Non que ses prédécesseurs n’y aient songé (1) mais c’est avec le Général François LECOINTRE (2) que la nécessité de préparer les esprits à un conflit de haute intensité a commencé à être annoncée. Cependant c’est à son successeur, le Général Thierry BURKHARD qu’est revenue la charge de préparer, de manière accélérée, l’Armée française à ce type de conflit que beaucoup pensaient révolu au lendemain de la Guerre froide.
Dès sa prise de commandement en tant que nouveau CEMA (juillet 2021), le Général BURKHARD s’est attaché à mettre sur pied un exercice de guerre de haute intensité à l’échelle divisionnaire pour l’horizon 2023. L’élargissement et l’intensification du conflit entre la Russie et l’Ukraine à partir de février 2022 a, depuis, sensiblement accéléré cette préparation à la lumière de nombreux RETEX des combats (3). C’est donc dans ce contexte géopolitique tendu que l’exercice ORION est lancé le 14 février 2023 afin de réapprendre à toutes les composantes de l’Armée française la guerre de haute intensité.
L’entraînement au combat n’a jamais cessé mais depuis la fin de la Guerre froide - c’est-à-dire depuis plus de trente ans - les armées se sont réorientées vers une autre forme de confrontation dans laquelle l’ennemi n’était plus étatique, ni ne disposait de moyens armés Terre/Air/Mer capables de leur disputer ces trois milieux. Alors que le service militaire était suspendu, que les réductions budgétaires obligeaient à trancher dans les effectifs, à supprimer de nombreuses unités et à vendre les casernes, l’Armée française post-Guerre froide fut réduite à un format de corps expéditionnaire adapté aux guerres asymétriques. C’est ce modèle d’armée qui est dorénavant remis en cause par les événements ukrainiens à partir de 2014. Le syndrome de la Guerre de 1870 a depuis resurgi dans les esprits, rappelant l’écrasante défaite d’une Armée française expérimentée par des années de guérilla en Algérie mais ne sachant plus manœuvrer des corps d’armées de plusieurs dizaines de divisions dans un conflit symétrique face à une puissance.
Le scénario d’ORION 2023
Le scénario d’ORION implique notre pays dans une géographie imaginaire. La France ainsi que ses partenaires stratégiques soutiennent un État – Arnland – qui fait l’objet de pressions de la part d’un État voisin hostile : Mercure. Tout en jouant d’un rapport de force militaire menaçant aux frontières d’Arnland, Mercure soutient des forces séparatistes sur le territoire de son voisin (les milices Tantale). La situation dégénère et Mercure finit par envahir Arnland. Pour stopper cette offensive militaire de grande ampleur, la France participe à l’envoi d’une division internationale. Toute ressemblance avec une situation internationale vécue ou en cours ne sera pas fortuite... Ainsi conçu, l’exercice a été scindé en quatre grandes phases :
La première phase (O1) est celle de la planification opérationnelle de la riposte. Elle s’est déroulée de mai 2022 à février 2023 avec une mise en alerte des unités le 9 février. À partir de cette date, les unités (Terre, Air et Espace et Mer) montent en puissance.
La deuxième phase (O2) voit le début de la confrontation. Nos forces doivent disputer un environnement aérien et naval contesté où l’ennemi dispose des mêmes moyens que les nôtres. Plus rien à voir donc avec une guerre d’insurgés et de djihadistes… De la mi-février à la mi-mars, les forces françaises devront opérer des actions aériennes, aéroportées et amphibies afin de créer une tête de pont permettant l’introduction d’une force interarmées en Arnland. Concrètement, 7000 militaires français comme étrangers simuleront une campagne aéro-maritime dans le sud-ouest : débarquement sur le littoral méditerranéen, largages de grandes unités aéroportées à l’intérieur des terres et campagne aérienne dans le centre et au-dessus du littoral atlantique (4).
