Qu’est-ce qu’un drone ? C’est à cette question simple en apparence que l’enseignement de défense du mercredi 13 mars 2024 s’est attaché, cherchant à clarifier un certain nombre de notions auprès des élèves de la C-DEF AP2D Antoine de Saint-Exupéry.
Le terme « drone » est un anglicisme qui signifie dans sa langue d’origine l’insecte appelé « bourdon » et, par extension, un « vrombissement » ou un « ronronnement ». Le mot a fini par désigner des engins de taille diverse, sans équipages et opérés de manière déportée.
Du modélisme aux drones de nouvelle génération
L’histoire des drones remonte à la Première Guerre mondiale lorsque des ingénieurs français ont tenté de mettre au point un premier engin chenillé opéré à distance par des câbles. Durant la Deuxième Guerre mondiale – et s’inspirant d’un autre prototype français -, l’armée allemande conçoit le premier blindé filoguidé capable de porter une charge explosive jusqu’à un obstacle. Le Sd.Kfz 303 Goliath fut utilisé pour la première fois en juillet 1943 pour ouvrir un champ de mines durant la bataille de Koursk.
Les drones ont donc d’abord désigné des engins télécommandés ou radiocommandés – bien connus des modélistes – avant de devenir les machines que nous connaissons actuellement. Se caractérisant par les progrès des matériaux, de l’électronique, de la miniaturisation des appareils et des systèmes, des sources d’énergie également, la nouvelle génération de drones connaît, de nos jours, un très large champ d’usages multi-milieux. Trois types d’usage des drones sont ainsi à distinguer : l’usage à des fins de loisir (vol, observation, photographie…), l’usage à des fins professionnelles (production industrielle, épandage agricole, inspection d’infrastructures, cinéma…), l’usage militaire (renseignement, bombardement, tir, déminage…). C’est bien évidemment l’usage militaire qui nous intéresse ici, que l’on mettra aussi en relation avec l’usage des drones dans les domaines de la sûreté intérieure et de la sécurité civile. Police et Gendarmerie nationale les utilisent ainsi dans le cadre du maintien de l’ordre (surveillance des foules) mais aussi pour inspecter des objectifs d’intérêt (reconnaissance de sites, de bâtiments…). Les lycéens ont par ailleurs fait la connaissance du drone Colossus utilisé par les pompiers.
Alors que nous avons tendance à focaliser sur une conception essentiellement aérienne des drones, ces derniers sont aussi multi-milieux et investissent aujourd’hui aussi bien les milieux terrestres, maritimes que sous-marins. On comprendra dès lors que ce que l’on appelle « drone » désigne une très large famille d’appareils plus ou moins sophistiqués, et pouvant être de conceptions fort différentes selon les domaines d’emplois et les environnements dans lesquels ils sont déployés. Ce qui caractérise de plus en plus ces engins est cependant la robotisation. Cette dernière transforme le drone classique télécommandé en y intégrant la notion d’autonomie des systèmes.
Qu’est-ce qu’un robot ?
Alors que dans les années 2000, un bras robotisé ne parvenait pas à déplacer en temps réel une charge supérieure au 10e de son poids, la robotique appartenait encore davantage au monde de la science-fiction qu’à la réalité quotidienne. De nos jours, les robots sont largement répandus dans l’industrie mais aussi dans notre quotidien sous la forme de tondeuses et autres appareils ménagers par exemple. Programmés pour accomplir automatiquement certaines tâches, ils sont de plus en plus capables d’élargir leurs fonctions, d’analyser et de prendre des initiatives notamment avec l’intelligence artificielle (machine learning).
C’est surtout la rapidité des progrès de la science robotique qui frappe. En 2013, la firme Boston Dynamics met au point Atlas, un robot humanoïde de 1,90 m et 80 kg capable désormais de traiter les informations en temps réel. Deux ans plus tard, Atlas est capable de conduire un véhicule, de se déplacer au milieu d’obstacles et d’utiliser des outils. En 2017, il réalise un salto arrière et, en 2020, exécute une chorégraphie impressionnante sur la chanson Do you love me ? du groupe The contours.
Les robots actuels ont beaucoup gagné en force et en équilibre. Ils sont désormais capables d’action synchronisées permettant une progression dans des escaliers, l’ouverture et la fermeture de portes, le déplacement d’objets encombrants… Ils bénéficient des progrès réalisés en matière de capteurs et d’intelligence artificielle, ce qui leur permet d’analyser plus finement leur environnement et d’interagir avec les êtres humains. En 2021, l’Armée de Terre a créé la section Vulcain dont l’objectif est de tester de véritables robots aéroterrestres destinés, dans un premier temps, à assurer des missions logistiques mais aussi d’observation et de déminage. Dans ce dernier domaine, l’arme du Génie est particulièrement en avance avec la guerre des IED qu’elle a menée durant des années en Afghanistan.
Si tous les drones ne sont pas des robots, beaucoup de drones sont désormais robotisés dans le cadre de missions où ils remplacent les acteurs humains avec une certaine marge d’autonomie. Certains robots sont déjà capables de mener des missions de combat tel le robot sentinelle SGR-A1 de Samsung, conçu pour monter la garde entre les deux Corée le long du 38e parallèle. Ce sont les SALA ou Systèmes d’Armes Létaux Autonomes qui posent la question morale de déléguer à une machine la décision de tuer.
