MIGNOT (Paul) et MOTTEZ (Vincent), Vaincre ou mourir, 2023. Le combat du chef vendéen François CHARETTE porté au cinéma à partir du spectacle du Puy du Fou : Le dernier panache.
Un officier de marine fidèle à la cause royale
Lorsque les paysans vendéens se soulèvent contre la levée en masse et la Révolution, en février-mars 1793, François Athanase CHARETTE de LA CONTRIE dit François CHARETTE (1763-1796) est un homme mûr dont l’existence est déjà bien remplie. Cadet peu fortuné issu d’une famille de petite noblesse, il fait carrière tôt dans la Marine qu’il quitte en 1790 avec le grade de lieutenant de vaisseau. Son mariage la même année avec une riche héritière le fixe au château de Fonteclose en Vendée. C’est donc par stratégie matrimoniale que CHARETTE, né breton, devient vendéen.
C’est cet homme encore jeune et expérimenté dans le commandement que les insurgés viennent chercher en mars 1793 pour se donner un chef. C’est à partir de cette date que CHARETTE entre désormais dans l’Histoire comme l’un des plus célèbres chefs de l’Armée catholique et royale. S’inscrivant dans cette tradition d’Ancien régime qui faisait des nobles les chefs et les défenseurs naturels de leurs communautés paysannes, CHARETTE ne fut pas dépourvu de réelles qualités humaines et militaires. Il fut cependant incapable de travailler à l’unité du commandement des armées vendéennes, se désolidarisa de la Virée de Galerne et – dans l’inégalité de la lutte qui opposait les Vendéens aux armées républicaines – il fut emporté par les défaites qui aboutirent à la destruction de l’Armée catholique et royale à l’hiver 1793.
Le carré des chefs vendéens est décimé entre juin 1793 et janvier 1794. CHARETTE en est le dernier survivant avec le Général Jean-Nicolas STOFFLET (1753-1796). Les deux hommes tentent de s’opposer aux « colonnes infernales » du Général Louis-Marie TURREAU (1756-1816) qui mettent le département de la Vendée à feu et à sang, mais la disproportion du rapport de force les contraint à une guérilla. La révolution thermidorienne, en juillet 1794, met fin à la Terreur et donne à CHARETTE l’opportunité de négocier avec la nouvelle Convention. Le traité de La Jaunaye (17 février 1795) suspend les hostilités. Le général vendéen reconnaît la République en échange d’une amnistie. C’est la rupture avec STOFFLET qui n’accepte pas cette reconnaissance et veut poursuivre la lutte à outrance (1). CHARETTE ne recherche pourtant pas le compromis. Il veut seulement gagner du temps au bénéfice de la Monarchie. Le traumatisme humain est également tel pour les Vendéens que la paix ne peut se décréter sur le papier nonobstant les efforts des Thermidoriens pour apaiser les haines (2). Le traité de La Jaunaye ne pouvait donc être qu’une trêve de courte durée. Reconnu chef suprême de l’insurrection par le nouveau Roi en exil, Louis XVIII (1755-1824) (3), et répondant à l’annonce d’un débarquement imminent d’émigrés sous le commandement du Comte d’Artois, CHARETTE reprend les armes en juin 1795.
Cette deuxième guerre de Vendée lui est cependant fatale. Pour la Convention, il apparaît plus que jamais comme le dernier commandant à éliminer d’autant plus que le rapport de force n’aura jamais été aussi déséquilibré. Commandée par le Général Louis Lazare HOCHE (1768-1797) l’armée républicaine s’assure du contrôle du littoral afin d’empêcher toute tentative de débarquement britannique. Parallèlement à cette action décisive, HOCHE fait désarmer systématiquement la population et traque dans l’arrière-pays les insurgés avec des unités particulièrement mobiles. CHARETTE n’est donc plus en mesure de faire la diversion stratégique que le Comte d’Artois attendait de lui pour rendre possible le débarquement. Ses combattants, décimés dans toutes les rencontres, sont contraints d’éviter les affrontements, de fuir et de se cacher. Pratiquant une politique de clémence qui fait bien plus que les « colonnes infernales » de TURREAU, HOCHE obtient la reddition des derniers résistants. C’est donc un général impuissant et quasiment abandonné par ses troupes que les soldats du Général Jean-Pierre TRAVOT (1767-1836) capturent le 23 mars 1796 dans les bois de La Chabotterie. Transféré à Nantes, CHARETTE est fusillé le 29 mars suivant. Sa disparition met un terme au soulèvement commencé trois ans plus tôt, et est considérée comme la fin de la Guerre de Vendée.
