Un problème historiographique : la République face à son Histoire
S’il est des pages de l’Histoire de France plongées dans l’oubli et ses déformations entretenues, la guerre que fit la Ire République à la Vendée de 1793 à 1796 en est une. Histoire officielle et mémoire républicaine se sont conjuguées jusqu’à nos jours pour atténuer (voire effacer) les horreurs de cette guerre civile qui, pourtant, exprimaient déjà en leur temps ce que toute révolution porte en elle : le terrorisme d’État au nom de la « table rase » du passé avec ses inévitables corollaires que sont le crime de guerre et celui contre l’Humanité.
Si la recherche historique a néanmoins progressé sur la question (notamment avec les travaux d’Alain GÉRARD, Professeur à l’Université de Paris IV-Sorbonne), ce qui divise essentiellement la communauté scientifique de nos jours demeure l’emploi du terme de « génocide » pour qualifier les massacres systématiques ordonnés par la Convention, plus particulièrement le rôle des « colonnes infernales » du Général Louis-Marie TURREAU (1756-1816). Un pas que franchissent Pierre CHAUNU et Reynald SECHER, ce dernier allant jusqu’à parler d’un assassinat de la mémoire (« mémoricide »). Certes, les opposants à ces deux historiens n’ont pas manqué de pointer du doigt l’application anachronique de concepts modernes à des conflits du passé. Est-ce à dire pour autant que la réalité génocidaire comme celles des crimes de guerre, et contre l’Humanité, n’ont pu précéder les catégories juridiques mises en place à parti de 1944 ?
Le sujet est donc loin d’être aujourd’hui apaisé, et la virulence avec laquelle les débats resurgissent - y compris au-delà des cercles d’historiens - le montre. L’inauguration par Alexandre SOLJENITSYNE (1918-2008) du "Chemin de la mémoire" des Lucs-sur-Boulogne, le 25 septembre 1993, a posé la question de la filiation philosophique entre l’idéologie révolutionnaire et le totalitarisme communiste. Une question qui parcourt le clivage politique gauche/droite encore de nos jours, faisant de l’interprétation de la Guerre de Vendée un exercice toujours délicat (1). Toujours est-il que par l’opposition entre le pays légal et le pays réel que les révolutionnaires imposent violemment à partir de 1790, par la négation des consciences populaires qu’ils traduisent de la manière la plus brutale, la Guerre de Vendée annonce la radicalité mortifère de notre modernité politique.
"Le serment du Jeu de Paume" de Jacques-Louis DAVID (1791)
Restituer la complexité de l’Histoire
La Vendée est une rivière - un affluent de la Sèvre niortaise - qui donne son nom au département créé le 4 mars 1790. C’est donc la Révolution qui institue cette circonscription administrative située aux confins de la Bretagne, de l’Anjou et du Poitou. Une Révolution plutôt bien accueillie en 1789 par les populations de ces régions bocagères. Ce sont trois représentants poitevins d’un clergé « progressiste » pour l’époque - car ouvert aux idées révolutionnaires -, qui firent basculer les états généraux en rejoignant le Tiers-état.
L’historien Alain GÉRARD montre, par ailleurs, que les futurs chefs militaires de l’insurrection vendéenne avaient tout à gagner de l’abolition des privilèges, de l’égalité des droits et de la liberté individuelle proclamées par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. Jacques CATHELINEAU (1759-1793) et Jean-Nicolas STOFFLET (1753-1793) étaient ainsi d’extraction roturière. Quant à la noblesse d’un Maurice GIGOST d’ELBÉE (1752-1794), elle n’était pas pleinement reconnue. Charles-Melchior de BONCHAMPS (1760-1793), lui, descendait d’une lignée protestante.
Ces faits infirment donc un déterminisme affirmé a posteriori par l’historiographie républicaine selon lequel la révolte vendéenne fut le fait d’une noblesse et d’une population contre-révolutionnaires et réactionnaires, cimentées par un catholicisme exacerbé. En fait, les habitants de la Vendée ne se distinguaient ni plus ni moins des autres habitants du royaume. Comme ailleurs, leurs cahiers de doléances résonnent de leur rejet des privilèges. La chronologie des événements – comme toujours en Histoire – se rappelle au contexte. Le soulèvement n’a pas eu lieu en 1789 pour défendre la monarchie absolue, mais en 1793 après l’effondrement de la monarchie parlementaire. La violence qui éclate pose, donc, la question de ce qu’il s’est passé entre temps.
