BASTIÉ (Eugénie), "Pierre Brochand : « Si nous en sommes là, c’est à cause d’une immigration massive de peuplement », in Le Figaro, 6 juillet 2023.
Dans une interview remarquable de lucidité, le haut fonctionnaire analyse les émeutes qui ont éclaté sur l’ensemble du territoire français à partir du 27 juin 2023 suite à la mort d’un délinquant à Nanterre : Nahel MEZOUK. Non sans finesse, l’ancien diplomate explique la révolte "d’une partie significative de la jeunesse extra-européenne" contre "l’État national", ce qui l’éloigne des phénomènes de "guerre civile", d’ "insurrection" et de "sédition" pour davantage nous rapprocher selon lui d’une situation d’anarchie qui n’ira pas sans rappeler les projections littéraires d’un Laurent OBERTONE où c’est désormais "le monopole de la violence légitime" qui devient l’enjeu véritable. Tout en éclairant les causes sur le moyen et long termes de la situation actuelle, Pierre BROCHAND montre en quoi les émeutes de 2005 ont constitué un précédent cependant dépassé par l’ampleur, l’intensité et la nature des violences de 2023. Pour lui, ce n’est ni plus ni moins que "le pronostic vital de la France" qui est désormais engagé.
_______________
PIERRE BROCHAND (EX-DGSE) : « SI NOUS EN SOMMES LA, C’EST A CAUSE D’UNE IMMIGRATION DE PEUPLEMENT MASSIVE » - LE FIGARO DU JEUDI 6 JUILLET 2023
Après les émeutes, « le pronostic vital du pays est engagé », affirme l’ancien directeur général de la DGSE au Figaro Magazine. Pierre Brochand a été directeur général de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) de 2002 à 2008, ainsi qu’ambassadeur de France, notamment en Hongrie et en Israël. Sa parole est extrêmement rare dans les médias. En exclusivité pour Le Figaro Magazine, il livre son regard sur les émeutes, un moment charnière de notre histoire. Selon lui, nous vivons la révolte contre l’État national français d’une partie significative de la jeunesse d’origine extra-européenne présente sur son territoire. Cette explosion est le résultat de décennies d’aveuglement et de propagande envers une immigration de peuplement dont on n’a jamais mesuré les conséquences. Il analyse le cocktail fatal que devait constituer la rencontre entre une société des individus fondée sur l’ouverture et la démocratie et l’arrivée de diasporas entières au bagage culturel totalement différent. Est-il trop tard ? Auteur d’une intervention remarquée à l’Amicale gaulliste du Sénat, l’ancien directeur de la DGSE - qui est intervenu lors d’un colloque de la Fondation Res Publica sur le thème : « Pour une véritable politique de l’immigration » - invite à ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé et livre ses pistes pour sortir de cette crise inédite dans l’histoire de la France.
Le Figaro Magazine - Dans votre intervention au Sénat en novembre 2022, vous évoquiez plusieurs scénarios provoqués par l’immigration incontrôlée qui sévit dans notre pays depuis des années : interdiction, absorption, négociation, séparation, affrontement. Les émeutes qui se sont produites pendant cinq jours montrent-elles selon vous que c’est le scénario de l’affrontement qui domine ?
Pierre BROCHAND - Au vu de ce qui s’est passé ces jours derniers, j’aurais du mal à vous contredire. Je voudrais aussi indiquer d’entrée de jeu que je n’ai pas l’habitude de commenter l’actualité à chaud, source d’erreurs ou d’à-peu-près. Mais quand les circonstances imposent à l’esprit un événement charnière de cette envergure, il est difficile de résister à la tentation. Pour en revenir à « l’affrontement », il survient inéluctablement lorsque tout le reste est abandonné, inopérant, dépassé. Car, vous l’avez rappelé, quand un groupe humain cherche à s’installer chez un autre, il n’y a que cinq possibilités. Reprenons-les brièvement, afin de remonter la chaîne des causes qui conduit à nos malheurs d’aujourd’hui. « L’interdiction », à savoir la fermeture des frontières au nom du principe de précaution (la voie polonaise), n’a jamais été sérieusement envisagée chez nous, les frères jumeaux de l’humanisme et de l’économisme se donnant la main pour y veiller. De même, l’« assimilation » a été rapidement abandonnée, sans tambour ni trompette, par renoncement à nous-mêmes, mais aussi nécessité, face à des flux trop massifs pour qu’elle puisse fonctionner.
