C’est un enseignement de défense particulier que la C-DEF Antoine de Saint-Exupéry a abordé ce mercredi 14 février 2024. À travers l’étude du film Eye in the sky (2015) du réalisateur sud-africain Gavin HOOD (1), les lycéens ont été amenés à réfléchir sur la représentation cinématographique des avions pilotés à distance et des drones au cinéma. Durant cette analyse de deux heures, ils ont été accompagnés par le L/C Yohan, pilote de Mirage 2000 et commandant en second du 2/33 Savoie. À travers les thèmes d’étude abordés, l’officier a joué le rôle de « conseiller technico-tactique » du film, apportant des compléments d’information et éclairant sur les distorsions pouvant exister entre la réalité et la représentation artistique. Eye in the sky a ainsi été étudié sous cinq angles.
L’environnement et le contexte géopolitique du film
Nairobi – le lieu de l’action du film – fut d’abord présentée dans son environnement national (la capitale du Kenya), régional (ses relations avec le voisin somalien) et mondial (Golfe d’Aden et détroit de Bab el-Mandeb). C’est également dans cette première partie que furent introduit les Shebab : ces combattants islamistes somaliens, issus de la mouvance salafiste et de l’Union des tribunaux islamisques. Ces derniers apparaissent à plusieurs reprises dans le film. Leurs attaques de Westgate (2013) et de Garissa (2015) sont mentionnées dès le début du film, ce qui permet de situer chronologiquement l’action de celui-ci. De plus, la préparation de l’attentat - organisée par la djihadiste britannique DANFORD - leur est directement attribuée.
Le L/C Yohan attira l’attention des élèves sur la situation géopolitique de Djibouti et la présence de bases militaires étrangères dont une française. Il rappela, par la même occasion, les actuelles attaques houthis à partir du Yémen voisin. Consécutives à la guerre entre Israël et le Hamas depuis octobre 2023 et téléguidées par l’Iran, ces attaques visent quotidiennement les navires de commerce qui empruntent la route maritime Canal de Suez/Mer Rouge.
Les personnages
À partir d’un organigramme, les lycéens purent clarifier l’enchevêtrement des personnages et des fonctions dans le scénario. Militaires et politiques sont ainsi étroitement associés tout au long d’un processus où l’on distinguera une chaîne de commandement pour les premiers et une chaîne de décision pour les seconds. La première étant subordonnée à la seconde comme dans toutes les démocraties.
Le problème est que l’action – nom de code « Aigrette » – est une opération britannique avec des moyens opérationnels américains, qui vise des citoyens britannique et américains en territoire kényan… Autorités politiques britanniques et étatsuniennes se croisent avec des approches différentes, des arrières-pensées politiciennes et sur un tempo qui n’est pas celui de militaires qui, eux, conduisent une opération contre-la-montre.
Les lieux du film
Un autre intérêt du film est de montrer ce que peut-être la géographie d’une opération militaire au-delà de l’action tactique locale. La chaîne de décision se situe à Londres dans le quartier de Whitehall. C’est ici que se trouve la cellule COBRA dans laquelle le lieutenant-général BENSON informe en temps réel les membres du gouvernement sur les options dont ils disposent. Des options qui peuvent rapidement évoluer selon les renseignements que lui transmet en direct le colonel POWELL qui se trouve au quartier général des forces britanniques de Eastbury (Northwood).
De Eastbury, le colonel POWELL commande le MQ-9 Reaper qui est sur la zone d’opération – c’est-à-dire au-dessus de Nairobi – et que pilote le lieutenant Steve WATTS. Ce dernier se trouve dans un cockpit situé sur une base de l’US Air Force – AFB Creech – dans le désert du Nevada.
Avec l’appui des services de renseignement kényan utilisant un insectothopter (2) et un nano drone, POWELL reçoit des images qui permettent l’identification des djihadistes et leur qualification en High Value Target. Ce travail d’identification algorithmique est réalisé par le Joint Intelligence Center Pacific de Pearl Harbor. Il permet la confirmation des cibles qui, elles, évoluent entre deux quartiers de Nairobi : Parklands et Eastleigh. C’est à Eastleigh, également appelé Little Mogadishu, qu’ont lieu les frappes aériennes.
Les missions et les matériels
À l’origine mission d’observation au profit des forces kényanes qui devaient arrêter la djihadiste Susan Helen DANFORD, l’opération Aigrette change d’objectif lorsque la terroriste britannique quitte le quartier de Parklands pour se rendre dans celui d’Eastleigh. Les militaires kényans ne veulent pas intervenir dans un quartier trop densément peuplé et contrôlé par les Shebab. Qui plus est lorsque leur informateur permet de découvrir une nouvelle cellule shebab sur le point de commettre un attentat avec des vestes explosives. D’observation l’opération Aigrette devient dès lors une mission d’attaque.
En relation avec ce que la C-DEF a pu voir lors de la visite du 2/33, le L/C Yohan revint sur le fonctionnement tactique d’un cockpit de RPA : organisation en tranche avant et tranche arrière ; intégration directe de l’équipe en charge du renseignement contrairement à l’organisation américaine qui externalise et centralise la production du renseignement d’intérêt du fait d’un nombre de RPA en opération beaucoup plus important, et d’une masse de données quotidiennes à traiter sans commune mesure.
L’officier expliqua aussi aux élèves le fonctionnement du Multispectral Targeting System (MTS) autrement dit la boule optronique située à l’avant du RPA et qui en constitue la valeur ajoutée. Conçue par la firme étatsunienne Raytheon, le MTS est l’œil du MQ-9 qui permet à la fois d’observer en plusieurs modes (clair, infrarouge, thermique…) mais aussi de désigner des cibles.
Dans le film, les djihadistes sont, par ailleurs, engagés avec des missiles AGM 114 Hellfire (fabriqués par Lockheed Martin) qui n’équipent pas les RPA de l’Armée de l’Air et de l’Espace (3). Ces derniers ne mettent en œuvre que des GBU-12. Au sujet des armements, le L/C Yohan mit aussi en garde les élèves sur les explosions consécutives aux tirs de Hellfire dans le film. Dans la réalité, ces explosions seraient beaucoup moins importantes car la version du missile utilisé emploierait une charge militaire affaiblie afin d’atténuer le risque de pertes collatérales.
Les questions soulevées par le scénario
Pour finir, les lycéens ont été amenés à réfléchir sur quelques thèmes de réflexion soulevés par le film et qui pourraient, pour chacun, faire l’objet d’une étude à part entière. Eye in the sky est-il un film de guerre ou sur la guerre ? Qu’est-ce qu’une guerre asymétrique ? Quel sens donner à la guerre High Tech menée par l’Occident ? Quel sens donner à la judiciarisation de la guerre telle qu’on la voit dans le film ?
Le L/C Yohan insista sur le fait que la France ne fait pas la même guerre que ses ennemis, et qu’elle ne peut moralement utiliser les mêmes méthodes et moyens. Concernant le destin tragique du personnage de la fillette (Alia MO’ALLIM) et revenant sur son expérience opérationnelle, l’officier pilote confirma que les opérations de frappes aériennes françaises excluent la moindre perte collatérale à la différence des opérations américaines.
En conclusion, et au-delà du renforcement de la culture de défense des lycéens de la C-DEF, cette séance avait aussi pour objectif d’apprendre aux élèves à regarder un film différemment. Et pour certains, de leur mettre un pied à l’étrier d’une future spécialité HGGSP de Première et de Terminale (4).
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