En matière de doctrine et d’éléments de langage, les armées françaises affirment et réaffirment le contrôle humain sur les machines. Celui-ci est, jusqu’à preuve du contraire, effectif notamment sur les MQ-9 Reaper de la 33e ESRA. Il faut, en effet, un pilote et un navigateur pour faire décoller, faire voler et faire atterrir ce type de machine pesant plus d’une tonne. Il faut également lui dire ce qu’il faut observer d’où la présence dans un deuxième shelter d’un équipage d’observation. L’usage de l’armement ne peut se faire que sur décision humaine, et si l’on y ajoute la nécessité de pistes d’envol, d’antennes et de hangars pour la maintenance, le MQ-9 est davantage un avion piloté à distance (Remotly Piloted Aircraft ou RPA) qu’un drone au sens strict comme aiment à le rappeler les militaires. Ces derniers sont, cependant, les premiers à entretenir la confusion sur la distinction de ces engins du fait de l’appellation même des unités les mettant en œuvre (Escadron de Drones ou ED).
Les drones au combat
La deuxième partie de la séance était consacrée à l’utilisation des drones aériens sur le champ de bataille. Une typologie générale montra aux lycéens l’extrême diversité des matériels des microdrones de type Black Hornet aux minidrones et drones intermédiaires de type IAI Harop, Lancet, Switchblade… Certains tels les Shahed iraniens ou le Bayraktar TB2 turc constituent une transition avec les RPA. Certains drones volent comme des avions alors que d’autres volent tels des hélicoptères. Ce fut l’occasion pour Maxime et Alexandre – diplômés du BIA – d’expliquer à leurs camarades les notions de portance, de traînée et de sustentation.
Les guerres en Syrie, dans le Haut-Karabakh et, surtout, en Ukraine et sur la bande de Gaza ont montré l’importance prise par les drones sur les champs de bataille contemporains notamment dans leur dimension aéroterrestre. Plusieurs photographies ont ainsi pu illustrer les utilisations tactiques des drones de l’observation au bombardement. En matière d’observation, les drones FPV (First Person View) font des progrès remarquables. Rapides et permettant une vision immersive grace à des lunettes ou un casque FPV, ils restituent désormais une image de qualité en temps réel. Les nouveaux drones FPV sont présents sur les champs de bataille ukrainiens où ils participent au renseignement, au réglage des tirs d’artillerie, à la coordination des mouvements d’infanterie au sol et à des frappes directes.
Concernant les frappes, une première catégorie de drones concerne ceux que les combattants adaptent de manière à pouvoir larguer à la verticale d’une cible une munition explosive (grenade, obus de mortier…) ou à aller s’écraser directement sur la cible avec cette munition. Complètement improvisé à partir de l’existant, c’est le système le moins coûteux en moyens. Il peut néanmoins produire des effets redoutables sur les personnels à découvert, les véhicules légers voire des blindés si l’explosif parvenait à être largué dans une tourelle laissée ouverte. À partir de la plateforme UNITED24, le gouvernement ukrainien draine des fonds permettant la fabrication de milliers de drones à bas coût. Des drones permettant ces "bricolages" mais d’autres également capables de missions plus lointaines.
Une deuxième catégorie de drones concerne des machines plus sophistiquées conçues davantage comme des munitions rôdeuses (loitering munition) du fait d’un rayon d’action et d’une autonomie plus importants. Ils sont improprement appelées munitions ou drones « kamikazes » (1). L’exemple du Switchblade américain a ainsi été présenté aux élèves. Développé par la firme AeroVironment, le Switchblade se présente sous deux versions : le 300 Block 20 et le 600. Le 300 ne pèse que 5,5 kg et peut-être transporté dans un sac à dos. Il est mis en œuvre à partir d’un petit mortier et emporte sur 10 km une charge équivalente à celle d’une grenade antipersonnelle de 40 mm (2). Le 600 pèse 24 kg et emporte sur 80 km une charge creuse en tandem (3) qui en fait une arme aussi redoutable que le missile antichar FGM-148 Javelin. Utilisé par l’armée ukrainienne, le Switchblade peut aussi être configuré en « munitions abandonnées » sous la forme d’un conteneur de 6 engins déposé sur le champ de bataille et pouvant être déclenché à distance au passage de l’ennemi ou sur un objectif se révélant. D’autres drones pouvant jouer se rôle de munitions rôdeuses se présentent sous la forme de petits avions ou d’ailes volantes comme le Shahed 136 iranien par exemple. Silencieux et relativement rapides, tous ces drones laissent peu de chances à un ennemi surpris et à découvert.
Comment lutter contre la menace des drones sur le champ de bataille ? L’armement anti-aérien est mis à contribution (canons, mitrailleuses, missiles…) lorsque le ou les drones sont repérés suffisamment à temps. Il reste cependant fortement consommateur en munitions eu égard à la taille des drones, si ce n’est onéreux lorsqu’il s’agit d’un missile dont le coût est beaucoup plus élevé que le drone quel qu’il soit. La tendance est au développement des armes à effet dirigé (laser), notamment au sein des marines américaines et britanniques. En France, les forces armées commencent à s’équiper du NEROD F5-5. Conçu par la firme MC2 technologies, le NEROD est un brouilleur portatif directionnel dont la batterie se situe dans la crosse de l’arme. Se manipulant comme un fusil, il permet de couper le signal entre l’opérateur du drone et le drone, immobilisant ce dernier ou l’obligeant à atterrir. Ce brouilleur, qui ne manquera pas d’être déployé à l’occasion des prochains jeux olympiques de Paris, ne fonctionne cependant qu’à courte distance et n’agit que sur les petits drones. La pertinence de son utilisation sur un champ de bataille de haute intensité reste aussi à démontrer.
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