Dès l’été 1789, la Révolution parisienne fait naître un immense espoir dans tout le royaume. La Vendée n’échappe pas à cet enthousiasme collectif tourné vers l’élaboration d’une « nouvelle société ». Les écrits révolutionnaires contemporains attestent de la volonté de nouvelles perspectives politiques et sociales qui posent, cependant et au-delà des mots, leur ancrage dans la réalité ainsi que la question des moyens pour y parvenir. Cette euphorie révolutionnaire est aussi observée, dès l’époque, outre Atlantique où se construit la jeune république américaine. Mais alors que cette dernière reconnaît dans son interprétation des Droits de l’Homme et du Citoyen des droits naturels antérieurs à l’entrée en société de l’individu, les révolutionnaires français, eux, proclament que c’est la Loi en tant qu’expression de la volonté générale qui définit ces droits.
La souveraineté absolue de l’individu est donc philosophiquement comme politiquement posée, ouvrant le champ politique à la tentation de la « table rase ». Ce qui désormais compte c’est la construction volontariste du présent et de l’avenir détachée du passé. Celui-ci est d’ailleurs approché avec méfiance. Tout ce qui peut le représenter - l’institution monarchique, l’Église, les traditions culturelles et populaires (si diverses) – est perçu comme autant d’asservissements à combattre. C’est dans cette vision prométhéenne d’une société imposée à l’aune de valeurs nouvelles - et détachée d’un réel ancré dans le passé - que se cèle une tragédie déjà annonciatrice des totalitarismes contemporains.
La fracture avec la Révolution
La première grande fracture entre la population et la Révolution réside dans le vote de la Constitution civile du Clergé le 12 juillet 1790. Cette loi, qui cherche à soustraire l’Église de France à l’autorité romaine (gallicanisme), à l’attacher au nouveau pouvoir politique en créant une véritable religion d’État, sème d’emblée une profonde division au sein d’une société encore enracinée dans le fait religieux. La division entre un clergé constitutionnel (massivement rejeté par les populations) et un clergé réfractaire (qui refuse la prestation du serment de fidélité à cette constitution et en subit la persécution) exacerbe les passions populaires sur un territoire où les premières communautés humaines (les paroisses) restent d’abord chrétiennes et catholiques.
La rupture avec Rome, le 13 avril 1791, n’arrange rien. En décrétant « hérétique et schismatique » la Constitution civile du Clergé, le pape Pie VI (1717-1799) détache les Catholiques de la Révolution. C’est qu’à l’époque le spirituel reste encore très lié au politique, et nombre de prêtres qui avaient choisi le camp du Tiers-état commencent à glisser dans l’opposition considérant les nouvelles orientations politiques comme autant de trahisons à l’esprit de la Révolution et au formidable vent de liberté qu’il avait soufflé sur tout le royaume en 1789. À cela s’ajoute dans les provinces du royaume une autre source de rancœur qui touche le monde des bourgeois et des artisans : l’accaparement des responsabilités politiques et économiques par la bourgeoisie révolutionnaire. En définitive, c’est tout un peuple qui voit ses représentants et pouvoirs intermédiaires traditionnels remis brutalement en cause, avec l’ingérence inouïe d’un ordre nouveau dans les coeurs et dans les âmes.
