Affiche 2015
Acquérir une culture de la protection et de défense : une urgente nécessité
La protection consiste à mettre à l’abri d’un danger alors que la défense est la capacité à faire face à une menace. Du plan VIGIPIRATE (1995) à l’opération Sentinelle (2015), la France est entrée de fait dans cette double posture permanente sans pour autant l’assumer véritablement ; c’est-à-dire s’approprier une véritable culture en la matière, ce dès l’école. Pourtant, l’idée qui se diffuse dans la conscience collective - avec en point d’orgue l’année 2015 - est que l’espace public est désormais un espace dangereux où le pire (une tuerie de masse) peut survenir n’importe quand. Les menaces extérieures jusqu’à présent identifiées sont désormais relayées par des menaces intérieures plus diffuses, sournoises, difficiles à détecter et ancrées en de nombreux lieux du territoire.
À partir de 2015 apparaissent dans les lieux publics, notamment dans les salles de classe des écoles, collèges et lycées, des affiches expliquant à partir de figurés simples les comportements réflexes à tenir en cas d’attentats ou d’attaques. La même année un exercice « Alerte attentat-Intrusion armée » est introduit dans les PPMS des établissements scolaires. Affiches et exercices préconisent alors une action en trois temps : s’échapper, se cacher, alerter. Cependant, dans sa pratique, l’exercice de l’intrusion armée se réduit le plus souvent qu’à son deuxième volet : se cacher.
Le rendez-vous manqué de l’École
Comme pour les autres exercices du PPMS (1), la manœuvre est lourde. Elle perturbe les emplois du temps de centaines d’élèves et interrompt les cours sans pour autant entraîner réellement ni efficacement les personnes à faire face à ce type de danger. Annoncé à l’avance aux professeurs, l’exercice de l’intrusion armée est vécu par les professeurs comme une contrainte abstraite et inutilement anxiogène. Effectué de manière purement formelle, sans être vraiment pris au sérieux, il est pourtant l’exercice qui demande – bien plus que les exercices incendie et confinement – une réflexion de fond et une préparation rigoureuse en amont. Alors que le risque peut faire l’objet d’une prévision et d’une prévention, la menace, elle, est par définition intelligente et imprévisible (2). Faire face à une menace n’est pas la même chose que de faire face à un risque, et l’exercice de l’intrusion armée ne peut se satisfaire de consignes répétitives toutes faites et connues par avance. Il demande par ailleurs un esprit d’initiative qui ne peut s’improviser sans un mimimum d’entraînement.
Réalisé en début d’année scolaire (septembre/octobre), alors que les élèves n’ont pas encore eu le temps d’être formés ni même rafraîchis en la matière, l’exercice est davantage plaqué sur les contingences de la vie scolaire et des emplois du temps plus qu’il n’est intégré de manière cohérente et sensé dans un enseignement de défense. C’est pourtant ce dernier - bien plus que les incantations au civisme – qui fera véritablement émerger une culture de la protection et de défense au sein des établissements scolaires et qui, par extension, se diffusera à l’ensemble de la société. Qu’il se fasse au collège ou au lycée, cet enseignement de défense pourrait donner très rapidement des résultats concrets.
Malheureusement, il est trop souvent réduit à une action de protection passive (se cacher) et n’est inscrit dans aucune perspective (3). Cette action de protection qui correspond au deuxième volet de la doctrine est, par ailleurs, conduite par des personnes qui souvent confondent la notion de confinement (ce qu’elle n’est pas) avec celle de barricade (ce qu’elle devrait être). Cette notion de barricade est pourtant bien présente sur les affiches diffusées par le Gouvernement (cf. supra et infra), mais elle est trop souvent ignorée par des enseignants qui, par manque de connaissance ou par manque d’intérêt, ne participent pas comme il le faudrait à l’esprit de cet exercice.
Quand bien même la mise en barricade d’une salle de classe ou d’un quelconque local n’est qu’une partie des savoir-faire que nécessiterait une situation aussi extrême. Comment former une population à la nécessité de s’équiper en matériel de premiers secours et, surtout, à savoir réagir devant des blessures hémorragiques (par balles ou armes blanches), des blessures causées par des effets de blast ou des brûlures, des amputations ? Comment apprendre à résister aux chocs psychologiques et, au-delà, à former à la résilience ? Alors que nous n’osons toujours pas aborder la question des blessures par balles dans les formations de PSC1, c’est aux Etats-Unis que nous sommes allés chercher un début de doctrine sous la pression des attaques de 2015.
Le réel finit toujours par s’imposer
Dans un pays où les tueries de masse en milieu scolaire sont une triste réalité, des postures de prévention, de protection et de défense sont déjà en place depuis longtemps et le triptyque fuir/se cacher/alerter n’est rien d’autre que l’adaptation du run/hide/call. Les Américains y ont cependant ajouté une action supplémentaire que nous avons fait disparaître sur l’affiche de 2015 : se battre (« fight »). Dans un document d’information de 2017 (cf. vidéo supra), l’Université du Michigan détaille ses préconisations en cas d’intrusion armée dans ses locaux. Parmi elles, la confrontation directe avec l’agresseur est clairement recommandée quand bien même est-elle une option désespérée de dernier recours. Ailleurs dans des États tels que le Texas, l’Ohio ou encore la Floride, des lois permettent aux professeurs de se former et de venir en cours armés.
Affronter le tueur relève du bon sens, surtout lorsque que nombre de personnels de l’Éducation nationale n’arrivent toujours pas à distinguer une barricade devant empêcher une menace de s’introduire dans une salle de classe, de la mise à l’abri de quelques dizaines d’élèves d’une tempête ou d’un nuage toxique. Ce n’est pas la même chose. Dans le premier cas, il faut gagner un temps précieux afin de donner le temps aux forces de sûreté de se déployer ; dans le second cas il n’y a qu’à attendre passivement une évacuation. Comment agir quand on ne s’est pas interrogé au préalable sur le moyen de faire efficacement obstruction ? Comment barricader une salle où les tables sont scellées dans le sol ? Comment bloquer une porte qui s’ouvre vers l’extérieur et non vers l’intérieur (4) ? Et que faire si l’agresseur parvient à entrer dans la pièce ? Un groupe d’écoliers de CP a-t-il les mêmes capacités d’actions qu’un groupe de lycéens ? Les réponses sont dans les questions, ce dont prend acte le nouveau document publié par le Premier Ministre le 12 mai 2023 où, pour la première fois, un quatrième volet d’action apparaît : « résister » (5).
Affiche 2023
Principes pour la mise en place d’une culture de la protection et de défense dans un établissement scolaire
Le fait est d’importance car il témoigne d’une inflexion culturelle au sein de la doctrine française qui, jusqu’à présent, se distinguait de la doctrine américaine sur la question de l’action et de la confrontation. Une doctrine qui reconnaît (enfin !) que les citoyens ne doivent plus hésiter à passer de la posture de mise en protection à celle de défense active. Cela étant, se protéger comme se défendre ne s’improvisent pas, et il est important de pouvoir s’appuyer sur les RETEX des exercices du PPMS, réalisés ici ou ailleurs depuis 2015, pour dégager un certain nombre de principes qui permettraient la mise en application opérationnelle d’une culture de la protection et de défense.
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