D’où l’enthousiasme pour « l’intégration », sorte de compromis miracle, d’inspiration anglo-saxonne, où chacun fait un pas vers l’autre, tout en gardant son quant-à-soi. Force est de reconnaître que cette démarche n’a que médiocrement réussi en France. D’une part, et à l’inverse de l’assimilation, le contrat minimal qui la sous-tend - « respect des lois » contre « emploi » - fait peser l’essentiel de l’effort sur le pays d’accueil, en matière de débours financiers comme d’entorses à ses principes (mérite et laïcité). D’autre part, l’accès au travail ne peut être que limité, pour des immigrants à très faible qualification et qui, parfois, s’auto-excluent du marché pour des raisons qui leur sont propres. De sorte que les « intégrés », certes plus nombreux que les « assimilés », ne sont pas pour autant majoritaires. La « séparation » n’est que le résultat de ce bilan insatisfaisant. Ce qui n’est guère surprenant, puisque la partition est la pente naturelle de toute société « multi », où chacun vote avec ses pieds et se recroqueville auprès des siens. Je ne connais pas d’exception à cette règle d’airain, en particulier quand les appartenances relèvent de civilisations différentes. Règle qui se borne, d’ailleurs, à acter l’effondrement de la confiance sociale, proportionnel à la « diversité » ambiante.
C’est ainsi que se constituent les « diasporas », noyaux durs, ni assimilés, ni intégrés, à tendance non coopérative, véritables poches du tiers-monde, où se développe une double dynamique de dissidence, sans corde de rappel. D’un côté, la pression sociale que génèrent ces entités, en faveur des mœurs, croyances et modes de vie d’origine, les écarte de plus en plus de ceux du pays d’accueil : d’où un phénomène de divergence générationnelle, jamais vu auparavant, mais que les troubles actuels valident sans discussion. D’un autre côté, ces enclaves ne cessent de s’auto-engendrer, en « boule de neige », grâce à un taux d’accroissement naturel élevé et un engrenage d’aspiration juridique par le biais, entre autres, du regroupement familial. Cette marche vers la sécession a tétanisé nos élites, qui en ont vite perçu le potentiel explosif. Mais, au lieu de la bloquer, puis de mener une stratégie patiente de roll back, elles se sont contentées d’un containment à court terme, à coups de subventions et reniements clientélistes, enrobés dans un discours fumeux de dénégation ou d’euphémisation, visant à acheter la paix sociale au jour le jour. Mais tant va la cruche à l’eau qu’elle se casse. Quand les diasporas, en gonflant démesurément (au bas mot 5 millions d’admissions supplémentaires depuis 2005), atteignent une masse critique qui les rend confusément conscientes de leur force irrésistible, quand les compromissions et les concessions unilatérales deviennent autant d’aveux de faiblesse appelant à la transgression, quand ces contre-sociétés portent l’audace à s’ériger en souverainetés concurrentes sur un même espace « un et indivisible », eh bien, le couvercle de la Cocotte-Minute finit par sauter, dès que l’occasion se présente. En 2005, une première éruption en chaîne avait servi d’avertissement. Hors la tentative d’apaisement budgétaire par la « politique de la ville », il n’en a été tenu aucun compte. Le déchaînement des jours derniers, d’une tout autre envergure, n’est que l’aboutissement de cet aveuglement.
Je veux être honnête avec vos lecteurs. Je ne possède aucune information qu’ils n’ont pas. Je m’efforce seulement d’analyser les choses, selon deux principes très simples : d’une part, les causes entraînent des conséquences (« ce qui doit arriver arrive »), d’autre part, le seul critère décisif pour évaluer une situation de conflit est le rapport de force. Il n’est pas inutile de rappeler, d’abord, que des émeutes isolées sont monnaie courante depuis quarante ans, aux quatre coins du pays, sous l’étiquette technocratique de « violences urbaines ». Au point que plus personne ne leur prête attention, comme si elles faisaient partie du paysage. Erreur fatale. L’embrasement de 2005 nous a enseigné qu’il suffisait d’une étincelle pour mettre le feu à la plaine. On a donc retrouvé ces jours-ci plusieurs traits de ce qui s’est passé il y a dix-huit ans. Même démarrage, consécutif à une présumée « bavure » policière. Même violence polymorphe à triple finalité : « métapolitique » (contre tout ce qui représente la France et son État), utilitaire (pillages d’envergure), gratuite (vandalisme nihiliste). Mêmes auteurs quasi-exclusifs : les jeunes hommes de banlieue, où ils font régner la loi du plus fort. Même ressemblance apparente avec les flambées racialisées des « ghettos » américains. Même prédilection pour la nuit, à l’instar de toutes les guérillas du monde. Même cadre exclusivement urbain.