Vaincre ou mourir : un film sur CHARETTE et le martyr vendéen
C’est ce destin historique que Vincent MOTTEZ et Paul MIGNOT ont porté au grand écran avec le long-métrage Vaincre ou mourir sorti en salles le 25 janvier 2023. Le titre du film dit d’emblée la dimension épique, tragique et héroïque de la vie de François CHARETTE que les réalisateurs ont voulu mettre en avant avec toute la magie du 7e Art mais aussi les limites à vouloir porter au cinéma la complexité de l’Histoire. Le film trouve son origine dans l’un des spectacles les plus réussis du Puy du Fou depuis 2017 : Le dernier panache. C’est donc le succès renouvelé d’année en année de ce spectacle qui a conduit à sa mise en scène cinématographique non sans avoir hésité à produire, dans un premier temps, un documentaire historique.
Vaincre ou mourir est un film à petit budget (3,5 millions d’euros), diffusé à sa sortie dans moins de 200 salles. Il est cependant la première production du Puy du Fou Films, la compagnie de production cinématographique du Puy du Fou créée en 2021. Le film a bénéficié du soutien de Canal+ et est distribué par Studiocanal et Saje Distribution. Hugo BECKER est l’acteur qui incarne le héros vendéen (L’Assaut, 2010/Baron noir (série), 2016). À ses côtés on trouvera Jean-Hugues ANGLADE (La Reine Margot, 1993/Braquo (série), 2009) dans le rôle du conventionnel Albert RUELLE (1754-1805) ainsi que Grégory FITOUSSI (GI Joe : le réveil du cobra, 2009/World War Z (2013), Le Bureau des légendes (série), 2018) dans le rôle du Général TRAVOT.
Le film retrace de manière chronologique la vie de François CHARETTE de l’été 1789 à son exécution à Nantes en 1796, Place Viarme. Fidèle aux événements historiques, respectueux dans les reconstitutions en dépit de ses faibles moyens, ce long-métrage privilégie la narration des événements à travers la personne du chef vendéen dont la voix off traverse le film. Une mise en scène onirique de ses doutes et de ses introspections s’intercale également entre les événements. On y reconnaîtra l’inspiration du Roman de Charette de Philippe de VILLIERS : une œuvre littéraire érudite rédigée à la première personne sur le modèle de mémoires que CHARETTE n’a jamais écrites (3). De fait, le film reste centré sur la personne du général vendéen au détriment de la grande Histoire. Nous sommes à l’échelle d’un destin individuel et d’un soulèvement populaire, non à celle des événements politiques parisiens en dépit des interventions ponctuelles de représentants de la Convention : Jean-Baptiste CARRIER (1756-1794) et Albert RUELLE.
Vaincre ou mourir reste un propos historique soucieux de véracité factuelle. Le film s’ouvre sur une contextualisation réalisée par plusieurs historiens : Reynald SECHER, Nicolas DELAHAYE et Anne ROLLAND-BOULESTREAU. Il est accompagné (sur le site du film) d’un très utile dossier pédagogique réalisé par des professeurs d’Histoire pour les professeurs d’Histoire. Dans ce dossier on trouvera un état des lieux de l’historiographie sur la question de la Guerre de Vendée, et son intégration dans les nouveaux champs de la recherche en sciences humaines. Les grands points d’entrée dans les programmes du collège et du lycée permettant l’utilisation pédagogique du film sont recensés. Ces points d’entrée concernent bien évidemment les programmes d’Histoire portant sur la Révolution française (classes de 4e et de 1re) mais aussi le programme d’HGGSP de Terminale (avec le thème « Histoire et Mémoires ») sans parler de réflexions en sciences politiques transversales aux programmes d’EMC.
