varier l’incidence des pales du rotor à partir d’une articulation du rotor appelée articulation de battement.
Entre les jambes du pilote se situe, à la place d’un manche à balai dans un avion, le pas cyclique qui permet le contrôle de l’assiette de l’hélicoptère, d’avancer ou de reculer. Aux pieds du pilote se trouve le palonnier, constitué de deux pédales qui permettent de virer soit à bâbord soit à tribord. Le pilote d’un hélicoptère a, donc, en permanence les quatre membres occupés dans des actions sur 4 systèmes de commandes différents. Il doit en permanence contrebalancer des poussées différentes dans un sens ou dans un autre, ce qui nécessite une très bonne coordination.
À cette aptitude, s’ajoute une capacité à devoir gérer une charge de travail autour d’un circuit visuel qui doit balayer en quelques secondes de nombreux instruments de bord. Ces derniers font parvenir en permanence au pilote des informations liées au fonctionnement de l’hélicoptère, à la navigation, aux communications et au contrôle aérien, auxquels s’ajoutent d’autres informations relatives à l’utilisation des systèmes d’arme et à la situation tactique. Sur les engins les plus récents, le nombre de cadrans analogiques a été remplacé par des écrans qui, désormais, concentrent et digitalisent les informations avec un code couleur : c’est le glass cockpit. L’introduction de l’automatisation permet aussi pour certains hélicoptères, tel le NH-90, de voler en stationnaire sans requérir l’action du pilote. Nonobstant ces progrès, on comprendra d’emblée la sélectivité des tests de recrutement comme celle de la formation au pilotage des candidats pilotes de l’ALAT. Chaque année, le BE 6e RHC reçoit plus de candidats qu’il n’en macarone…
Collection du musée de l’ALAT
L’ALAT : de l’observation pour l’artillerie à l’aérocombat
L’introduction et le perfectionnement rapide de l’hélicoptère ont également influencé les missions et la doctrine d’emploi des moyens aériens de l’Armée de Terre. D’abord centrée sur le réglage de l’artillerie, l’aviation de l’Armée de Terre évolue rapidement vers des missions sanitaires et logistiques avec les guerres d’Indochine et d’Algérie. Ces deux conflits ont ainsi joué un rôle structurant dans l’affirmation de l’arme, lui donnant une identité spécifique (par rapport à l’Armée de l’Air notamment) et faisant, surtout, naître une véritable doctrine d’emploi. Ce n’est donc pas un hasard de voir l’émergence d’un Commandement de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre (COMALAT) en novembre 1954, aujourd’hui installé sur la BA 107 de Villacoublay (Yvelines) aux côtés du Commandement des Opérations Spéciales (COS).
Depuis, les missions ont très rapidement évolué comme en témoigne la montée en puissance des Groupements d’Hélicoptères (GH) dès les années 1950. Les opérations d’observation puis, dans un deuxième temps, sanitaires et logistiques, deviennent durant la Guerre d’Algérie des opérations antiguérilla et de combat. Non seulement le nombre d’hélicoptères augmente mais leur présence devient quasi systématique dans toutes les opérations de moyenne envergure. Surtout, l’hélicoptère commence à être armé de mitrailleuses, de lance-roquettes et, bientôt, de lance-missiles. En se transformant en plateforme de tir, l’hélicoptère non seulement affirme l’aéromobilité de l’Armée de Terre sur le champ de bataille mais y ajoute, désormais, le concept d’aérocombat. De nos jours, bien plus que de simples plateformes de tir, les hélicoptères de l’ALAT relèguent les batailles de Fleurus et de la Marne à de lointains souvenirs. L’Eurocopter EC-665 Tigre est ainsi, en lui-même, un véritable système d’arme multi-missions, opérationnel de jour comme de nuit, particulièrement conçu pour un environnement tactique info-valorisé.
La Guerre froide va renforcer le concept d’aérocombat, faisant naître l’hélicoptère de combat. Celui-ci emporte des systèmes d’observation et de visée, ainsi que des armements de plus en plus puissants. La défense d’autres hélicoptères, l’appui-feu de troupes au sol mais, surtout, la lutte antichar deviennent des missions à part entière de l’ALAT. À cette époque, l’objectif tactique général était de pouvoir briser une offensive blindée-mécanisée de grande ampleur à partir d’une trame antichar (4) dans laquelle l’hélicoptère d’attaque était conçu comme un véritable « tueur de chars ». Polyvalent, léger, maniable, adapté au vol tactique de jour comme de nuit (5), capable de rester dissimulé en vol stationnaire derrière la cime des arbres, l’hélicoptère Gazelle SA 340, fut ainsi armé de missiles antichars HOT (6). Parallèlement, une version équipée d’un canon de 20 mm fut destinée à l’appui-feu au sol. Quant à l’assaut héliporté - déjà expérimenté en Algérie -, il s’est aussi développé durant cette période avec l’emploi d’hélicoptères plus gros et plus performants de type Puma puis - à partir des années 1990/2000 - Cougar et Caracal.
