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« On a tué toute initiative en faveur d’une Histoire nationale »

QUÉTEL (Claude), Il était une fois la France, Buchet Chastel, 2021, 608 p.

Article mis en ligne le 17 février 2023

par Nghia NGUYEN

SAINT-VICTOR (Jacques de), "Claude Quétel : "On a tué toute initiative en faveur d’une Histoire nationale", in Le Figaro, 17 novembre 2021.

 

Le Figaro - Vous êtes directeur de recherches au CNRS et vous proposez dans Il était une fois la France une histoire du pays qui revient à un récit strictement événementiel, ce que proscrivent tous vos collègues depuis l’École des Annales. Pourquoi ce retour au récit ?

Claude QUÉTEL - Je me considère comme un généraliste et je n’ai pas envie d’écrire un livre qui m’ennuierait. J’ai commencé ma carrière comme simple instituteur, puis j’ai fait ma thèse et je suis entré au CNRS. J’ai aujourd’hui dépassé l’âge de 80 ans et je considère qu’est arrivé le temps de rassembler toutes mes lectures dans une synthèse accessible au grand public. Le récit que je propose est rigoureusement chronologique, sans note de bas de page, cartes ou bibliographies. Il est écrit de la façon la plus simple, sans jargon. Mais cette synthèse de plus de deux mille ans d’histoire de France est le fruit de plusieurs décennies de réflexion et de lectures comme chercheur et historien de profession.

  • La situation intellectuelle du pays, qui, sous la pression de certains courants culpabilisateurs, ne sait plus qui il est ni où il va, a-t-elle nourri votre ambition ?

En grande partie, oui. La France traverse une période dramatique et ce marasme a des racines culturelles importantes. Nous ne savons plus ce que signifie être français parce que de tous côtés nous sommes encerclés par des groupuscules qui ne cessent de prétendre que nous ne sommes pas ce que nous sommes ou que, si nous sommes ce que nous sommes, nous devrions nous en excuser et expurger notre histoire.

  • N’est-ce pas une tendance mondiale actuelle ? On le constate aussi dans les pays anglo-saxons, qui traquent les grandes figures de leur passé ?

Non, tous les peuples sont attachés à leur histoire. Pas les Français.

  • Ils sont pourtant réputés être très friands d’histoire ?

Oui, mais souvent sur un mode frivole, anecdotique, cette petite histoire des rois et des reines qui fleurit à la télévision. C’est ce que j’appellerais le « petit bout de la lorgnette ». Ça n’a rien de mal, mais, au fond, cela n’a pas beaucoup d’intérêt, avouons-le. Cette façon futile de voir l’histoire ne donne aucune vision d’ensemble, ne permet nullement de se repérer dans la crise que nous traversons. Et ce qui me fait peur c’est que le public ne s’en contente. Comme la plupart des universitaires ont aujourd’hui perdu le goût d’être des passeurs de savoir, puisqu’ils s’enferment dans un jargon ridicule pour « copier » les sociologues, le résultat, c’est que l’histoire sérieuse n’intéresse plus personne. Le peuple s’en détourne et nos élites mondialistes estiment de toute façon que l’histoire nationale est inutile, voire dangereuse. On la supprime des concours les plus prestigieux pour mieux créer un citoyen « multiculturel ». Il y a donc une tendance mortifère de destruction de notre passé. J’ai beaucoup voyagé comme directeur du Mémorial de Caen et je peux vous dire que cette forme d’autodétestation portée par nos élites académiques est ignorée de la plupart des autres pays.

  • C’est en train quand même d’émerger aux États-Unis et en Grande-Bretagne avec le mouvement woke.

Oui, d’ailleurs, vous avez noté qu’on commence à parler de « gauche américaine » pour qualifier ces fous furieux. Avant, ce terme de « gauche » n’avait pas de sens outre-Atlantique. Mais reconnaissez que cette haine du passé n’a pas encore l’ampleur qu’elle a chez nous, où cette minorité agissante tient au moins depuis 1968 les rouages ministériels et les rectorats. Et, quels que soient les régimes, elle parvient à tuer toute initiative en faveur d’une histoire nationale. On a pu le voir avec le projet avorté de Musée de l’histoire de France, proposé par Nicolas Sarkozy. Il a suffi de brandir le danger d’un hypothétique retour du « nationalisme » pour tout arrêter.

