Cet article a été publié sur le site Front populaire le 25 novembre 2024.
(source - Carol SIBONY, Révolution permanente)
Lorsque l’on veut occulter un problème l’un des meilleurs moyens est de dire qu’il n’existe pas. Plus c’est gros plus ça passe… La ficelle est connue et s’il y a un domaine universitaire dans lequel la déconstruction de la pensée va jusqu’au bout c’est bien la sociologie. L’affaire avait commencé avec Pierre BOURDIEU (1930-2002) mais elle se poursuit de nos jours avec des personnes comme Alain POLICAR (1) ou encore Éric FASSIN sur la question du Wokisme et de sa négation à dessein. Un négationnisme qui voudrait que le Wokisme soit une invention née de courants de pensée réactionnaires et conservateurs cherchant à « hystériser » les débats afin de dominer les opinions publiques pour le premier ; une cancel culture (2) tournée contre les libertés académiques dont les véritables auteurs seraient ces mêmes courants pour le second.
La domination du Wokisme dans la sphère culturelle est pourtant avérée. Ses outrances sont non seulement quotidiennes mais elles sont acceptées, voire encouragées par des institutions comme l’Éducation nationale où des associations LGBTQIA+ sont dûment agréées et où l’écriture inclusive – pourtant condamnée par l’Académie française - s’épanouit dans les rectorats et les administrations. Peu importe les contradictions intrinsèques de cette idéologie. Les menaces qu’elle fait désormais peser sur les fondements de la société et le germe totalitaire dont elle est porteuse sont réels et montrent qu’elle est désormais installée au grand jour dans l’ensemble de la société.
Poison lent qui corrode les fondements anthropologiques de notre civilisation, le Wokisme non seulement insulte l’Esprit et blesse les consciences mais il conduit également à de profondes fractures sociales et politiques. Depuis quelques années, études et débats l’étudient, le mettent en lumière (3) et permettent de susciter une opposition qui peut être très large. C’est notamment le sens à donner à la victoire de Donald J. Trump à l’élection présidentielle américaine de novembre 2024. De Hubert VÉDRINE à André KASPI (4), nombreux sont les observateurs de cette élection qui y ont vu un rejet profond du progressisme sociétal (la manière d’appeler le Wokisme en politique) dont le parti démocrate, représenté par Kamala HARRIS et Joe BIDEN, s’est fait le porte-voix. Au pays souvent présenté de manière inexacte comme le pays du Wokisme, cette victoire électorale sans appel est, en effet, le miroir d’une contre-offensive culturelle qui dépasse la personne controversée du nouveau président.
L’idéologie woke est cependant polymorphe ce qui la rend difficile à définir simplement. Si beaucoup en perçoivent la présence dans les débats publics, dans les médias, dans les produits culturels comme dans les institutions, ils sont moins nombreux à pouvoir l’expliquer notamment dans un débat en direct car le Wokisme est, avant tout, une posture idéologique (5) qui renvoie à un agrégat de luttes ciblant des concepts aussi différents les uns des autres. Des concepts que les militants wokes identifient comme des formes de domination à abattre : l’hétérosexualité, le mâle, l’homme occidental, le colonisateur, l’universalisme, le Christianisme…
En fait, ce sont les normes qui sont attaquées à partir d’un raisonnement assez simple en son principe : si celles-ci ont été socialement construites, elles peuvent alors être déconstruites et remplacées. Quant à l’Histoire qui fonde à la fois les civilisations et permet de restituer les contextes et la complexité des phénomènes, il faut la neutraliser prioritairement en la soumettant à une relecture idéologique avec les lunettes du présent. C’est l’ensemble des sciences humaines et sociales qui est ainsi pris pour cible par le Wokisme.
Dans un entretien donné à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), Éric FASSIN, sociologue spécialisé dans les études de genre, révèle on ne peut plus clairement ce qu’est un idéologue woke et comment il mène son combat (6). L’idéologue c’est d’abord une personnalité qui met en avant ses titres universitaires sans s’intéresser le moins du monde à l’objectivité de la recherche, et dont la démarche intellectuelle n’a rien de gratuite. Les titres universitaires ne servent aucunement la science ni la connaissance mais ne sont que tribunes militantes et tremplins médiatiques. Éric FASSIN est de ces idéologues. L’homme ne s’en cache pas qui revendique ouvertement l’articulation entre « travail savant et engagement politique » (7).