La Guerre de Vendée n’est pas finie…
Matrice idéologique et historique du régime républicain, la Révolution française irrigue profondément notre culture politique. Par le système de valeurs inédit qu’elle introduit, son influence ne concerne pas uniquement la France mais aussi l’Europe et le monde entier. Il n’est donc pas étonnant que tout ce qui remet en cause l’histoire officielle du phénomène, pire, en souligne la nature tyrannique, violente ainsi que les ferments qui conduisirent aux totalitarismes modernes, provoque les plus vifs débats politiques comme universitaires. La sortie de Vaincre ou mourir a ainsi vu la gauche culturelle se livrer à un véritable dénigrement médiatique du film où à la critique la plus légitime s’est substitué le propos assassin (4). Comme d’habitude, il est remarquable de constater que les premiers à brandir une supposée « falsification de l’histoire » par la soi-disant extrême droite ne sont autres que des idéologues patentés qui ont quitté l’Histoire depuis bien longtemps pour s’adonner à la politique (5).
Appelé en renfort, l’historien Jean-Clément MARTIN est, lui aussi, monté au créneau dans un long article où il « plaide pour que l’histoire ne soit pas posés (sic) en antagonismes : révolutionnaires/contre-révolutionnaires, surtout pas Vendée/Paris ou Vendéens/Révolution » (6). Et de poursuivre : « Je refuse que l’on fige la pensée, en s’enfermant dans les conflits de mémoire qui se sont emparés de cette « guerre » tout au long du XIXe et du XXe siècle. » D’emblée, le propos est spécieux car établir factuellement un antagonisme ayant historiquement été (ce que fait l’historien), n’est pas poser l’Histoire en antagonismes (ce que fait l’idéologue). On ne pourra s’empêcher, par ailleurs, de se demander qui fige le plus la pensée entre un film à contre-courant, unique en son sujet, et une histoire officielle aux ramifications marxistes dont l’universitaire Jean-Clément MARTIN est un représentant... Car avant de politiser la postérité de la Guerre de Vendée (7), les catégories que l’historien ne veut pas opposer ont pourtant bel et bien existé dans les faits. Qu’il faille en approfondir la compréhension, y introduire des nuances, périodiser et restituer la complexité de l’Histoire ne signifie pas pour autant que ces catégories sortent du néant et qu’elles soient totalement injustifiées.
De la Guerre de Vendée, Jean-Clément MARTIN opère une lecture interne aux différentes factions jacobines. Cette guerre est, selon lui, une création des révolutionnaires eux-mêmes sur fond de recherche de légitimité idéologique, de rapports de force et de règlements de compte. Il distingue ainsi les Sans-culottes des Montagnards et des Thermidoriens qui, de 1793 à 1794, se sont disputés le pouvoir en utilisant successivement la guerre et la pacification. C’est donc une cuisine interne à la Révolution qui a fait naître une Guerre de Vendée qui n’aurait pas de réalité objective. Le problème c’est que faire de tous ces morts ? Et quid des appels à l’extermination des révolutionnaires ? Nombre d’archives et de témoignages attestent de ces appels, et si le raisonnement du professeur présente un intérêt en ce qu’il restitue les différents rouages du processus, il ne change pas fondamentalement la dimension ni la signification de la catastrophe humaine.
On n’oubliera pas non plus que les catégories mises en avant dans la mécanique guerrière et criminelle ont pu aussi être poreuses, et que certains Thermidoriens furent aussi des Montagnards de la première heure. Que la Révolution ait fonctionné en circuit fermé avec ses divisions partisanes, ses purges, ses exutoires, le tout sur fond de désastres intérieurs comme extérieurs, quoi de plus normal ? Bien d’autres exemples historiques de révolutions ont aussi montré que les mêmes causes pouvaient produire les mêmes effets à partir du moment où la dynamique philosophico-politique était de vouloir changer fondamentalement la nature de la société et celle des hommes.
