Bataille dans la bataille lors de l’offensive du Têt Mau Than (1968), la bataille de Hué fut la grande bataille urbaine de la Guerre du Vietnam et de la Guerre froide. À ce titre, elle est fondatrice d’une véritable doctrine en la matière pour l’US Army (source - Dotation Catherine Leroy)
Parce qu’elles sont par définition des lieux de concentration des pouvoirs politiques, économiques et culturels, parce qu’elles sont aussi des carrefours structurants pour des espaces géographiques plus vastes, les villes ont toujours été au coeur des conflits. Très tôt dans l’Histoire elles se protègent avec l’érection de remparts et la poliorcétique - l’art d’assiéger les villes fortifiées – naît dès l’Antiquité. Les premiers récits de sièges apparaissent dans l’Iliade (Troie, VIIIe siècle av. JC) et la Bible (Jéricho, VIIe siècle av. JC) et c’est au IVe siècle av. JC qu’est rédigé le premier traité de Poliorcétique par Énée le Tacticien.
C’est ce sujet des « villes au coeur de la bataille » qu’aborde Gilles HABEREY dans un ouvrage clairement construit, qui passionnera les amateurs d’histoire militaire. Saint-Cyrien, fantassin, ayant effectué de nombreuses OPEX, le général HABEREY travaille, aujourd’hui, au Service Historique de la Défense (SHD). Féru de tactique (1), il nous présente un livre qui se lira en complément de L’ultime champ de bataille de Frédéric CHAMAUD et Pierre SANTONI (2).
Qu’ils soient asymétriques ou non, les conflits contemporains montrent que les villes sont, plus que jamais, des objectifs militaires à part entière. Des objectifs soit à protéger, soit pour s’y retrancher, soit à prendre. Cela est d’autant plus vrai que le monde actuel est un monde métropolisé et de régions urbaines où plus de la moitié de l’Humanité est désormais citadine. De la bande de Gaza à l’Ukraine en passant par la Syrie et d’autres lieux de confrontations, les espaces urbains sont des enjeux tactiques et stratégiques incontournables. Le combat urbain est donc un type de combat d’infanterie à part entière, et les armées modernes s’y entraînent spécifiquement à partir de sites particulièrement dédiés.
Le combat urbain est d’autant plus spécifique qu’aucune ville ne se ressemble. Chacune demeure un produit culturel complexe avec une population qu’il faut intégrer dans la planification du siège. Si le dernier mot restera toujours à l’infanterie du fait de la nature du milieu urbain (bâti, densité de population, cloisonnement des secteurs, absence d’horizon et de vision dans la profondeur, prolongement souterrain du champ de bataille…), le combat urbain contemporain nécessite une intégration poussée des armes et des armées jusqu’à l’échelon de la compagnie. La coordination avec l’aviation de bombardement, les avions pilotés à distance de type Reaper et les hélicoptères de combat doit être particulièrement précise (3) du fait de l’imbrication des forces amies et ennemies. Au sol, il en sera de même avec les frappes d’artillerie. Au coeur des combats, l’infanterie devra pouvoir opérer avec le soutien de chars de combat qui joueront le rôle d’artillerie mobile rapprochée, celui d’éléments du Génie combat et toute la palette des drones et munitions rôdeuses.
La complexité du combat urbain que renforce l’évolution des armements et des technologies ne fait pas pour autant disparaître des spécificités historiques et tactiques que le général HABEREY nous présente à travers une typologie de sièges de l’Antiquité à nos jours. L’auteur organise ainsi chaque chapitre autour d’un certain nombre de batailles urbaines analysées selon une même grille thématique quel que soit le siècle. Chaque bataille est ainsi présentée selon 1- un contexte historique général qui précède et justifie la confrontation 2- les forces en présence et leurs intentions 3- le déroulement de la bataille urbaine en tant que telle et 4- un retour d’expérience tactique. Surtout, la réflexion s’articule autour de sept grands principes tactiques :
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« Couper le cordon ombilical » - À travers les sièges d’Orléans (1429), de La Rochelle (1627-1628) et Vienne (1683), l’auteur montre que la ville n’est pas un ensemble isolé mais qu’elle participe d’un système économique plus large avec un arrière-pays. C’est ce système qu’il faut continuer à faire fonctionner pour la survie de l’ensemble urbain si l’on est le défenseur ou, au contraire, qu’il faut asphyxier si l’on est l’assiégeant. Pour ce dernier, les moyens à mobiliser sont donc considérables car il faut à la fois être capable d’investir la ville mais aussi être capable de se protéger d’une force de secours ennemie extérieure au périmètre urbain.