"Le Vendéen" de Julien LE BLANT (1856-1931)
C’est donc dans le grand Ouest - Bretagne, Anjou, Poitou et plus particulièrement le pays des Mauges qui sera bientôt l’épicentre du soulèvement - deux ans après les états généraux, qu’apparaissent les premiers grands foyers de résistance à l’ordre révolutionnaire. Les populations restant attachées à leurs prêtres (majoritairement réfractaires) subissent vexations et persécutions de la part des autorités : dispersions brutales de foules, destructions de lieux de culte, mainmise sur les biens religieux… En faisant de la religion une affaire républicaine, la Révolution blesse les consciences, et participe directement au développement de la religion « sauvage », c’est-à-dire celle qui désormais s’exprime en dehors des cadres ecclésiastiques traditionnels. Les protestations vont grandissantes et s’élargissent : administrateurs et symboles du nouveau pouvoir sont à leur tour pris à partie. À l’été 1791, les prodromes d’une insurrection sont déjà en place. À l’été 1792 l’opposition devient violente, notamment dans la région de Bressuire où la férocité de la répression menée par les gardes nationaux (200 morts) n’est pas de nature à réduire un fossé grandissant entre la Révolution et ses opposants.
À cette époque, les esprits sont déjà chauffés au point de non retour car à la crise intérieure au royaume se juxtapose un conflit européen qui va lourdement peser sur la politique parisienne. La guerre que la Révolution a engagée contre l’Europe en avril 1792, les premières défaites, le choix du pourrissement du jeu politique par Louis XVI (1754-1793), la crise économique, ne portent pas les révolutionnaires à la modération. Ces derniers comprennent qu’ils sont eux aussi directement menacés. Le 11 juillet, l’Assemblée décrète « la Patrie en danger » ce qui accélère les événements parisiens avec le renversement du Roi le 10 août et, surtout, les massacres de septembre.
Du 2 au 7 septembre 1792, sur fond de rumeurs d’un complot royaliste en préparation, les révolutionnaires font massacrer dans les prisons des milliers de personnes par les sans-culottes. C’est à Paris que la tuerie est la plus massive avec plus de 1400 victimes. Ont été particulièrement frappés par la vindicte populaire les prêtres réfractaires ainsi que les gardes suisses qui avaient protégé Louis XVI et sa famille au Palais des Tuileries. Ces événements heurtent nombre de Français, qui ne se reconnaissent plus dans cette violence qui vient de franchir un nouveau seuil.
La fracture avec la République
C’est dans ce contexte que naît la Ire République avec l’élection d’une nouvelle assemblée qui entre en fonction le 21 septembre : la Convention (1792-1795). À cette date, nombre de Français se sentent désormais coupés d’une Révolution qu’ils perçoivent comme devenue folle. L’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, ne déclenche pas encore le soulèvement vendéen mais elle choque par son inutilité voire son illégalité. Quoi qu’il en soit, elle ne rapproche en rien les paysans du grand Ouest du régime républicain, bien au contraire. Ces derniers ne se reconnaissent plus dans une Révolution qui promettait la liberté et qui se transforme dorénavant en régime de Terreur.
La levée en masse de 300 000 soldats pour faire face à l’invasion étrangère est votée le 24 février 1793. C’est cette décision qui met le feu aux poudres, car nombre de gens du peuple ne comprennent pas la nouvelle obligation militaire alors que la Révolution s’était empressée d’abolir les anciennes milices communales. Pire, cette mobilisation est perçue comme injuste, car elle est destinée à soutenir une guerre déclenchée par les révolutionnaires eux-mêmes. Sollicitant la population, elle en exempte de nombreux Républicains protégés dans leurs fonctions de gardes nationaux. Le refus de répondre à la levée en masse tourne donc rapidement à l’insurrection.
À cette opposition, la Convention choisit le durcissement en promulguant en mars une loi qui punit de mort sans procès, dans les 24 heures, tout rebelle pris les armes à la main ou portant un symbole de la rébellion (notamment la cocarde blanche, insigne de la royauté). Alors que jusqu’en mars 1793 les Vendéens signent des pétitions demandant un retour aux principes de 1789, la Convention répond par un durcissement de la loi qui ne laisse dorénavant plus aucune place à la conciliation. Et si des insurrections provinciales ont éclaté un peu partout en France au même moment, c’est en Vendée que cette absence de conciliation va aboutir à un véritable soulèvement militaire. Ce dernier n’est, en fait, qu’une réaction contre la dérive tyrannique et terroriste d’une République révolutionnaire qui se détourne de ses idéaux originels.