Même restriction, de part et d’autre, quant à l’usage des armes les plus létales, à la différence, cette fois, des États-Unis. Mais, aussi, même impuissance des forces de l’ordre, pourtant mobilisées à leur maximum, à calmer une mer démontée. On veut également croire au caractère pareillement spontané de cette explosion « façon puzzle », sans coordinateur national, ni encadrement militant : on ne discerne toujours pas de comité central, de « shura » islamique ou de syndicat de dealers, à la manœuvre derrière les « casseurs ». On ne discerne pas non plus l’émergence d’un mouvement ayant le retentissement et la pérennité de « Black Lives Matter », la tentative de récupération initiale par le clan Traoré relevant de la parodie. Mais, au-delà de ces similitudes avec le passé, les différences sont éclatantes et vont toutes dans le sens d’une exceptionnelle aggravation de « quantité », mais aussi de « qualité ».
En termes d’amplitude, les statistiques officielles donnent à penser - aux historiens de le vérifier - que rien de comparable ne s’est produit dans les villes françaises depuis la Révolution de 1789 ou, au minimum, les semaines ayant suivi la Libération. En particulier, on ne peut être qu’effaré par l’extraordinaire prolifération de la dimension délinquante, sorte de jaillissement paroxystique de la surcriminalité endémique des diasporas. Malheureusement, ces informations taisent le nombre de protagonistes, que l’on peut évaluer très approximativement entre 100.000 et 200.000 personnes (en appliquant le ratio optimiste de 1% aux effectifs appréhendés chaque nuit). Estimation au doigt mouillé, mais qui permet, au moins, de mettre en doute le cliché rassurant de « l’infime minorité ».
Ils sont, à mon avis, de trois sortes. Le premier tient au rôle décuplé des réseaux sociaux, devenus à la fois des accélérateurs de concurrence mimétique et des multiplicateurs de transparence en temps réel. Impact malaisé à mesurer, mais probablement majeur. Un deuxième caractère inédit est la propagation des troubles dans les très petites villes de province, jusque-là tranquilles, reflet inquiétant de la dissémination de l’immigration sur l’ensemble du territoire, parfois à l’instigation des pouvoirs publics. Dernière spécificité, la plus sacrilège, les razzias ont pénétré les centres des métropoles, y compris Paris, jusqu’aux Champs-Élysées, soit, mutadis mutandis, l’homologue de la « zone verte » hyperprotégée de Bagdad. On pourrait ajouter à cette liste de nouveautés l’entrée en lice, çà et là, de casseurs politisés d’origine européenne. Néanmoins, nul ne perçoit une « conjonction des luttes » entre ces probables black blocks, à la poursuite du Grand Soir, et les masses juvéniles déchaînées, sans projet de lendemain. Sinon que tous surchargent pareillement le travail de la police.
Il reste que ces innovations s’avèrent un formidable réveil en fanfare, pour tous ceux qui ne se sentaient pas concernés ou se voulaient choqués, par les avertissements des lanceurs d’alerte, décrétés intouchables par les médias. Là aussi, il va falloir se résigner à admettre que certains ont eu tort et d’autres raison, et que faire litière des « fantasmes d’extrême droite » serait une preuve d’honnêteté intellectuelle. Lorsque la fièvre retombera - car elle retombe toujours, après une montée aux extrêmes -, la roue crantée de l’Histoire aura fait un tour supplémentaire, et l’effet de cliquet nous aura portés à un niveau d’hostilité sociale encore plus intense que celui à l’origine de la déflagration. Il y a peu encore, des esprits malicieux voyaient dans le jeu du chat et de la souris, pratiqué dans les banlieues, une simple réédition en farce des tragédies coloniales : je crains que la condescendance de cette raillerie de Marx ne soit plus de saison. En tirera-t-on les leçons qui s’imposent, à savoir que le pronostic vital du pays est engagé ? Envisagera-t-on d’autres remèdes qu’un énième « plan banlieue » ? Les choses étant ce qu’elles sont, j’en doute fort. Mais je pense que nous reviendrons sur ce point capital.