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« Savoir gérer le temps » - À travers les sièges de Québec (1759), de Vicksburg (1862-1863), de Metz (1870), on comprendra qu’un siège est d’abord l’affrontement de deux logiques temporelles (et opérationnelles) essentiellement différentes. Pour l’assiégeant, la bataille devra être la plus courte possible afin d’être la moins coûteuse humainement et matériellement. Pour l’assiégé c’est l’inverse à pouvoir tenir le plus longtemps possible en épuisant l’assiégeant. Ce principe de la gestion du temps demande, donc, de part et d’autre une capacité d’anticipation. Pour le premier, il faudra préparer la ville à un long siège (amélioration des moyens de défense, constitution de stocks…) alors que le second devra faire converger des forces importantes et créer les conditions favorables à l’assaut avant le siège proprement dit.
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« Percer le système défensif » - Les exemples de Syracuse (213-212 av. JC) et Saint-Jean-d’Acre (1291) illustrent la supériorité de la défense sur l’attaque. La première se matérialise par des fortifications qui témoignent de la connaissance du terrain et de l’anticipation tactique qui en découle ; celle-ci faisant gagner du temps à l’assiégé tout en lui permettant de sanctuariser un espace en arrière de la ligne des murailles. En revanche une fois ces dernières percées, le rapport de force devient très rapidement favorable pour l’attaquant.
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« Frapper au coeur de la ville » - Les assauts de Carthage (149-146 av. JC), Tenochtitlan (1521) et Saragosse (1808-1809) sont représentatifs de prises urbaines où l’assaillant - désirant éviter les coûteuses longueurs d’une ville décidée à résister – cible prioritairement des points névralgiques de nature à démoraliser l’ennemi et à faire cesser toute résistance. Ces points peuvent être symboliques (palais, bâtiments politiques ou religieux) comme réellement stratégiques (poste de commandement, infrastructures vitales…).
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« Nettoyer les écuries » - Les batailles d’Aix-la-Chapelle (1944), de Nahr el-Bared (2007) et de Mossoul (2016-2017) constituent des exemples de sièges où la bataille urbaine se remporte moins par l’encerclement de la ville que par la lutte méthodique qu’il faut y livrer intra-muros et quartier par quartier. L’enjeu est d’éviter la prise au piège de l’assaillant dans la ville même du fait de la multiplicité de poches de résistance résurgentes. Dans cette configuration, il n’y a plus de grandes manœuvres et encore moins d’originalité. La progression se fait selon un axe général, de manière lente et demande beaucoup de troupes et de munitions.
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« Conserver l’ascendant moral » - Ce chapitre illustre l’idée prêtée à THUCYDIDE et PLATON selon laquelle ce sont davantage les hommes que les murailles qui participent à la défense de la Cité. Avec les exemples de Malte (1565), de Singapour (1942) et de Hué (1968), l’auteur met en avant l’importance capitale des forces morales dans ce type de combat. Celles-ci sont non seulement abordées à travers la confiance accordée au chef, sa compétence comme l’attention qu’il accorde aux pertes, mais aussi à travers l’idée que les défenseurs se font de la cause pour laquelle ils se battent, surtout lors d’un rapport de force déséquilibré.
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« Ne pas se laisser hypnotiser » - Les sièges de Pékin (1900) et de Stalingrad (1942-1943) sont des exemples caractéristiques d’inversion de situation où l’assiégeant devient assiégé parce que ses analyses stratégique et tactique se sont confondues. Par sa dimension symbolique (notamment au plan politique), la ville peut constituer un abcès de fixation à un moment donné d’une campagne, faisant ainsi perdre de vue à l’assaillant son objectif stratégique. La bataille de Stalingrad est, dans ce cas de figure, emblématique. En focalisant sur la ville de STALINE au détriment des objectifs initiaux du plan Fall Blau, HITLER sacrifie une vision stratégique globale qui permet à l’Armée rouge de renverser la situation.
À l’assaut des murailles est donc un ouvrage d’histoire militaire dont la vocation est aussi de fournir des éléments de doctrine tactique en matière de guerre urbaine. Clair, synthétique et bien écrit, le livre du général HABEREY se lit facilement. On pourra y regretter, cependant, l’absence d’un chapitre sur les batailles de Grozny (1994-1995/1999-2000) et de Falloudja (2004).
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Cf. HABEREY (Gilles) et PEROT (Hugues), L’art de conduire une bataille. Les tactiques des plus grands stratèges de la bataille de Cannes à la Guerre du Golfe, Paris, Éditions Pierre de Taillac Éditions, 2016, 272 p.
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Cf. CHAMAUD (Frédéric) et SANTONI (Pierre), L’ultime champ de bataille. Combattre et vaincre en ville, Paris, Éditions Pierre de Taillac, 2016, 230 p.
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Cf. Notamment avec l’utilisation de Joint Terminal Attack Controller (JTAC). Les JTAC sont des contrôleurs aériens dont la mission est d’assurer le soutien aérien rapproché des troupes amies au sol (CAS ou Close-Air Support). Concrètement, il s’agit de guider les frappes aériennes de manière chirurgicale à quelques centaines de mètres (voire dizaines de mètres) d’unités amies. Normalement situés en retrait, les JTAC restent cependant engagés directement sur le champ de bataille et sont exposés.