POYET (Stanislas), « La résistance héroïque des kiboutzniks de Nir Am », in Le Figaro, 3 novembre 2023.
Fondé en 1943, le kibboutz de Nir Am est adossé à la ville de Sderot dont il est séparé par l’autoroute 34. Le samedi 7 octobre 2023, à l’aube, il subit l’assaut des commandos terroristes du Hamas en provenance de la bande de Gaza située à moins d’un kilomètre. Les habitants de Nir Am vont avoir les bons réflexes. Ils se regroupent, s’arment et mettent le kibboutz en défense. En donnant le temps aux forces de sécurité d’intervenir en fin de matinée, ils sauvent leur communauté. Au même moment, à une petite dizaine de kilomètres au sud, le kibboutz de Kfar Aza est l’épicentre de l’une des pires tueries de masse.
Né dans la guerre, Israël vit depuis entouré de pays arabes hostiles et dans la menace permanente d’attentats palestiniens. Le service militaire y est obligatoire. Il est d’une durée d’un peu moins de trois ans pour les jeunes hommes et de deux années pour les jeunes femmes. La plupart des Israéliens ont donc reçu une instruction militaire, et ils restent mobilisables une grande partie de leur existence. En plus du traumatisme de la Shoah, ce contexte entretient une résilience au sein de la population.
La résistance des kibboutzniks de Nir Am prouve une fois de plus, et s’il en était encore besoin, qu’un petit groupe entraîné et proactif peut sauver le plus grand nombre. Tout se joue dans les premières minutes.
Le kibboutz de Nir Am et son réservoir sont visibles au sud de l’image. La bande de Gaza apparaît dans le coin nord-ouest, et la ville de Sderot au nord-est.
Le kibboutz de Kfar Aza est dans le cercle rouge le plus au sud.
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LA RÉSISTANCE HÉROÏQUE DES KIBBOUTZNIKS DE NIR AM
L’assaut du Hamas à Nir Am a été fulgurant. Les kibboutznik se sont défendus sans les forces de sécurité qui ont tardé à arriver. Dans le chaos, aucun israélien n’a été abattu.
Le 7 octobre 2023, il est 6 heures 25 quand les sirènes retentissent dans les rues de Nir Am et tirent Avi Kadoch de son lit. Les attaques de roquettes sont fréquentes dans ce kibboutz situé à moins d’un kilomètre de la frontière de la bande de Gaza, et les réveils en sursaut au petit matin par conséquent aussi. Comme d’habitude, Avi s’enferme dans son « mamad », l’abri anti-roquettes prévu à cet effet, avec sa femme. « Il y en a beaucoup non ? » fait remarquer son épouse. Dans le ciel, les explosions tonnent et les sirènes d’alerte ne cessent de sonner. Le téléphone vibre. Sur WhatsApp, les messages sont alarmants, une attaque serait en cours dans un kibboutz voisin, Kfar Aza.
Dans un abri proche, Eli , enfermé avec sa femme et ses enfants, reçoit les mêmes messages. Eli est volontaire dans la petite équipe de sécurité du kibboutz. « Je dois y aller », lance-t-il à sa femme. « Ne me laisse pas toute seule », lui répond-elle. Eli décroche le revolver qu’il porte à la ceinture et le lui tend. « Je ne saurai même pas comment m’en servir », lui dit-elle. Le volontaire raccroche l’arme à sa ceinture et file pour rejoindre le local du service de sécurité volontaire. Derrière lui, sa femme verrouille l’abri.
Ni Avi, ni Eli, ni aucun habitant du kibboutz ne comprennent que vient de commencer la plus ambitieuse opération terroriste jamais menée par le Hamas, l’organisation qui dirige d’une main de fer la bande de Gaza. Au petit matin, 2000 combattants ont franchi la barrière qui enserre ce territoire, pourtant réputée inviolable. Leurs drones aveuglent les caméras, des explosifs font sauter les installations, des bulldozers défoncent les grillages.
L’assaut aux portes du kibboutz
Embarqués sur des motos ou à bord de pick-up, ils déferlent sur les villes et villages frontaliers et pénètrent profondément dans le territoire israélien sans rencontrer de résistance. L’armée est loin, occupée dans le nord du pays. Depuis des années, Gaza se tient tranquille ; Israël pense avoir acheté la paix en augmentant les permis de travail délivrés aux Gazaouis et en fermant les yeux sur le financement du Hamas par le Qatar.
Au local du service de sécurité du kibboutz, Eli retrouve Inbar, une jeune femme âgée de 25 ans qui avait accepté de prendre la tête de la petite équipe de volontaires un an plus tôt. Inbar a aussi été tirée du lit à l’aube par le barrage de missiles lancé depuis Gaza et elle tambourine aux portes de chacun des volontaires pour les rassembler. Rapidement, l’équipe est au complet. Chacun enfile gilets pare-balles, casques, et saisit les fusils d’assaut M-16, gardés en sécurité dans une armoire forte. « On n’avait jamais imaginé devoir se défendre contre un assaut, mais personne n’avait peur », se rappelle Eli, rencontré dans un hôtel de Tel-Aviv où il a été relogé avec sa famille. Les téléphones sonnent les uns après les autres. Sur WhatsApp, les premières vidéos circulent et laissent entrevoir l’ampleur de l’opération. Un ami lui envoie des images de la route qui relie Sderot à Netivot. Les cadavres jonchent le lacet de goudron près de voitures criblées de balles.