L’ALAT est donc une arme récente, dont l’évolution est commandée par des innovations technologiques qui transforment profondément les hélicoptères, mais aussi par les mutations que connaissent les conflits entre la fin du XXe et le début du XXIe siècle. Dans l’environnement post-Guerre froide, l’arme s’est réorganisée en ouvrant sa doctrine au concept d’opérations extérieures (OPEX) et à celui des opérations spéciales. L’ALAT a ainsi accompagné tous les engagements de l’Armée de Terre : en Afghanistan (opération Pamir), en Côte d’Ivoire (opération Licorne), en Libye (opération Harmattan), au Mali (opération Serval) et au Sahel (opération Barkhane). Elle est devenue indispensable à la planification de toutes les opérations sur un spectre allant d’actions de combat conventionnel à des actions de lutte anti-terroriste que ce soit dans un cadre interarmes, interarmées ou d’engagements en autonomie. Lors de l’opération Harmattan (mars-octobre 2011), les hélicoptères de l’ALAT opèrent de nuit à partir de la mer, à bord du BPC Tonnerre L 9014, et détruisent plus de 600 cibles (7). De ce bilan d’une trentaine années, une ombre au tableau demeure cependant : l’absence d’hélicoptères cargos lourds de type CH-47 Chinook.
Aujourd’hui, sur les 4 régiments d’hélicoptères de l’Armée de Terre, le 4e Régiment d’Hélicoptères des Forces Spéciales (4e RHFS, Pau) fait directement partie des moyens du Commandement des Opérations Spéciales (COS). Les 3 autres régiments demeurent regroupés dans la 4e Brigade d’Aérocombat (4e BAC). De nos jours, l’ALAT regroupe 5000 personnels dont 220 équipages et 2500 mécaniciens. Ces derniers mettent en œuvre 300 aéronefs dont 154 hélicoptères de combat soit les deux tiers de l’ensemble des hélicoptères des forces armées.
Les hélicoptères qu’utilisent l’ALAT sont :
Vitrine et épine dorsale de l’ALAT actuelle, le Tigre est un hélicoptère de combat issu d’un programme franco-allemand (8) dont l’industriel est la firme Eurocopter. Réponse européenne au Boeing (anciennement Mc Donnell Douglas et Hugues Aircraft) AH-64 Apache américain, il lui est comparable en termes de performances, non sans de réels avantages en matière de dimensions (9), de poids, de vitesse ascensionnelle et de rayon d’action.
Comme beaucoup de programmes d’armement, le Tigre trouve ses origines dans les demandes du champ de bataille de la Guerre froide, tout en connaissant une longue gestation du fait de divergences opérationnelles (hésitations nationales entre plusieurs versions) et de coûts élevés. Les premiers prototypes ne volent qu’au début des années 1990, et c’est en 2007 que l’ALAT commence à utiliser le Tigre : d’abord à titre expérimental puis en phase opérationnelle en Afghanistan à partir de 2009. Cependant, au moment où l’opération Harmattan est déclenchée (2011), aucun Tigre n’est encore qualifié pour le tir antichar.
Le Tigre se présente comme une voilure tournante quadripale dont la capacité furtive a été particulièrement travaillée. Sa construction en matériaux composites non seulement allège son poids global mais permet également d’absorber une partie de sa signature radar, infrarouge et thermique, ce que renforce aussi l’emploi d’une peinture de camouflage spécifique. S’y ajoute l’étroitesse de sa configuration (1,10 m de large) qui loge en tandem le pilote à l’avant et le chef d’engin derrière en surélévation. Bénéficiant d’un blindage qui peut être occasionnellement renforcé, le Tigre reste un hélicoptère puissant et agile capable de réaliser des loopings.
D’abord acquis en version HAP (Hélicoptère Appui Protection), l’ensemble du parc Tigre de l’ALAT est en train d’évoluer vers le standard HAD (Hélicoptère Appui Destruction). La différence entre le HAP et le HAD tient en une motorisation plus puissante et un armement augmenté. Au canon-mitrailleur de 30 mm, aux roquettes de 68 mm et aux missiles air-air Mistral 2, le HAD ajoute 8 missiles AGM-114 Hellfire, remplacé sur la version 3 du HAD par le missile antichar à longue portée de MBDA : le MultiRole Combat Missile (MRCM). Cet armement - qui n’a plus rien à voir avec celui que pouvait emporter un hélicoptère Gazelle - fait du Tigre un hélicoptère taillé pour le combat avec une capacité air-sol pouvant porter jusqu’à 8 km avec les Hellfire (en tir collaboratif), et une capacité anti-aérienne portant jusqu’à 6 km avec les missiles Mistral. Quant au canon mitrailleur (type chain gun) et les roquettes de 68 mm, ils ont, depuis, largement fait la preuve de leur efficacité en Libye, en Afghanistan et au Mali.
Surtout, le Tigre embarque toute l’innovation technologique et électronique désormais classique pour un engin de cette génération : capteurs, FLIR, détecteurs de départs de coups, contre-mesures électroniques, et casque TopOwl qui concentre les informations ainsi qu’une vision nocturne intégrée sur la visière du casque. Cette avionique de pointe permet également une simplification de la maintenance. La version 3 du Tigre HAD est désormais celle du système Scorpion dans lequel l’hélicoptère devient plus que jamais un maillon important du réseau tactique : captation et partage de l’information, et combat collaboratif.
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