Exemple parmi d’autres d’une capacité d’innovation interne aux armées : en 2018 un adjudant aux Écoles de Coëtquidan met au point un simulateur d’hémorragie afin d’améliorer la pédagogie (source - Ouest-France)
Une médecine d’urgence
Mutilations, effets de surpression, plaies par balles (1), polycriblages et polytraumatismes… La spécificité des blessures de guerre dit une gravité que l’on ne trouve que dans les accidents de la route ou les faits divers les plus violents. Les blessures hémorragiques sont l’une des principales causes de décès des soldats mais aussi de nombreux accidentés au quotidien. Cependant, à la différence de ces derniers, les militaires subissent ses blessures dans un environnement non sécurisé et dégradé où les distances et l’absence d’infrastructures adéquates compliquent sensiblement tout sauvetage.
La chaîne médicale de théâtre a été organisée pour répondre aux impératifs de la médecine de guerre et de la médecine d’urgence. Alors que la première a pour spécificité de devoir trier et gérer un afflux massif de blessés, la deuxième a pour mission de sauver les patients alpha c’est-à-dire les blessés dont les traumatismes sont les plus graves avec une ou plusieurs plaies hémorragiques. Défini comme prioritaire lors du diagnostic et du tri des blessés, le patient alpha se situe à l’intersection des médecines de guerre et d’urgence. Le diagnostic est d’abord réalisé sur le lieu même de la blessure, autrement dit sur le champ de bataille. C’est un infirmier militaire qui l’établit, constituant ainsi le premier niveau de l’intervention appelé « médicalisation de l’avant ».
Le deuxième niveau est celui des antennes médicales. Situées à l’arrière mais à proximité, elles sont l’étape essentielles avant l’évacuation du blessé dans un hôpital mobile de campagne (niveau 3) ou un Hôpital d’Instruction des Armées (niveau 4). Avec la médicalisation de l’avant, c’est dans les antennes médicales que se joue la fameuse golden hour à savoir les 60 premières minutes qui conditionnent la survie du patient alpha. L’"heure dorée" n’est autre chose que la conjugaison du temps avec la justesse du diagnostic, la rapidité de l’évacuation et la stabilisation des blessures.
Aujourd’hui appelées Antennes de Réanimation et de Chirurgie de Sauvetage, les antennes médicales militaires sont passées à la 4e génération (2). Par RETEX des OPEX Serval et Barkhane, les ARCS 4 se présentent comme des structures allégées plus que jamais modulaires par rapport aux anciennes antennes chirurgicales aérotransportables de 8 tonnes (3). L’objectif est de les rendre plus mobiles et plus rapides à déployer en soutien à un GTIA pour une durée de 48.00. La géographie du théâtre sahélien ainsi que la nature des opérations expliquent cette évolution. Plus légères, les ARCS 4 restent pourtant capables d’accueillir un plus grand nombre de blessés (4), et d’en traiter deux graves simultanément en chirurgie ou réanimation. 13 personnes sont nécessaires à leur fonctionnement dont un médecin anesthésiste-réanimateur et 3 chirurgiens.
Un flacon de PLYO (source - Service de Santé des Armées)
Le plasma lyophilisé : une spécialité militaire et française
Dans un contexte tactique, le sang est une substance de première nécessité dont la disponibilité immédiate, le stockage/conditionnement et l’acheminement constituent des difficultés importantes. C’est la mission du Centre de Transfusion Sanguine des Armées (CTAS) de pourvoir un stock stratégique de produits sanguins, et d’assurer pour les Armées un processus transfusionnel adapté aux réalités des théâtres d’opérations. En clair, il faut pouvoir amener rapidement du plasma dans un contexte d’éloignement, d’isolement, de manque de matériels et sous le feu ennemi. Face à des chocs hémorragiques particulièrement graves, une transfusion sanguine, réalisée dès l’arrivée de l’hélicoptère sanitaire, devient une action essentielle qui conditionne l’issue de la golden hour.
Le CTSA a été fondé en 1945 par le Médecin général Jean JULLIARD (1902-1960) dont le nom figure sur l’insigne de l’unité. Installé dans l’HIA Percy de Clamart, il mène également des activités thérapeutiques et de recherche. C’est ici qu’a été mis au point un processus de lyophilisation du plasma unique au monde, dont l’Armée française s’est faite une spécialité. Alors que le plasma est habituellement congelé à -30°, le CTAS a réussi à en fabriquer un sous la forme de poudre. Conservé à température ambiante, il peut être reconstitué en quelques minutes avec de l’eau. Le principe de cette transformation remonte à la Deuxième Guerre mondiale où Jean JULLIARD s’intéresse à des lots de plasma cryodesséché en provenance de l’armée américaine. En collaboration avec un vétérinaire spécialiste des traitements à froid – le Colonel François HENAFF (1906-1962) – JULLIARD va mettre au point le plasma lyophilisé (PLYO) à partir de 1949. Le PLYO est d’abord un plasma congelé que l’on réchauffe sous vide. Le processus qui permet d’éliminer l’eau (alors sous forme de glace) sans passer par l’état liquide est la cryodessication d’où l’appellation de plasma « cryodesséché » (5).
Les travaux des docteurs JULLIARD et HÉNAFF constituent une avancée pour une médecine d’urgence soumises à des contraintes opérationnelles que l’on ne retrouve pas ailleurs. Le PLYO peut ainsi se conserver deux années, soit deux fois plus longtemps qu’un plasma ordinaire. Sa température de conservation est également supérieure : entre 2 et 25° C contre -30° C. Il est reconstitué en 3 minutes par ajout d’eau alors qu’il faut une demi-heure pour décongeler un plasma ordinaire. Certes, il ne remplace pas ce dernier mais il permet de faire face à une urgence hémorragique le temps qu’une unité de plasma frais soit décongelée. Autre avantage : il peut être conditionné en flacon, en boîte cartonnée et en sachets pouvant être emmenés dans des sacoches. Les avantages sont immenses pour la chaîne médicale opérationnelle dont les niveaux 1 et 2 gagnent une incontestable souplesse au bénéfice de la golden hour.
_______________
Un pompier de la BSPP tenant un flacon de PLYO au cours d’une transfusion