J’apprécie votre question, car définir les choses, ce n’est pas ratiociner, mais tenter de mieux les comprendre. Il y a incontestablement des prémices de « guerre civile » dans ce que nous vivons. Mais j’écarterai l’expression, à deux titres. La guerre désigne une lutte « armée » et « sanglante » entre « groupes organisés » : nous n’en sommes là sous aucun de ces trois rapports, même s’il serait indécent d’oublier que la police compte de nombreux blessés. Quant à l’adjectif « civil », il se réfère aux citoyens d’un même État : s’il me semble inapproprié, c’est, d’une part, parce que les étrangers sont sans doute nombreux à s’activer, d’autre part, parce qu’au risque de choquer, je tiens les binationaux et ressortissants qui s’attaquent aux représentations de la France comme s’excluant de la communauté nationale. Sans compter que la grande majorité de la population, silencieuse et attentiste, reste absente, en position de simple spectateur. Le seul lien commun à tous étant celui du désir de consommation, vu à travers le pouvoir d’achat pour les uns, la « prise sur le tas » pour les autres.
Plusieurs autres dénominations ont fleuri ces derniers jours. Faute de davantage de renseignements, je ne peux retenir la « sédition », laquelle suppose une action concertée et préparée, bien que - je ne le nie pas - on puisse aisément déceler plusieurs strates d’intervenants, depuis de très jeunes adolescents hilares, à la limite de la débilité, jusqu’à des « hommes en noir », beaucoup plus professionnels, qui semblent savoir ce qu’ils font. Quant à l’« insurrection », qui vise à renverser un pouvoir établi, elle me paraît également inadéquate, puisque le tumulte se borne à « détruire et voler » (ce pourrait être sa devise), sans proposer la moindre solution de remplacement : nous restons dans une contestation radicale, mais qui ne voit pas au-delà du bout de son nez. Les notions de guérilla ou d’émeute seraient pertinentes, mais désignent de simples modes d’action, à l’instar du terrorisme. Pour ma part, je qualifierai la présente catastrophe de « soulèvement ou révolte contre l’État national français, d’une partie significative de la jeunesse d’origine extra-européenne présente sur son territoire ». Avec, pour enjeu principal, le monopole de la violence légitime sur ce même espace. Formulation certes alambiquée, mais qui me paraît décrire, au plus près, le stade de décomposition auquel nous sommes parvenus. En attendant mieux.
Je rappelle à vos lecteurs que le « discours intimidant », auquel vous faites allusion, ne s’adresse nullement aux émeutiers, que rien n’impressionne, mais à ceux qui, à l’approche de la tempête, ont voulu sonner le tocsin et que l’on a cherché à faire taire par ce moyen. Cela dit, je vais devoir prendre un détour pour vous répondre. Si nous en sommes arrivés là, c’est aussi, et peut-être surtout, en raison de l’idéologie dominante, qui a justifié et même glorifié, l’immigration de peuplement massive, subie depuis un demi-siècle. On ne saurait, en effet, expliquer les développements actuels, sans en revenir au changement de modèle de société, survenu dans les années 1970. À mon sens, tout part de là. Nous avons, à l’époque, cru franchir un nouveau pas dans l’émancipation humaine en passant de l’État national moderne à la Société des individus (SDI), soit de l’autodétermination collective à sa version individuelle : transition avalisée sans remords par tous nos « dirigeants » depuis lors. Mais nous avons, en même temps, suscité un gigantesque « effet de ciseau », en déclenchant simultanément deux évolutions absolument incompatibles. D’une part, en effet, la SDI a mis de nouvelles priorités à l’ordre du jour, l’une positive (le droit au bonheur privé d’êtres libres et égaux, sans attaches fixes, au sein d’un espace mondial indifférencié), l’autre négative (la déconstruction du paradigme de l’État régalien, porteur de l’intérêt public dans un espace cloisonné par des frontières, dernier obstacle sur la voie de l’idéal). Soit un conte de fées, reposant sur un postulat insensé, où tout serait commensurable et, donc, procédural, entre des êtres interchangeables, vides d’identités collectives, oublieux des inimitiés qu’elles engendrent, dont le seul horizon serait une planète sans rivages. C’est-à-dire, en pratique, une construction postpolitique, en permanence sur le fil du rasoir, génétiquement menacée par la « guerre de tous contre tous », et surtout hautement vulnérable à quiconque ne serait pas un « bobo » hédoniste, doux et accommodant, revenu de tout. Bref, une société « ouverte », mais ne pouvant survivre qu’au prix d’une homogénéité et d’un conformisme d’acier, c’est-à-dire en restant « fermée » !