  • À quoi attribuer cette « haine de soi » ? Plus qu’à Mai 1968, François Furet la faisait remonter à la Révolution française. En 1789, Rabaut Saint-Étienne a cru intelligent de professer hautement : « L’histoire n’est pas notre code » !

Oui, la Révolution est la matrice de nombreuses impasses actuelles. Non seulement elle nous a profondément divisés, mais elle repose sur un véritable « abus de confiance ». Elle nous a fait croire que les deux mille ans d’histoire qui la précédaient étaient des temps sombres et sans intérêt. « La liberté est née en 1789. » Elle a voulu ridiculiser le passé et cette attitude reste profondément ancrée dans certaines consciences, notamment à gauche : il suffit, pour s’en convaincre, de songer à la façon ridicule dont le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, adulée par la critique, représentait l’Ancien Régime dans sa pièce sur 1789. Le « parti » révolutionnaire a cru qu’après lui la « France des droits de l’homme » rayonnerait sur le monde entier. Nous sommes devenus un pays de donneurs de leçons. Et, à force de rayonner, nous avons pris une belle insolation, comme l’avait dit spirituellement Jean-François Revel. En outre, pour quel résultat ? Pas grand-chose. Car il y a un grand paradoxe français : la Révolution n’a même pas réussi à gommer la profonde adhésion des Français à l’esprit monarchique. On le voit avec la Ve République et l’attachement populaire à la figure si « monarchique » du président

  • Au fond, le principal trait français, ce serait ce goût un peu déprimant pour le « césarisme », un compromis entre la monarchie et la démocratie ?

Si vous voulez, même si le mot peut faire peur et ne doit pas être associé à la dictature. Les Français aiment l’autorité pourvu qu’elle soit consentie. Et, d’ailleurs, quand le pouvoir perd son autorité, comme à l’époque de Louis XVI, la France prend l’eau. Pour n’avoir pas voulu verser une goutte de sang de son peuple, le pauvre Louis XVI s’est rendu responsable de bien des malheurs, à commencer par le sien !

  • Ce besoin français d’autorité, n’est-ce pas au fond parce que notre nation est paradoxalement plus fragile que les autres à force de se vouloir un creuset ?

Oui, et n’oublions pas que, un trait marquant de notre histoire, c’est cet individualisme qui conduit à la zizanie. Daninos disait à juste titre que la « France est le seul pays du monde où, si vous ajoutez dix citoyens à dix autres, vous ne faites pas une addition, mais vingt divisions ». Ce syndrome était déjà noté par César dans sa Guerre des Gaules. Vous ne commencez d’ailleurs pas votre récit par Clovis, mais par les Gaulois. Ce seraient donc bien nos ancêtres comme on disait sous la III République. On n’ose plus aujourd’hui… Pour moi, les ancêtres sont ceux qui étaient là avant nous. Les Gaulois, et on pourrait même remonter à l’homme de Tautavel, sont nos ancêtres. Toute autre considération nous conduirait à une vision « racialiste » dangereuse. La France, ce n’est ni une religion ni une race.

  • Le pays se sent aujourd’hui en danger mortel. Son modèle civilisationnel est contesté. L’historien Pierre Nora a dit : « La France se sait un futur, mais elle ne se voit pas d’avenir ». C’est votre opinion ?

Je suis pessimiste. Nos élites sont les principales responsables de ce que je n’hésite pas à appeler un « sabordage de mémoire ». Mais elles ont eu dans cette entreprise de démolition un allié objectif qui avait pour nom la « nouvelle histoire ». Cette conjuration a voulu clouer au pilori l’histoire événementielle et avec elle « l’histoire-batailles ». C’est pourquoi j’ai repris ce fil interrompu avec les anciens récits, sans revenir pour autant au « roman national ». C’est tout à fait idiot de prétendre que la France ne peut mal faire. Mais il y a encore moins lieu de se livrer à l’exécration de notre histoire. Et, le plus important, c’est de connaître celle-ci, ne serait-ce que pour ne pas reproduire certains épisodes fâcheux.

Par Jacques de Saint-Victor

 

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