La troisième phase (O3) débutera fin mars. Elle constituera le volet civilo-militaire de l’exercice, et évaluera les chaînes de décision à l’échelle de la société civile. Cette partie interministérielle de l’exercice est l’une des grandes nouveautés. Elle illustre le concept de Défense globale au-delà des seules forces armées, ainsi que l’intégration dans la réflexion stratégique du comportement des institutions et de la société civiles dans un contexte de crise majeure.
La quatrième phase (O4) sera la partie du scénario la plus spécifiquement portée sur l’affrontement de haute intensité. D’avril à mai 2023, la division internationale sous commandement français lance une contre-offensive terrestre combinée à une campagne aérienne visant à prendre le contrôle de l’espace aérien, le tout sur fond de guerre informationnelle. Cette dernière phase se déroulera dans le nord-est du pays où 12 000 hommes seront en exercice sur les départements des Ardennes, de la Marne, de la Haute-Marne, de la Meuse et de l’Aube.
D’emblée, ORION 23 s’affirme comme un exercice interarmées hors-normes. Si l’on s’en tient aux éléments de langage, ces manœuvres ont pour objectif d’affirmer la crédibilité de l’Armée française auprès de nos alliés, et de rappeler l’importance de notre pays au sein de l’OTAN. Elles sont aussi un signal envoyé en direction de nos ennemis potentiels dont la Russie. Du point de vue de l’exercice en lui-même, et selon l’État-Major des Armées, il s’agira de :
Recentrer l’entraînement des armées sur la guerre de haute intensité dans ses nouvelles dimensions.
Augmenter l’interopérabilité avec les armées des nations alliées.
Evaluer les capacités du commandement dans le cadre de grandes opérations aux trois échelles : tactique, opérative et stratégique.
Un exercice inédit
Comme au temps de la Guerre froide, le scénario d’ORION met en jeu deux forces : les bleus (les amis) et les rouges (les ennemis). Cependant à la différence des grands exercices de l’époque du Rideau de fer, tout est à la réappropriation de savoir-faire que l’Armée française ne pratique plus depuis longtemps à commencer par la mise en oeuvre de masses du niveau de la division. Si ORION 23 se fait avec une armée dont les effectifs ne sont pas ceux d’une armée taillée pour la haute intensité (mais arrivera-t-on un jour à retrouver ce niveau d’effectifs ?), la priorité du commandement sera de réapprendre la manœuvre avec des unités lourdes (5). À cela s’ajoutera la maîtrise de la gestion de flux logistiques bien plus importants et complexes que ceux d’une OPEX. La question du commandement demeure, de loin, la plus cruciale. Il faut désormais maîtriser des seuils de rupture technologique ainsi qu’une numérisation généralisée du champ de bataille dans le M2MC (6).
Cette première édition d’un exercice prévu pour être triennal sera donc - et surtout - un état des lieux capacitaires de l’Armée française dans toutes ses composantes. Cela étant, avec les caractéristiques suivantes ORION 23 s’impose d’ores et déjà comme un exercice inédit à l’échelle française :
L’ampleur et la durée des opérations en font l’exercice le plus important réalisé sur le territoire français depuis la Guerre froide.
Si les conflits de haute intensité ont existé par le passé, ORION 23 testera pour la première fois ce type de confrontation sur un théâtre d’opération désormais qualifié de Multi Milieux et Multi Champs (M2MC). Les milieux sont la terre, la mer (avec les grands fonds), l’air et l’espace exo-atmosphérique. Les champs sont le cyberespace et la lutte cognitive et informationnelle. ORION 23 c’est la guerre de haute intensité avec les ruptures induites par les technologies d’aujourd’hui. L’Histoire ne se répète donc pas.
La perspective du M2MC était déjà abordée dans les exercices de ces dernières années, mais l’originalité d’ORION 23 est de rassembler des exercices qui se menaient jusqu’à présent de manière séparée au sein des différentes armées (Polaris,AsterX,DEFNET, etc.). Désormais, c’est tout un ensemble d’activités d’entraînement qui se trouve rassemblé et intégré dans un exercice global. Non seulement des économies d’échelle sont réalisées mais la dimension M2MC oblige les armées à intégrer leur planification comme jamais elles ne l’ont faite. C’est ce niveau de planification qui constitue l’échelle opérative où les actions tactiques dans des milieux et des champs différents sont combinées en temps réel.