D’autant que, d’autre part, dans un véritable élan suicidaire, cette même SDI a fait rentrer par la fenêtre les identités collectives qu’elle était censée avoir mises à la porte. Sous deux aspects. D’abord, en remplaçant le « gentil bobo » par le « méchant wokiste », qui considère la nouvelle donne moins comme une opportunité d’épanouissement qu’une occasion de réparation rétrospective pour les minorités « opprimées », animées de ressentiment. Ensuite, et à ce titre, en ouvrant grand les portes à ces victimes superlatives que sont les « damnés de la terre », en provenance du tiers-monde, entrant chez nous au nom de droits individuels et s’y installant comme des « communautés » hétéronomes et endogamiques, en rupture orthogonale avec les codes ayant justifié leur venue. D’où cette seconde quadrature du cercle : une société liquide, bienveillante et accueillante, volontairement délestée des moyens d’autodéfense légués par l’Histoire, qui se voit télescopée par un gigantesque météorite de sa fabrication. Du « plein, venu d’hier et d’ailleurs » s’engouffrant dans l’anomie d’un « vide, d’ici et maintenant ».
Le logos a fait long feu, à force d’incohérences : « l’immigration n’existe pas ; elle a toujours existé ; elle n’a pas commencé ; c’est une fatalité, non pardon un devoir moral, non encore pardon un impératif économique ; il suffit d’y mettre les moyens ; de toute façon, ils sont déjà là ; on n’y peut plus rien ; ils sont français comme vous et moi, etc. ». L’ethos s’est pareillement ridiculisé au contact du réel : les injonctions au « vivre ensemble » et à la « mixité sociale », le refrain de la « riche diversité », le « principe de fraternité », cher au Conseil constitutionnel, sont devenus autant de vaines incantations ou même d’oxymores, motifs à ricanements. Quant à l’appel lancinant aux « valeurs républicaines », sa vacuité a fini par lasser les mieux disposés, dont j’aurais pu être. À vrai dire, tout ce que la nation avait réussi à inculquer, en matière de « décence commune », à force d’épreuves partagées, n’est plus vécu que comme un rituel orchestré. Reste le bon vieux pathos, cet ultime et éternel levier des régimes peu assurés d’eux-mêmes. C’est dans cette perspective que s’inscrit - j’y arrive - le « discours intimidant ». Faute de pouvoir contraindre les corps, on a voulu emprisonner les esprits par le verrouillage des affects. À savoir l’intériorisation de la culpabilité, d’une part, et la diversion par la peur, d’autre part, somnifères traditionnellement prescrits aux peuples dont on craint le réveil.
C’est pourquoi l’accusation de « racisme », à la confluence de ces deux « passions négatives », est la clé de voûte du système, lequel se ramène à la mise en examen permanente du peuple français, que des « indices graves et concordants » chargent de tous les malheurs de la terre : guerres mondiales, colonisation, génocide juif, réchauffement climatique, indifférence aux noyades, etc. Le but est de confiner les mentalités dans le très étroit couloir de pensée, défini par l’État de droit (autre appellation de la SDI), dont il est la condition nécessaire, encore qu’insuffisante, de la viabilité. Ainsi, pour empêcher les « dérapages » et les franchissements de lignes jaune ou rouge, hors du corridor, a été mise en place une peine de mort sociale, moins douloureuse que celle physique mais tout aussi effective, infligée aux seuls réfractaires à la xénophilie obligatoire. Car, nous en sommes là, pris au piège d’un simple mot - « racisme » -, détourné de son sens originel, pour englober tous ceux qui se posent la question de savoir si l’idéologie, que je viens de décrire, ne nous précipite pas dans un gouffre. Reconnaissons que le chantage a admirablement réussi jusqu’ici. Va-t-il, cette fois encore, résister au formidable désaveu de la réalité, quand celle-ci vient nous démontrer que les plus haineux, ou les plus « racistes », si l’on préfère, ne sont pas ceux qu’on croit ? Après les premières heures de sidération, on est hélas obligé de constater que le psittacisme, très rapidement de retour sur les ondes et les écrans, a la vie dure. En revanche, en eussé-je douté que je n’ai plus beaucoup d’hésitation à imaginer ce que la majorité des Français « pense tout bas ».