Déluge de roquettes
Inbar donne les consignes. Deux membres de l’équipe de sécurité l’épaulent. « Ces deux-là ont une expérience significative dans ce genre de chose », explique, énigmatique, un habitant du kibboutz qui refuse d’en dire plus. Deux par deux, les membres de l’équipe de sécurité vont se poster aux entrées du village ; il y en a cinq. Par chance, le déluge de roquettes a coupé l’électricité de la ville, condamnant ainsi les portails. « C’est ce qui nous a sauvés », juge Eli a posteriori. Le père de famille file vers l’ouest avec un compagnon. Derrière le lourd portail de métal jaune, trois combattants tentent d’ouvrir une brèche. Il est 7 h 30. Les combats commencent. Un assaillant tombe sous les balles. Les deux terroristes survivants se replient vers un bâtiment situé à 300 mètres de là, un complexe où le kibboutz élève des poulets. Derrière, Gaza est bien visible dans la lumière du matin ; un seul kilomètre et demi sépare Nir Am du territoire palestinien. À la radio, les deux volontaires appellent au secours. En quelques minutes, huit des dix volontaires sont à l’entrée Ouest. Deux sont restés postés devant l’entrée principale, au cas où. L’équipe se déploie avec savoir-faire. Les uns restent au sol, d’autres grimpent sur les toits alentour. Le combat s’engage, le groupe fait feu à volonté.
Frôler la mort de justesse
Vers 8 h, la supériorité numérique des défenseurs s’effondre : trois pick-up blancs déboulent au loin. Vingt-cinq combattants du Hamas investissent le complexe avicole. « Le combat est passé à un autre niveau », se souvient Moshe , un autre volontaire - plus âgé - du kibboutz. À la radio, aucun signal des autorités, ni des forces de sécurité. « On essayait sans cesse de les joindre, sans succès. On s’est fait à l’idée qu’on était seuls », ajoute-t-il. Malgré le vacarme des combats, les défenseurs de Nir Am comprennent qu’une autre bataille à lieu, de l’autre côté du complexe avicole. « L’un de nous s’est décalé pour mieux voir. Il y avait un blindé de l’armée israélienne fumant, détruit par une charge d’explosifs, et six ou sept corps de soldats, morts », raconte Moshe. « À ce moment-là, on a accepté l’idée que nous allions mourir », dit simplement Eli. « Nous n’avions aucune nouvelle des forces de sécurité depuis le début. Les seuls renforts qui nous avaient été envoyés avaient été massacrés », poursuit-il. Perché sur son toit, Eli commence à réciter des prières. Autour de lui, chaque volontaire tient sa position.
Mais les kibboutzniks sombrent peu à peu dans le désespoir. C’est alors qu’aux alentours de 10 heures, plusieurs blindés de la police arrivent à la rescousse à l’entrée du kibboutz. Trente policiers prennent place auprès des volontaires de Nir Am. « C’était comme un miracle ! », se souvient Moshe. Un long combat s’ensuit trois heures durant. En face, le Hamas est lourdement armé, il dispose de mitrailleuses et de lance-roquettes RPG-7. Plusieurs policiers sont blessés. Vers 13 heures, la police prend pied dans le complexe avicole et abat les derniers assaillants du Hamas.
Troisième assaut
« La première chose que nous avons faite à l’issue de la bataille a été de courir pour retrouver nos familles », raconte Eli. « Mais nous nous sommes rapidement regroupés. Nous savions que ça pouvait recommencer d’un moment à l’autre », dit-il. Vers 16 heures, un nouvel assaut est lancé. Le troisième de la journée. Entre quinze et vingt combattants du Hamas s’approchent une fois de plus du kibboutz. « Cette fois-ci, il y avait du monde pour les accueillir. Il y avait même un hélicoptère qui les a repoussés sans problème », dit-il.
Aucun des membres du kibboutz n’a été tué dans Nir Am. Eli retrouve cependant plusieurs dépouilles dans les vergers environnants, à l’extérieur de l’enceinte. Plusieurs travailleurs agricoles palestiniens venus de Gaza, grâce aux permis de travail délivrés par Israël, ont été abattus par leurs compatriotes. « On en a retrouvé d’autres qui se cachaient, morts de peur. On les a ramenés au kibboutz, on leur a donné à manger », dit Eli.
Aujourd’hui, à Nir Am, les soldats ont remplacé les habitants. Tous ont été évacués dans la nuit de samedi à dimanche après une longue journée cachés dans les abris. Ils sont désormais hébergés dans plusieurs hôtels de Tel-Aviv. Avi Kadoch est revenu une fois chez lui, pour récupérer des affaires et vider le réfrigérateur. Eli n’en a pas encore eu l’occasion. « On ne sait pas quand on pourra rentrer, dit-il. Mais il faudra rentrer. Sinon, ça voudra dire que le Hamas a gagné. »
Par Stanislas Poyet