À l’origine normalien littéraire et agrégé d’Anglais, M. FASSIN voit son parcours transformé par sa rencontre avec Judith BUTLER, la théoricienne étatsunienne de l’idéologie du genre, dans les années 1980-1990. Depuis, le sociologue français s’est découvert une véritable vocation dans la diffusion des études de genre au sein de l’université française. Assurant une passerelle idéologique entre les deux rives de l’Atlantique, M. FASSIN écrit sur la question du genre, et de l’homosexualité au carrefour de la politique, de la société et du racialisme. Il croise les domaines dans lesquels il voudrait percevoir des rapports de domination, illustrant ainsi les luttes intersectionnelles théorisées par la juriste américaine Kimberley W. CRENSHAW. C’est ce concept d’intersectionnalité qui constitue, en fait, la trame de la pensée woke (8).
Comment le sociologue mène t-il son combat qui n’est, en fait, que le prolongement de la recherche de cette hégémonie culturelle revendiquée par la gauche intellectuelle jusqu’à présent ? Il laisse entendre que le monde universitaire ferait l’objet d’attaques visant à restreindre ses libertés académiques en France mais aussi aux Etats-Unis, en Hongrie, en Russie, en Turquie, au Brésil… Ce qu’il décrit comme une « dérive illibérale » serait voulue par une « extrême-droite conquérante » qu’il caractérise par une « convergence des néolibéraux et des néofascistes » (9). En d’autres termes, non seulement le Wokisme n’existe pas mais sa prétendue réalité est agitée tel un épouvantail par le pire des conservatismes afin de mettre le monde de l’université et de la recherche au pas.
M. FASSIN met en avant l’exemple de l’Université d’Europe Centrale créée en Hongrie en 1991 par George SOROS, qui fut transférée à Vienne en 2019 sous la pression du gouvernement de Viktor ORBAN. Cette atteinte fondamentale aux libertés académiques, selon lui, avait débuté par une attaque à l’endroit des études de genre. Elle n’est cependant pas à considérer comme un alignement sur l’ancien clivage de la Guerre froide avec d’un côté d’anciens pays de l’Est (la Hongrie ou la Russie de Poutine hostile, elle aussi, au mouvement LGBTQIA+) et de l’autre les pays occidentaux. Pour le sociologue, cette délocalisation de l’Université d’Europe Centrale s’inscrirait dans un « continuum illibéral » plus large qui comprendrait aussi les Etats-Unis et la France.
Nonobstant la récente élection de TRUMP qui est une conséquence/réaction et non une motivation idéologique originelle, cette vision d’un monde universitaire persécuté pour son Wokisme est infirmée dans les faits. C’est même plutôt l’inverse qui se produit depuis plusieurs décennies dans le monde occidental à savoir un entrisme systématique et une installation de l’idéologie woke dans nombre d’universités, de grandes écoles, d’instituts de recherche sans parler des médias et du monde de l’édition. Armé de la cancel culture, cet entrisme pervertit la recherche, élimine ses opposants et fait régner un état d’esprit délétère si ce n’est une terreur inconsciente empêchant toute liberté d’expression. Les exemples ne manquent pas que ce soit dans les campus étatsuniens ou en France avec des établissements naguère réputés pour leur excellence : le CNRS (10), Normal Sup et surtout Sciences Po.
Au point qu’en février 2021 - bien avant la guerre lancée par Israël contre le Hamas, qui a déclenché une vague judéophobe notamment à Sciences Po -, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, avait voulu diligenter une enquête sur l’islamo-gauchisme au sein du monde de la recherche. Cherchant à distinguer les travaux qui relevaient de la recherche académique de ceux qui relevaient du militantisme, la ministre s’est d’emblée heurtée à une vive opposition des milieux universitaires qui a fini par obtenir l’annulation de cette enquête. Un mois auparavant, en janvier 2021, se mettait pourtant en place un Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires rassemblant des universitaires qui rejetaient la mainmise du Wokisme et des luttes intersectionnelles sur l’Université et la recherche.
L’existence d’un « Observatoire Genre et Géopolitique » offrant à Éric FASSIN une tribune, montre par ailleurs que ce que le sociologue affirme est l’exact contraire de ce qu’est la réalité. Non seulement le Wokisme existe bel et bien puisqu’il continue de s’installer au coeur de la matrice des élites intellectuelles - ici en l’occurrence au sein du think tank fondé par Pascal BONIFACE -, mais il saisit à la manière d’une cancel culture à front inversé le prétexte d’une soi-disant liberté académique menacée pour faire valoir une emprise encore plus forte sur le monde universitaire.
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