Il est vraiment très tard pour revenir sur des décennies d’abdications cumulées. C’est pourquoi on ne dénoncera jamais assez ceux qui ont laissé s’installer la machine infernale, en ont vu venir les conséquences potentielles, mais n’ont rien fait pour les éviter, se bornant à mettre la tête dans le sable, ou à ne la sortir que pour des mesures sans effet, voire contre-productives. Des dizaines de lois « fermes et humaines », des centaines de milliards engloutis pour en arriver à un pays moribond, dont l’existence est désormais en jeu. Incompétence ? Hypocrisie ? Arrogance ? Naïveté ? Entre-soi ? Je mettrai au premier plan le manque de courage, face à la peur panique d’être qualifié de « raciste », signe d’une carrière aussitôt terminée. J’en veux pour preuve le double discours de ces mêmes politiques, qui, en visite à l’étranger, loin de leurs bases, se laissent aller, devant des diplomates, comme je le fus, à des confidences peu amènes sur les réalités de leurs fiefs électoraux, avant de rentrer en France pour y entonner derechef l’hymne aux « valeurs républicaines ». Néanmoins, mon caractère, aussi bien que mes antécédents professionnels, m’impose de ne pas baisser les bras. Étant entendu que, désormais, toute réaction ne peut être que brutale, voire féroce, si l’on veut lui donner une chance de remonter le courant.
En premier lieu, il convient de rétablir une hiérarchie rationnelle des priorités : l’accès aux toilettes en fonction du genre ou les dangers du pétainisme renaissant sont certes des préoccupations honorables, mais ce que nous vivons recommande de les remplacer par d’autres, plus impérieuses. De même a-t-on le droit de suggérer que le « réchauffement climatique », présenté comme le péril des périls, à prévenir de toute urgence et par tous les moyens, vient de se faire rattraper par celui, autrement plus rapide, de nos banlieues ? Le principe de précaution serait-il à géométrie variable ?
En deuxième lieu, un élève moyen de CE1 nous le conseillerait : pour sortir d’un trou, il convient, d’abord, d’arrêter de le creuser. Combien de fois faudra-t-il répéter que toute possibilité de renverser la vapeur passe, d’abord, par la réduction à leur plus simple expression des flux d’accès au territoire et à la nationalité ? C’est faisable, les voies en sont connues, il suffit d’avoir le cran de s’en donner les moyens juridiques et matériels.
Enfin, pour s’en tenir à l’essentiel et au plus pressé, il convient de combattre, sans merci ni relâche, le sentiment d’impunité, dont l’omniprésence semble avoir nourri la désinhibition tous azimuts de ces jours derniers. En d’autres termes, s’impose un changement de pied radical en matière pénale, par abaissement de l’âge de la majorité pertinente et en rétablissant, pour tous, des peines de prison fermes et effectives, suivies d’incarcérations immédiates, fussent-elles de courte durée, en cas d’atteinte aux biens publics et aux forces de l’ordre, de vol en bande organisée, de trafic de drogues, de violences sur les personnes, etc. Et surtout, punir la récidive par des peines exponentielles. On peut aussi imaginer de transformer en prisons pour courtes peines des bâtiments pouvant s’y prêter. N’étant pas juriste, je m’en tiendrai là, mais je suis convaincu que les Français auront du mal à ratifier un laïus à la Hugo, du type « une école qui ouvre, c’est une prison qu’on ferme », surtout quand font brûler les écoles ceux-là mêmes qui devraient être en prison…
À plus long terme, ce sont évidemment l’Éducation nationale et l’État providence, qui devraient faire l’objet d’une remise en question, du sol au plafond. Mais pourquoi ne pas frapper les esprits tout de suite par des décisions spectaculaires, en décrétant, par exemple, le port obligatoire de l’uniforme en primaire et au collège dès janvier ou la revalorisation substantielle des allocations familiales, en les limitant à l’avenir à trois enfants ? Mais, par pitié, que l’on ne ressorte surtout pas du magasin des accessoires une relance de la politique de la ville : personne - en tout cas, pas moi - ne croit plus à l’efficacité du « borlooisme », ce matérialisme intégral qui croit pouvoir éteindre par l’argent et l’urbanisme des incendies dont le combustible est religieux, historique et ethnique. Cette réponse pourrait même s’avérer la pire, puisqu’elle reviendrait, comme déjà dans le passé, à récompenser la révolte.
