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La zone d’intérêt (2023)

GLASER (Jonathan), La zone d’intérêt, 2023.

Article mis en ligne le 16 septembre 2024
dernière modification le 11 octobre 2024

par Nghia NGUYEN

Comment montrer et comment filmer la Shoah ? La question avait déjà été posée par Claude LANZMANN (1) tant l’événement interroge par l’ampleur de la tuerie et de ce qu’il dit de l’âme humaine. Pour qui s’interroge justement sur la destruction des communautés juives d’Europe durant la Deuxième Guerre mondiale, comment ne pas avoir les pieds au bord du gouffre à vouloir décrire « l’indicible » ?

S’inspirant du roman de l’auteur britannique Martin AMIS (1949-2023) (2), le réalisateur Jonathan GLAZER a porté au grand écran le sujet d’une manière particulièrement originale. Au final, cela donne un long-métrage au rythme lent, épuré dans ses choix artistiques comme esthétiques, déstabilisant mais néanmoins réussi. Le film a obtenu plusieurs récompenses (Oscars 2024, BAFTA 2024, Cannes 2023), et nominations (Golden Globes 2024, Oscars 2024, BAFTA 2024).

 

Christian FRIEDEL interprète le SS-Oberstumbannführer Rudolf HÖSS

 

La zone d’intérêt met en scène la vie du SS-Obersturmbannführer Rudolf HÖSS et de sa famille. HÖSS fut – de 1940 à 1944 (3) - le commandant du complexe concentrationnaire d’Auschwitz dans lequel était englobée l’unité d’extermination de Birkenau (Auschwitz II). Le film retrace sa vie familiale quotidienne dans une confortable propriété contiguë au Stammlager (Auschwitz I). Celui-ci était situé à environ 3 kilomètres de l’immense camp de Birkenau où l’essentiel des gazages homicides ont eu lieu jusqu’en 1944.

À première vue le film décrit la sérénité d’une vie de famille préservée de la guerre et de ses privations. La famille nombreuse du commandant SS grandit dans l’insouciance de scènes bucoliques où forêts, cadre champêtre et baignades constituent le décor. La maison est grande et présente tout le confort souhaité. Pour les besoins du film, elle a été reconstruite avec son grand jardin, son potager, ses serres et un espace de jeu pour les enfants. Hedwig HÖSS - l’épouse du commandant - a tout ce dont elle souhaite à commencer par une nombreuse domesticité qui s’occupe de tout. Préoccupé par l’organisation du camp de Birkenau, son mari peut néanmoins connaître le plaisir de mondanités avec alcool et bons cigares. La fiction cinématographique suit ce que fut la réalité de cet homme à travers sa passion pour les chevaux mais aussi sa corruption et son infidélité conjugale. On pourrait presque imaginer une autre histoire s’il n’y avait ce haut mur gris derrière lequel apparaissent les bâtiments du Stammlager et l’un de ses miradors principaux. Ce mur qui trace la limite de la propriété des HÖSS, traverse aussi une grande partie du film par son omniprésence.

 

Sandra HÜLLER interprète Hedwig HÖSS ici avec le dernier enfant du couple - Annegret - né en novembre 1943

 

L’atmosphère n’en est que plus surréaliste. Le quotidien banal et conformiste - voire ennuyeux - d’une famille nous est narré dans un environnement exceptionnel : celui de l’un des plus grands génocides de l’Histoire. L’immersion de cette quiétude familiale dans la destruction quotidienne de milliers d’autres familles, à seulement quelques kilomètres à la ronde, indispose la conscience. Le meurtre de masse plane du début à la fin du film alors qu’à aucun moment on le voit directement. Contrairement à des films tels La liste de Schindler ou Le Pianiste (4), La zone d’intérêt n’offre aucune scène d’action. Il n’y a pas d’exécution, de violence ni de scènes de cruauté. Seulement la froideur du monde des officiers de la SS et, il est vrai, la terreur que fait régner Hedwig HÖSS sur ses domestiques.

C’est, en fait, la bande son qui révèle l’essentiel. Elle parcoure l’ensemble du film parfois étouffée parfois plus nettement audible. Les sifflements des trains annoncent ainsi l’arrivée des convois de Juifs. Le claquement des détonations et le hurlement des ordres dans le lointain suggèrent des exécutions. Les aboiements des chiens comme les cris de panique suggèrent, eux, la sélection à la descente des trains. Surtout, il y a le bruit sourd des fours crématoires qui tournent à pleine capacité dans le silence de la nuit, projetant la lueur des flammes dans le ciel. La belle-mère de Rudolf HÖSS, d’abord enchantée par son séjour, finira par fuir les lieux, épouvantée... Du jardin, on finit effectivement par voir en plein jour les volutes de fumée qui, au-delà du mur d’enceinte, disent l’extermination de masse.

La zone d’intérêt est un film dont le rythme lent parvient, cependant, à montrer l’essentiel. On y trouvera l’état d’esprit de l’autobiographie de HÖSS (5) à savoir celui d’un homme, si haut responsable fut-il, déjà habité par sa propre mort intérieure. La conclusion de Jonathan GLAZER reste particulièrement symbolique lorsqu’après avoir montré des scènes de nettoyage dans le mémorial et musée d’Auschwitz d’aujourd’hui, il revient vers un Rudolf HÖSS qui s’apprête à reprendre le commandement du camp pour sa dernière mission : l’extermination des Juifs de Hongrie. L’homme est seul dans un bâtiment administratif désert, à une heure avancée de la soirée. Il ne se sent pas bien, descend et disparaît dans un escalier plongé dans l’obscurité. La conclusion d’un film qui, sans être profond, sonde les profondeurs des âmes sans morale.

_______________

  1. Cf. LANZMANN (Claude), Shoah, 1985.
  2. Cf. Dont il reprend essentiellement le titre et non la trame.
  3. Cf. À la fin de l’année 1943 et jusqu’au printemps 1944, l’Ostubaf HÖSS est muté comme chef de bureau à l’administration centrale des camps de concentration. Il revient à Auschwitz le 8 mai 1944 pour s’occuper de l’extermination de la dernière communauté juive européenne : celle de Hongrie.
  4. Cf. SPIELBERG (Steven), La liste de Schindler, 1993 et POLANSKI (Roman), Le Pianiste, 2002.
  5. Cf. HOESS (Rudolf), Le commandant d’Auschwitz parle, La Découverte, 2005, 280 p.​

 

 

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