Les environnements électromagnétiques, informationnels, cybernétiques seront systématiquement attaqués et dégradés.
Des actions dans l’espace et dans les grands fonds seront simulées.
D’un point de vue tactique, ORION 23 cherchera également à tester de nouvelles pratiques. RETEX essentiel des conflits dans le Haut-Karabagh et en Ukraine, l’utilisation tactique des drones est en train, par exemple, de transformer le champ de bataille terrestre et maritime (utilisations duales, en essaim, en munitions rodeuses…). L’Armée de Terre devrait tester l’utilisation de plus de 100 drones durant ORION 23. Dans la Marine, on assiste pour la première fois à l’anonymisation des coques des bâtiments (effacement des numéros de coque).
Exercice militaire de grande ampleur, ORION 23 est également un exercice interministériel inédit qui cherche à évaluer la résilience de la société.
Parachutistes de la 11e Brigade Parachutiste (11eBP) largués dans les environs de Castres le samedi 25 février 2023 (source - MINARM)
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Cf. Notamment le Général Pierre de VILLIERS qui a fréquemment parlé du retour des États puissances. C’est également sous son commandement et celui du Général LECOINTRE que le Général Jean-Pierre BOSSER – CEMAT de 2014-2019 – acte le retour de l’Armée de Terre au format des divisions avec le plan Au contact.
Cf. CEMA de 2017 à 2021.
Cf. Colonel Nicolas LENEN : « L’Ukraine a changé le contexte, pas le scénario de l’exercice. » « ORION, l’exercice géant de l’Armée française pour se préparer à une guerre majeure », in Le Figaro, 25 février 2023. La guerre russo-ukrainienne ne débute pas le 24 février 2022 avec le déclenchement de l’ « opération militaire spéciale [russe] dans le Donbass ». Le conflit véritable entre les deux pays avait déjà commencé en février/mars 2014 avec la proclamation d’indépendance de la Crimée et la tenue d’un référendum d’autodétermination contesté qui rattachait la péninsule à la Fédération de Russie.
Cf. Carte téléchargeable en marge : « ORION 23 sur le territoire français ». 2000 parachutistes avec leurs matériels aérotransportables seront largués à trois reprises durant cette deuxième phase.
Cf. Avec la fin de la conscription et les réductions de l’effort de défense, la brigade est devenue à partir de 1999 la grande unité en remplacement des divisions bien plus lourdes. Interarmes ou spécialisée, modulaire, la brigade est beaucoup plus petite avec un effectif entre 7 ou 8000 hommes. Cependant, le conflit ukrainien fait opérer un tournant à partir de 2016 où l’on redécouvre la nécessité de recréer des divisions mais entre-temps les effectifs de l’Armée de Terre ont fondu… Aujourd’hui, la France ne dispose que de deux divisions interarmes composées de 3 brigades chacune (1 brigade dite de haute intensité, 1 brigade médiane, et 1 brigade légère). Ces divisions recréées comptent chacune un effectif de 25 000 hommes.
Cf. C’est ici que se pose la question du C2 (Command and Control). L’abréviation désigne les méthodes et les moyens permettant le commandement et la gestion des flux d’information sur un théâtre d’opération. Ces derniers se concrétisent dans des fonctions qui n’ont cessé d’évoluer dans le sens de l’intégration en temps réel (commandement numérisé, communications, renseignement, surveillance, reconnaissance, acquisition de cibles). De nos jours, le C2 subit de profondes mutations du fait de l’extension de la conflictualité à de nouveaux milieux (cyberespace et espace exo-atmosphérique) et champs (électromagnétique et informationnel). Les commandants d’une armée (Terre, Air et Espace ou Marine) ne peuvent plus ignorer les caractéristiques opérationnelles ni les modalités de fonctionnement des autres armées. La planification des opérations est, ainsi, de plus en plus intégrée entre les forces qu’elles soient terrestres, aériennes et spatiales ou navales.