Nos gouvernants ont une opportunité unique de s’extraire du carcan dans lequel ils se sont eux-mêmes engoncés, et de bénéficier, en prime, de l’approbation d’au moins trois quarts des Français. Ce qui n’arrive pas tous les jours. Saisiront-ils l’occasion ? Auront-ils la détermination de sortir de la pensée mécanique et de l’approche centriste et balancée, qu’ils affectionnent, mais qui ne fait que prolonger un immobilisme désastreux ? Retrouveront-ils, par un coup de baguette magique, la capacité politique de dire non ? Le souhaiter, c’est faire le pari risqué de leur conversion au réel.
C’est un crève-cœur. Avec mes anciens collègues, nous avons passé nos vies à défendre et promouvoir l’image de la France dans le monde. C’est un travail de Sisyphe : les gains y prennent des siècles, les chutes quelques jours et parfois quelques heures. Ayant commencé ma carrière sous le général de Gaulle, je peux comparer ce que fut notre réputation et ce qu’elle est devenue. L’abîme donne le vertige. Pour les avoir pratiqués abondamment, je sais exactement ce qui se passe dans la tête de nos interlocuteurs étrangers, quand ils notent que, pour la deuxième fois en très peu de temps, la France a dû annuler, au motif de troubles intérieurs, des événements aussi longuement préparés que les visites du roi d’Angleterre en France, puis du président de la République en Allemagne. En outre, les innombrables vidéos qui leur parviennent, en continu et à la vitesse de l’éclair, leur donnent une vision infiniment plus précise et humiliante de nos malheurs que par le passé. Les mieux intentionnés portent un regard navré sur un pays qui fut grand, mais qui n’est plus, pour eux, que le laboratoire avancé des folies migratoires européennes. D’autres, en Pologne et en Hongrie, se réjouissent sur le mode « je vous l’avais bien dit » : j’ai représenté notre pays à Budapest, combien de fois n’y ai-je entendu « Nous avons le privilège de voir, en avant-première, les dégâts que l’immigration non européenne cause chez vous, nous ne voulons surtout pas vous imiter ». En Algérie ou au Mali, d’où viennent nombre des familles de « jeunes révoltés », les tenants du régime rient sous cape du bon tour joué à l’ex-colonisateur. L’Iran et la Russie nous renvoient ironiquement nos critiques en matière de maintien de l’ordre public. Mais, aux yeux de tous, nous sommes désormais « l’homme malade » du continent, du Conseil de sécurité, du G7 et du G20. S’il ne faut pas sous-estimer notre discrédit auprès des investisseurs et des touristes, dont le rapport risque/bénéfice guide les comportements, le plus alarmant demeure qu’un État, qui ne « tient » pas son territoire, n’est plus crédible, ni même audible sur la scène internationale.
C’est pourquoi je me permets de conseiller humblement à nos dirigeants d’observer une période de sobriété sur ce terrain, afin de pouvoir se consacrer pleinement à l’immense tâche de remise en ordre intérieure. Ce qui ne devrait évidemment pas interdire de réagir avec une vigueur, dont nos partenaires ont perdu l’habitude, aux provocations de ceux qui profiteraient du désarroi pour nous manquer encore davantage de respect. L’absence totale de réaction publique à l’ahurissante note de la diplomatie algérienne du 29 juin, s’inquiétant du sort de ses ressortissants « dans l’épreuve », alors que nombre d’entre eux y contribuent, montre combien notre faiblesse au-dedans est couplée avec celle au-dehors. J’en veux pour autre preuve la diatribe du grotesque Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, accusant de « racisme » et de « discrimination » notre police, laissée elle aussi sans riposte apparente. En un mot comme en mille, moi aussi, « j’ai mal à ma France ».
Par Eugénie Bastié