L’universitaire s’est toujours opposé à la qualification de « génocide » pour désigner la Guerre de Vendée. Il reconnaît cependant l’existence de « crimes contre l’humanité » durant ce conflit (8). La frontière est mince (voire discutable dans le cas présent) où l’on reconnaîtra celui qui à force de verser dans l’hypercritique en a oublié la réalité des choses. Certes, Jean-Clément MARTIN plaide pour que ce conflit soit d’abord perçu comme étant le produit de « la faiblesse d’un Etat en constitution dans une situation de guerre totale » (9). Si le constat n’est pas faux à qui en revient la faute cependant ? De la constitution civile du Clergé à la levée en masse en passant par l’exécution du Roi c’est avant tout la Révolution qui nie les solidarités populaires, piétine le sacré, brutalise les corps et les consciences, détruit l’État royal et amène la guerre civile et étrangère. Quant à la notion de « guerre totale » quelle en est l’origine si ce n’est le concept révolutionnaire de "Nation en armes" ? Et qui l’a portée au coeur de l’Europe pendant plus de vingt ans ? Seule une idéologie révolutionnaire pouvait conduire à ce qu’un contemporain des événements décrivait alors comme « la montée aux extrêmes » (10).
Par les bouleversements politiques, religieux et sociaux qu’elle imposait, la Révolution fut intrinsèquement violente quand bien même ces bouleversements furent-ils favorablement accueillis dans un premier temps y compris en Vendée. Si la Révolution a connu des divisions partisanes, son socle idéologique, philosophique et politique est resté cohérent et c’est à partir de l’année 1791 – deux années seulement après la nuit du 4 août et la Déclaration des droits de l’Homme - que s’opère le tournant de la radicalité.
Le succès d’un film
Lorsque Philippe de VILLIERS publia sa trilogie sur Saint Louis, Jeanne d’Arc et Charette (11), il avouait penser à la jeunesse française à travers l’écriture imaginée de ces trois héros, voyant en ces derniers l’incarnation de trois vertus essentielles. Saint Louis était la tempérance, Jeanne d’Arc l’espérance et Charette la résistance. « Combattu souvent, battu parfois, abattu jamais » telle était, en effet, la devise de François CHARETTE. Celle qui illustrait justement l’esprit de résistance et d’héroïsme dans un combat inégal et désespéré ; face à une force qui ne pouvait être vaincue par des paysans sans artillerie.
Qu’elle soit ou non le fruit d’une instrumentalisation de la part des révolutionnaires, la Guerre de Vendée restera une tragédie à l’échelle de notre histoire nationale. Intention exterminatrice et concours de circonstances ont très certainement joué leur part respective et mêlée dans le déchaînement de la violence, mais faire valoir les seconds pour atténuer systématiquement la première relève aussi du cynisme. Les chiffres sont là pour témoigner d’une volonté d’extermination et de destruction sur un temps très court. Des chiffres et des faits auxquels l’histoire officielle y a ajouté l’injustice du silence, de l’oubli et du relativisme.
« Le sang sèche vite lorsqu’il entre dans l’Histoire » chantait Jean FERRAT mais la justice trouve toujours son chemin car elle répond à une demande fondamentale du coeur humain, quand bien même attendrait-elle plusieurs siècles pour ébranler le mur épais et haut des idéologies. Si 1793 fut l’année du sang pour les Vendéens, 2023 commémore le 230e anniversaire de leur soulèvement avec le film de Vincent MOTTEZ et Paul MIGNOT. Pour la première fois, des réalisateurs portent au grand écran ce thème de la Guerre de Vendée à travers la vision des vaincus et des oubliés. Après nombre de films exaltant la Révolution et la République, en voilà un officiellement dédié à la mémoire des 200 000 Vendéens ayant péri dont 40 000 par le seul fait des colonnes de TURREAU (12).
D’emblée, Vaincre ou mourir s’impose dans un paysage cinématographique français médiocre dont beaucoup de films ne font en moyenne que quelques dizaines de milliers d’entrées. Dès sa deuxième semaine - et alors qu’elle ne bénéficie d’aucune publicité eu égard à un film comme Tirailleurs de Mathieu VADEPIED par exemple – la production du Puy du Fou Films réalise déjà 181 159 entrées pour seulement 188 salles de projection (13)... Ce succès - que l’on doit paradoxalement et en partie au dénigrement idéologique de la gauche culturelle (14) - devrait permettre une programmation en troisième semaine dans 297 salles.
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