Henri de LA ROCHEJAQUELEIN par Pierre-Narcisse GUÉRIN (1817)
La Vendée militaire
Le soulèvement des populations au sud de la Loire à partir du mois de mars 1793, prit le nom de « Vendée militaire ». Désignant désormais cette partie du territoire qui échappait au contrôle de Paris, il fut d’emblée identifié comme une menace mortelle par la Convention. Véritable guerre intérieure au sein d’une guerre européenne globale, la Guerre de Vendée menaça réellement la Révolution dans un premier temps, ce qui explique largement la violence des combats et de la répression qui s’ensuivit. S’élargissant rapidement à la Bretagne et à la Normandie, le soulèvement vendéen rejoignit le mouvement chouan présent au nord de la Loire. Abcès de fixation, les deux mouvements alimentèrent une guerre qui mobilisa les armées républicaines pendant plusieurs années, quand bien même l’Armée Catholique et Royale fut-elle définitivement vaincue dès la fin de l’année 1793.
L’insurrection initiale remporte des succès qui s’expliquent dans un premier temps par la surprise et l’impréparation des forces républicaines. L’Armée Catholique et Royale, qui commence à s’organiser au printemps 1793, se trouve des chefs dans la petite noblesse : Maurice d’ELBÉE, Louis de SALGUES de LESCURE (1766-1793) mais surtout Henri de La ROCHEJAQUELEIN (1772-1794) et François Athanase CHARETTE de LA CONTRIE (1763-1796). À leurs côtés figurent des chefs d’extraction populaire, également de grande valeur tels CATHELINEAU et STOFFLET. Ces chefs sont, cependant, divisés sur les orientations stratégiques à suivre, et se disputent le commandement d’une armée mal équipée dont la perception « régionale » et limitée du conflit empêche toute victoire décisive sur des armées républicaines sans cesse renouvelées.
L’Armée Catholique et Royale est, par ailleurs, encombrée dans ses déplacements par la présence de dizaine de milliers de femmes et d’enfants dont beaucoup périront dans les combats. Facteur aggravant, les chefs vendéens tombent les uns après les autres sans pouvoir être remplacés : CATHELINEAU est tué à Nantes le 29 juin 1793 ; BONCHAMPS est mortellement blessé à la bataille de Cholet le 17 octobre ; LESCURE mortellement blessé devant Nantes meurt le 4 novembre ; fait prisonnier, d’ELBÉE est fusillé le 6 janvier 1794 ; TALMOND est guillotiné à Laval le 27 janvier ; La ROCHEJAQUELEIN tombe le 28 janvier ; STOFFLET est fusillé à Angers le 25 février 1796. Quant à CHARETTE, capturé non loin de Saint-Sulpice-le-Verdon au lieu-dit La Chabotterie, il est fusillé à Nantes le 29 mars 1796. Son exécution met fin à la Vendée militaire.
Côté républicain, les troupes sont rapidement réorganisées sous l’impulsion des généraux Jean-Baptiste KLÉBER (1753-1800), François-Joseph WESTERMANN (1751-1794) et François-Séverin MARCEAU (1769-1796). Elles durcissent la résistance de places fortes que les « Blancs » sont incapables de prendre faute d’artillerie et de matériel de siège suffisant. Les Vendéens sont ainsi arrêtés à Nantes en juin 1793, et refoulés au mois d’octobre à la bataille de Cholet. C’est à partir de cette défaite que débute la « Virée de Galerne » à savoir le franchissement de la Loire par l’Armée Catholique et Royale et l’entrée en Bretagne afin de répandre le soulèvement. Cette expédition est condamnée dès le départ faute d’un objectif clair. Deux choix stratégiques s’offrent, en effet, aux chefs vendéens rejoints par un fort parti chouan : prendre Rennes dans l’espoir d’étendre l’insurrection à la Bretagne ou s’emparer d’un port qui permettrait à la flotte britannique de débarquer une force contre-révolutionnaire essentiellement composée d’émigrés. C’est le deuxième choix qui prévaut, et l’attention se porte sur la place de Granville qui est attaquée le 14 novembre. L’assaut est un échec faute de matériel de siège. Le plus grave est que cet échec entame le moral des Vendéens, qui veulent désormais rentrer chez eux alors que La ROCHEJAQUELEIN voudrait poursuivre la marche sur un autre port (Caen ou Cherbourg).
