Eye in the sky (1) est le deuxième film après Good Kill d’Andrew NICOLL qui porte au grand écran la question des frappes aériennes menées à partir d’avions pilotés à distance (Remotly Piloted Aircraft ou RPA).
L’action se situe à Eastleigh, un quartier pauvre de Nairobi. Deux ans après l’attentat meurtrier qui s’est déroulé dans le centre commercial de Westgate (Nairobi, septembre 2013), la milice al-Shabab (2) continue de préparer des attentats à partir du Kenya. Inspirée par le wahhabisme et affiliée à Al Qaida, al-Shabab est née dans les années 2000 en Somalie. Regroupant plusieurs milliers de combattants, ses actions ont très rapidement débordé son berceau d’origine pour s’étendre aux États voisins.
Le film raconte une opération militaire conduite depuis le quartier général des forces britanniques de Northwood, mais avec des moyens américains déployés à partir de la base de Creech dans le Nevada (3). Entre ces trois endroits (Eastleigh, Northwood et Creech) un quatrième lieu constitue le centre de gravité de l’action : la salle du comité COBRA (4) où la décision finale d’ouvrir le feu est prise.
Contrairement à Good Kill, le film du réalisateur sud-africain Gavin HOOD ne s’intéresse pas au stress post-traumatique des opérateurs de RPA même si le scénario laisse clairement percevoir les cas de conscience du sous-lieutenant Steve WATTS et de son navigateur Carrie GERSHON. Eye in the sky décrit le fonctionnement d’une mission opérationnelle ainsi que celui de la chaîne de commandement : de l’analyse de la situation à l’ordre de tir. Ce faisant, le film pose efficacement les enjeux politiques, juridiques, militaires et moraux que soulèvent les éliminations ciblées par drones interposés.
Dans sa traque d’une terroriste islamiste d’origine britannique, Susan Helen DANFORD, le colonel Katherine POWELL (Helen MIRREN) lance une mission au-dessus de Nairobi à partir d’un RPA Reaper MQ-9A télépiloté de l’AFB Creech. L’opération Aigrette a pour objectif de soutenir les forces kenyanes en leur donnant les informations devant leur permettre d’arrêter de hauts responsables d’al-Shabab se réunissant dans une maison d’Eastleigh. Parmi eux Susan DANFORD et son mari en compagnie de deux autres terroristes de nationalité américaine et britannique.
En mission d’observation, le RPA est cependant armé de deux missiles AGM-114 Hellfire (5). La mission est menée conjointement avec l’armée kenyane dont le renseignement au sol est affiné par une équipe utilisant d’autres catégories de drones volants et miniaturisés sous la forme d’oiseau et d’insecte. Les observations en haute définition et en temps réel également réalisées dans le cockpit du Reaper situé sur la base de Creech font également comprendre que l’action des drones est chirurgicale. Elle ne peut se substituer aux observations satellitales et aériennes qui concernent des espaces beaucoup plus vastes. Drones, RPA, avions et satellites sont ainsi autant de moyens complémentaires, qui n’observent pas les mêmes choses au sein d’une même opération.
Utilisant un drone insectohopter dans la maison, le renseignement keynian permet l’identification des participants à la réunion. C’est le Joint Intelligence Center Pacific installé à Pearl Harbor (Hawaï) qui confirme en temps réel via un algorithme de reconnaissance faciale la présence de Susan DANFORD et d’une autre cible à haute valeur ajoutée. Le colonel POWELL est alors en liaison permanente avec la cellule COBRA dont le responsable militaire est le Lieutenant-général Franck BENSON (6) placé sous l’autorité de deux ministres et d’un sous-secrétaire d’État.
Alors que l’intervention des forces kenyanes au sol reste délicate du fait de nombreux hommes armés autour de la maison, l’analyse de la situation évolue rapidement lorsque l’insectohopter permet d’observer dans une pièce voisine à celle de la réunion des djihadistes un artificier en train de préparer des vestes explosives. Deux hommes revêtent ces vestes et s’apprêtent à prononcer un message filmé annonçant une attaque. Désormais pour POWELL et BENSON la mission n’est plus d’observer mais d’attaquer avant que les responsables d’al-Shahab ainsi que les terroristes ne sortent de la maison et se dispersent.
Une lutte contre la montre s’engage où les militaires, voyant une opportunité de se débarrasser de plusieurs cadres terroristes tout en arrêtant une tentative d’attentat, désirent frapper immédiatement. Ils se heurtent cependant aux réticences des responsables politiques et aux avis contradictoires des conseillers juridiques. Non seulement la mission en cours change d’objectif mais il s’agit également de lancer une frappe missile sur le territoire d’un pays allié avec de forts risques de pertes au sein de la population civile. La situation se tend davantage avec l’apparition sur la scène d’opération d’une petite fille : Alia MO’ALLIM. Habitant une maison voisine avec ses parents, Alia vend du pain dans la rue et s’installe juste derrière le mur de la maison dans laquelle se trouvent les Shebab. Elle apparaît, en fait, dès le début du film en parallèle de ce qui se trame à des milliers de kilomètres de chez elle. Observée par les opérateurs de Creech, elle apparaît aussi sur les écrans de la cellule COBRA.
Alors que les obstacles juridiques commençaient à se lever les uns après les autres, notamment avec le feu vert donné par l’administration américaine, l’ordre de tir est bloqué par la présence d’Alia à côté de l’objectif. Le lieutenant WATTS refuse d’ouvrir le feu. Le général BENSON fait valoir auprès des autorités politiques que pour la vie d’une fille innocente on en sauverait 80 autres (pertes humaines estimées pour l’explosion d’un gilet explosif dans un lieu public). Pendant ce temps, le colonel POWELL fait modifier les paramètres de probabilité des pertes au-delà de la maison visée. En deçà de 50% le tir devient possible. POWELL fait descendre cette probabilité à 45% alors que la probabilité réelle est de 75%... L’ordre de tir est finalement donné. Un deuxième missile est tiré pour achever DANFORD encore en vie après la première frappe. Mortellement blessée, Alia ne survit pas.
Paradoxalement au déploiement technologique porté par la révolution des RPA, des drones et celle des algorithmes, Eye in the sky illustre par bien des aspects non pas la force mais la faiblesse de l’Occident. Les possibilités tactiques que donnent les RPA/drones sont largement contrebalancées par une chaîne de décision lourde et pesante dont on se demande si ce n’est pas davantage le juriste que le politique qui l’emporte au final. Si les militaires – incarnés par BENSON, POWELL et WATTS – font leur travail en toute rigueur, non sans états d’âme ni déchirements, ils se heurtent au mur de l’indécision, de la lâcheté si ce n’est du jugement d’hommes et de femmes politiques qui n’assument pas les guerres dans lesquelles ils les engagent.
Une scène en particulier résume assez bien ce cynisme politicien qui, au fond, n’est que le miroir de sociétés moralement affaiblies dont les émotions se substituent à une véritable détermination si ce n’est conscience des situations. Alors que le temps presse et que le général BENSON met dans la balance le sacrifice d’une fille avec la mort de dizaines de personnes si on laissait les terroristes quitter la maison, un ministre lui répond que pour 80 innocents tués par les Shebab on gagnerait la bataille de la propagande. En revanche, on la perdrait pour une enfant que l’on tuerait dans une frappe.
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