En dépit d’un dernier succès tactique à Dol où, au cours d’une bataille de trois jours, les Républicains essuient une lourde défaite, l’armée vendéenne se replie. Les Chouans qui désapprouvent cette retraite, et voudraient reprendre l’offensive contre Rennes, font défection. C’est donc une force affaiblie, décimée par le froid et les maladies, privée de ravitaillement, dont les effectifs combattants ont fondu, traînant des milliers de blessés, qui cherche désormais un point de passage pour franchir la Loire cette fois vers le sud.
Talonnés par les Républicains, qui ont été rapidement renforcés par KLÉBER après la défaite de Dol, les Vendéens engagent une nouvelle bataille au Mans le 12 décembre 1793. Nonobstant la mise en déroute des généraux WESTERMANN et MULLER dès le début de l’engagement, le cours de la bataille est renversé par l’arrivée de renforts républicains. Très vite l’affrontement se transporta à l’intérieur même de la ville du Mans que les Vendéens n’avaient eu le temps de mettre en état de défense. Les féroces combats de rue ne sauvèrent rien et le carnage se poursuivit sur la route Le Mans/Laval, itinéraire de retraite des survivants emmenés par La ROCHEJAQUELEIN. 10 à 15 000 combattants vendéens périrent dans cette bataille. Les survivants, traqués le long de la Loire, furent contraints le 23 décembre de livrer une dernière bataille à Savenay, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Nantes. Au désastre de la bataille du Mans succéda celle de Savenay à l’issue de laquelle l’Armée Catholique et Royale cessa d’exister.
L’extermination
Quelles que soient les interprétations des événements (génocide ou massacres inhérents à une guerre civile particulièrement violente), la brutalité de ceux-ci parle d’elle-même pour que tous s’accordent aujourd’hui sur l’horreur que fut la Guerre de Vendée. S’il y eut des deux côtés des exactions que l’on qualifierait de nos jours de « crimes de guerre » – comprendre des tortures et des massacres de prisonniers et de blessés -, des différences sensibles sont cependant à prendre en compte telle cette décision de BONCHAMPS qui, avant d’expirer, demande que l’on épargne les milliers de soldats « bleus » capturés lors de la deuxième bataille de Cholet (17 octobre 1793). Celle aussi d’un d’ELBÉE qui s’interpose pour sauver des prisonniers républicains à la bataille de Chemillé.
Certes, les Vendéens ont eux aussi exécuté des prisonniers et des blessés, mais lorsque BONCHAMPS fait épargner les captifs ennemis, la bataille de Cholet est déjà perdue pour sa cause et le chef vendéen ne cherche pas à protéger - en retour de cet acte de clémence - les siens capturés au même moment par les Républicains. Ces derniers achevant de toute manière les blessés. Le sentiment de vengeance - suite à la défaite - ajouté à l’encombrement créé par 5000 prisonniers à emmener dans la retraite auraient pu conduire à la décision de leur exécution. Ils furent cependant relâchés au nom d’une conviction chrétienne du Pardon, nonobstant les conséquences d’un point de vue militaire et dans un contexte stratégique dramatique pour la Vendée militaire.
Du côté des armées républicaines - encadrées par des commissaires aux armées - les massacres ont été plus importants et, surtout, plus systématiques. Ceux qui échappent aux fusillades ou à la guillotine, sont envoyés à Nantes où Jean-Baptiste CARRIER (1756-1794) les fait noyer par milliers dans les eaux de la Loire. Les batailles du Mans et de Savenay sont de véritables boucheries où femmes et enfants sont égorgés avec les combattants. Les survivants sont traqués des jours durant et, souvent, fusillés sur place. En ces jours tragiques de décembre 1793 pour la cause vendéenne, le chirurgien-major PECQUEL du 4e bataillon des Ardennes fait écorcher 32 prisonniers vendéens aux Ponts-de-Cé, et fait expédier les peaux à un tanneur d’Angers. Si ces faits ont été par la suite utilisés par les propagandes révolutionnaire et contre-révolutionnaire, ils sont encore de nos jours relativisés par une historiographie engagée favorable à la Révolution.
Finalement, c’est le message que le Général WESTERMANN adresse à la Convention au soir de la bataille de Savenay, qui résumera le mieux l’état d’esprit dans lequel les Républicains se sont battus : « Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les bois et les marais de Savenay, suivant les ordres que vous m’aviez donnés. J’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé (…). Les routes sont semées de cadavres. Il y en a à Savenay ; car à chaque instant il arrive des brigands qui prétendent se rendre prisonniers. Kléber et Marceau ne sont pas là : nous ne faisons pas de prisonniers, il faudrait leur donner le pain de la liberté, et la pitié n’est pas révolutionnaire » (3).
Ce qui traduit cependant le plus le caractère d’anéantissement des opérations militaires que la Ire République mène en Vendée, c’est l’envoi de nouvelles troupes au début de l’année 1794, dont la mission est de détruire ce qui reste du département insurgé, renommé « Vengé » (novembre 1793). À cette date, l’Armée Catholique et Royale n’existe plus en tant que telle, ayant été anéantie au Mans et à Savenay, et la Révolution n’est plus menacée. Tout danger est écarté.
La Convention ordonne, cependant, au Général TURREAU de punir définitivement le territoire rebelle en détruisant villages, églises, moulins, granges, récoltes et forêts. De poursuivre également le massacre des populations ce dont TURREAU s’acquitta avec zèle. L’expression de « cimetière national » est employée pour décrire les objectifs attendus. La Terreur devenue véritable politique d’État va ainsi jusqu’au bout de sa logique.
De janvier à mai 1794, TURREAU quadrille ainsi l’ensemble de la Vendée avec 12 colonnes, qui se rendent coupables des pires crimes : destructions, exécutions, viols, tortures. Symbole de ce meurtre de masse, le 28 février 1794 aux Lucs-sur-Boulogne le Général Étienne CORDELLIER (1767-1845) fait exécuter 564 personnes sans distinction de sexe ni d’âge. Une grande partie des victimes fut enfermée dans l’église Notre-Dame du Petit Luc que les soldats incendièrent. 110 enfants de moins de 7 ans périrent ce jour-là. La brutalité de cette répression aveugle justifia l’expression « colonnes infernales » pour désigner les troupes républicaines d’alors. Elle n’éteignit pas le conflit mais au contraire le relança sous la forme d’une guérilla cette fois.
La fin du conflit
L’élimination politique de la Montagne au printemps et à l’été 1794 arrêta la catastrophe, et les colonnes infernales se retirèrent. La Convention thermidorienne (1794-1795) désirant pacifier la Vendée, signa avec les derniers chefs vendéens (à l’exception de STOFFLET) le traité de La Jaunaye le 17 février 1795. L’amnistie fut accordée à tous les Vendéens ayant pris les armes, leurs biens furent restitués, des indemnités accordées pour les destructions… Surtout, la liberté de culte fut autorisée et l’exemption de la conscription confirmée.
La situation demeura cependant très fragile, et l’annonce d’un débarquement d’Émigrés armés par l’Angleterre à Quiberon le 23 juin 1795 poussa CHARETTE à reprendre les armes, faisant parler d’une deuxième guerre de Vendée. Celle-ci se termina dans les bois de La Chabotterie où le dernier grand chef vendéen fut capturé le 23 mars 1796. Il faudra cependant attendre la signature du Concordat entre Napoléon Bonaparte et le Pape Pie VII (8 avril 1802) pour que la Vendée soit enfin pacifiée. À un territoire dévasté – et si les chiffres des pertes humaines restent difficiles à établir avec exactitude -, les historiens s’accordent aujourd’hui à fixer le nombre de Vendéens tués entre 15 et 20% de la population du département de l’époque (soit environ 170 000 personnes).
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Bibliographie